Professeur d’études islamiques à l’université libanaise à Beyrouth, ancien compagnon d’études du grand imam Ahmed Al Tayyeb à l’Université Al Azhar, Ridwan Al-Sayyid est l’un des organisateurs de la Conférence contre l’extrémisme et le terrorisme qui s’est tenue au Caire, les 3 et 4 décembre.
KHALED DESOUKI/AFP
Conférence inter-religieuse organisée par Al-Azhar, Le Caire, 3 décembre 2014. Le Cheikh nigerian Ibrahim Saleh al-Hussaini (D), Mohammed Yssef (2e D), Marocain, secrétaire général du Conseil supérieur des Ulemas, le grand imam d’Al-Azhar Ahmed al-Tayeb (2e G) et le patriarche copte orthodoxe Tawadros (G).
Pourquoi avoir invité des chrétiens à cette Conférence d’Al Azhar contre l’extrémisme et le terrorisme ? Les interventions n’ont-elles pas montré que le problème était plutôt interne à l’islam ?
Ridwan al-Sayid : Beaucoup d’événements graves sont survenus en 2013 et 2014. Depuis six mois, avec également Mohamed Sammak, le secrétaire général du Comité national pour le dialogue islamo-chrétien au Liban, nous sommes un petit groupe à nous réunir autour du grand imam, Ahmed Al Tayyeb. Nous lui avons suggéré cette conférence pour mettre sur la table trois sujets : le terrorisme et le fondamentalisme, nos mauvaises relations avec les chrétiens et le conflit entre sunnites et chiites. Il a accepté et il y a un mois, nous nous sommes attelés à sa préparation.
Avez-vous le sentiment que des solutions ont été trouvées dans chacun de ces trois domaines ?
R.A-S. : Les problèmes, bien évidemment, ne sont pas encore résolus. Mais pendant deux jours, nous avons parlé et vous avez entendu tout ce qui s’est dit, y compris entre les sunnites qui sont eux-mêmes divisés. Sur la question du califat par exemple, quelle est notre position ? À mon avis, rétablir cette institution nous plongerait dans de graves difficultés…
Mais nous avons en commun notre volonté de nous battre contre le djihadisme, qui est une hérésie au sein de notre religion. Le problème est aussi que ce terrorisme donne à l’islam une mauvaise image : une hérésie interne est souvent plus dangereuse que des ennemis extérieurs…
Comment contrer le discours extrémisme ?
R.A-S. : À mon avis, la voix sécuritaire ne suffit pas : elle permet seulement aux États de se défendre. Mais nous, comme musulmans et représentants des institutions religieuses, que pouvons-nous faire pour éradiquer cette hérésie ? Comme le suggère la déclaration finale, il faut une réforme religieuse et une renaissance intellectuelle et celles-ci doivent être menées par les institutions religieuses, pas par les gouvernements. L’État ne peut pas être un État religieux, théocratique : il n’est là que pour gérer les affaires civiles. C’est à nous d’éduquer nos jeunes de telle sorte qu’ils ne se tournent pas vers le fondamentalisme !
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Or nos institutions n’ont pas fait leur travail : ces derniers temps, elles se bornaient à répondre aux injonctions des gouvernements, c’est pour cela qu’elles ont perdu tout leur crédit auprès des jeunes. Nous devons être solidaires de la jeunesse pour qu’elle nous écoute à nouveau ! Il y a beaucoup, beaucoup de travail, pour réformer les programmes éducatifs, coopérer avec les médias… Les pays arabes ont échoué à contrôler les jeunes : nous ne pouvons plus attendre qu’ils agissent.
Un participant disait dans cette enceinte que l’objectif de cette Conférence devrait être d’obtenir une augmentation du budget de l’éducation… Qu’en pensez-vous ?
R.A-S. : Ce n’est pas un problème d’argent. L’Égypte et les pays du Golfe ont compris le problème et veulent mettre de l’argent pour réformer et renforcer les institutions religieuses. Al Azhar, la principale institution sunnite au monde, dispose de 500 000 étudiants et 80 000 professeurs en Égypte et dans le monde. Elle a aussi 25 antennes hors de l’Égypte. Son influence est énorme : si elle bâtit un programme, une stratégie, cela peut changer les choses.
Vous parlez des pays du Golfe, mais l’islam wahhabite propagé par l’Arabie saoudite, n’a-t-il pas fait le lit de l’État islamique ?
R.A-S. : L’Arabie saoudite est wahhabite depuis sa fondation. La nouveauté, c’est plutôt les mouvements salafistes révolutionnaires – un salafisme différent donc de celui de l’Arabie saoudite – qui, dans les années 1970, se sont révoltés contre les wahhabites. Ces deux courants s’opposent entre eux.
Quelles seront les suites de cette conférence ?
R.A-S. : C’était une conférence préparatoire, destinée à mettre tous les sujets sur la table. Al Azhar a déjà commencé à réfléchir à un système pour poursuivre le travail. La déclaration finale, par exemple, sera la préface à un document plus complet sur le terrorisme, le dialogue islamo-chrétien et les divisions entre sunnites et chiites.
