Rome, 16 octobre 2014 (Zenit.org) Anita Bourdin
La volonté du pape François est de « manifester la beauté et nécessité vitale de la famille », déclare le cardinal Schönborn. Mais devant les inquiétudes soulevées par le débat au synode il cite – et c’est aujourd’hui l’anniversaire de l’élection de Jean-Paul II et de son fameux appel du 16 octobre 1978, à l’Habemus papam – : « N’ayez pas peur ». Il affirme : « Pas de relativisme, certainement pas ! »
Le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne et président de la Conférence épiscopale autrichienne, fait observer que la famille est « vitale » pour la survie dans la société. Et que c’est la volonté du pape François de « manifester » par ce processus synodal justement « la beauté et nécessité vitale de la famille ».
La famille, vitale pour la société aussi
Le cardinal autrichien, naguère rédacteur en chef du Catéchisme de l’Eglise catholique – en français pour la première édition -, est en effet intervenu lors du point-presse quotidien de la mi-journée au Vatican.
Il souligne tout d’abord l’importance vitale de la famille avec trois exemples. Celui de « l’Expédition Donner », de 81 personnes, qui voulaient rejoindre la Californie aux Etats-Unis, aux Etats-Unis. Elles ont été surprises par un hiver précoce, dans la Sierra Nevada en 1846-1847, et la neige les a empêchées d’avancer, pendant six mois. Seules 41 personnes ont survécu. Or, on s’est aperçu que les seuls survivants étaient ceux qui avaient une famille, y compris des personnes âgées et malades ou de jeunes enfants.
L’archevêque a aussi signalé le « fervent plaidoyer » – il dit cette expression en français – pour la famille pour survivre dans la société, écrit par le journaliste – aujourd’hui disparu – du quotidien allemand le Frankfurter Allgemeine, Frank Schirrmacher, qui n’était pas « religieux ». Il montre la nécessité de la famille comme cellule fondamentale de la société.
Troisième exemple, en Espagne, les évêques font observer qu’avec un taux de chômage des jeunes de 50%, seul ceux qui ont une famille ont un « réseau de survie ».
Voilà pourquoi le pape François souhaite, explique-t-il, « au-delà des questions morales », réaffirmer le « rôle fondamentalement positif de la famille » dans la société.
« Le pape nous a demandé, précise le cardinal viennois, d’analyser famille, non pour voir ce qui ne marche pas – c’est le premier lieu où se manifeste le péché originel – : il a voulu manifester la beauté et la nécessité vitale de la famille, et avoir un regard attentif à la réalité. C’est la raison du questionnaire diffusé dans le monde entier. C’est la première fois qu’un synode est fondé sur une documentation aussi ample. »
Le pape portait cela dans son coeur
Le pape avait une autre raison pour convoquer un synode extraordinaire sur la famille, ajoute le cardinal Schönborn qui témoigne : « Je suis dans le Conseil du synode. Le pape est venu souvent aux réunions du conseil du synode. Il pense que cet élargissement du synode (pas seulement sur les défis anthropologiques et éthiques, comme cela avait été envisagé au départ), il est convaincu que c’est un signe de Dieu, et une façon d’obéir à l’invitation de Dieu de regarder la famille. »
Le thème de la famille, que le pape a annoncé, le 4 juillet 2013, n’avait pas été évoqué par les cardinaux avant le conclave : « C’est quelque chose que le pape portait dans son cœur, comme le disait saint Jean-Paul II. Il le portait dans son cœur et cela a émergé dans le travail du Conseil du synode. »
« Le chemin, explique encore l’archevêque, a commencé par la discussion au consistoire de février dernier, se poursuit maintenant par cette réunion extraordinaire, puis par l’année de préparation du grand synode : le pape nous a invités à cheminer » et « cette réunion extraordinaire est une étape du chemin ».
Il estime que ce synode est un « synode authentique » : « Le pape nous disait de parler avec simplicité, avec audace, de ne pas avoir peur de parler ouvertement. La méthode, le cheminement du synode se développe dans un