« Chrétiens et musulmans sont déterminés à continuer à vivre ensemble »
3-4 décembre 2014, déclaration finale de la Conférence d’Al Azhar contre l’extrémisme et le terrorismeEn réponse à l’invitation du grand imam d’Al-Azhar, Son Éminence Ahmed Al Tayyeb, une grande conférence s’est réunie au Caire, en Égypte, les 3 et 4 décembre 2014. Étaient présents les responsables des courants de l’islam, des Églises orientales, ainsi que des savants musulmans et chrétiens du monde entier. Après deux jours de recherche et de discussions, les participants à la conférence se sont accordés sur une déclaration, appelée « la déclaration mondiale d’Al-Azhar ».Premièrement, tous les groupes armés et « milices » confessionnelles qui ont utilisé la violence et la terreur, se prévalant – à tort – de bannières religieuses, sont des groupes pécheurs de pensée et de comportement rebelle, et non le vrai islam. Terroriser des innocents, assassiner des personnes innocentes, toutes ces formes d’agression et de vol, ainsi que la violation du sacré de la religion, sont des crimes contre l’humanité condamnés par l’islam sur la forme et le fond.
La division des nations, l’effondrement des pays aboutissent à offrir au monde une image déformée de l’islam. Ces crimes offensent la religion, qui est une religion de paix et d’unité, et la religion de la justice et de la charité et de la fraternité humaine.
Deuxièmement, les musulmans et les chrétiens d’Orient sont frères, ils appartiennent à une même civilisation, aux mêmes nations, ils ont vécu ensemble pendant des siècles et ils sont déterminés à continuer à vivre ensemble dans un des États souverains, libres et nationaux, respectant l’égalité et les libertés de tous les citoyens. La multiplicité des religions et des confessions n’est pas un phénomène nouveau dans notre histoire commune, et cette diversité restera un témoignage indispensable pour eux et pour le monde.
Les relations entre musulmans avec chrétiens sont historiques, et l’expérience de la vie commune est fructueuse. En Égypte et dans plusieurs autres pays arabes, nous avons développé le concept d’une citoyenneté assortie de droits et de devoirs faisant des chrétiens des citoyens à part entière. Il n’y a pas de contradiction entre chrétiens et musulmans, nous devons respecter la religion et l’enseignement du Prophète, paix soit sur lui.
Troisièmement : Le déplacement des chrétiens et d’autres groupes religieux et ethniques est un crime qui doit être condamné. Nous appelons nos peuples chrétiens à rester enracinés dans leur pays d’origine, jusqu’à ce que soit passée cette vague d’extrémisme, et nous appelons le monde à exclure la solution de la migration ; l’émigration remplit les objectifs des forces d’agression et aboutit à la disparition et à la déchirure nos sociétés civiles nationales.
Quatrièmement, certains dirigeants en Occident et intellectuels profitent de cette violation de la vraie religion pour fournir des stéréotypes inventés sur l’islam. Pour contrer ce phénomène négatif, la Conférence appelle l’Occident et ses dirigeants à corriger cette mauvaise image, à reconsidérer ces attitudes négatives, et à ne pas accuser pas l’islam de méfaits dont il est innocent de lui et qu’il rejette catégoriquement.
Cinquièmement : La Conférence appelle les instances de dialogue dans le mode à coopérer au service de la paix, à promouvoir la justice dans le cadre du respect de la diversité et des différences religieuses et raciales, et à travailler avec diligence et loyauté à l’extinction de l’incendie criminel (de la division religieuse) plutôt qu’à sa propagation.
Sixièmement : Un grand nombre de jeunes a été et continue à être exposé à un processus de « lavage de cerveau » par la déformation des dispositions du Coran et de la Sunna et des enseignements qui les conduit au terrorisme. Il est de la responsabilité des savants et des intellectuels d’enseigner à ceux qui ont été induits en erreur la compréhension correcte des textes et des concepts, afin qu’ils ne restent pas des partisans de la violence et des promoteurs du « takfirisme » (excommunication).
L’un de ces concepts (déformés) est celui du califat, qui date de l’époque des Compagnons du Messager d’Allah, paix soit sur lui. Il a été organisé (…) pour réaliser la justice et l’égalité entre les personnes ; la gouvernance en islam est fondée sur la justice et l’égalité et la protection des droits de citoyen pour tous les citoyens sans discrimination de couleur, de sexe ou de convictions. (…)
Il est un autre concept déformé, celui de djihad : selon sa signification correcte dans l’islam, il ne relève que de la légitime défense, en réponse à une agression, et son annonce ne peut en aucun cas relever d’un seul individu ou d’un groupe.
Septièmement : La Conférence appelle le monde arabe à organiser sa coopération, à développer des mécanismes de cette coopération afin de parvenir à la stabilité, la sécurité et la prospérité. (…)
Huitièmement : La Conférence rappelle fortement aux savants et aux responsables religieux dans le monde arabe et musulman leur responsabilité devant Dieu et l’histoire à éteindre tous les incendies de type confessionnel, ethnique, en particulier à Bahreïn, en Irak, au Yémen et en Syrie.
Neuvièmement : La Conférence condamne les attaques terroristes menées par les forces israéliennes dans les territoires palestiniens occupés, en particulier à Jérusalem, les attaques contre des vies humaines palestiniennes, musulmanes comme chrétiennes, contre des mosquées et des églises, en particulier la mosquée Al-Aqsa, que Dieu la bénisse. Elle appelle les membres de la communauté internationale à intervenir efficacement et de manière responsable pour mettre un terme à ces attaques et à traduire leurs auteurs devant la justice pénale internationale.
Dixièmement : La Conférence affirme qu’en Orient, il est de la responsabilité de tous, musulmans et chrétiens, de combattre l’extrémisme et le terrorisme d’où qu’il vienne et quels que soient ses objectifs.
En conclusion, les participants expriment leur gratitude à Al-Azhar et au grand imam Ahmed Al Tayyeb pour son initiative de réunir cette Conférence, au président de la République arabe d’Égypte, à son gouvernement et à son peuple et leur souhaite plein succès dans la lutte contre le terrorisme pour le maintien des fondements de la coexistence.
(*) Traduction
La Croix
La Croix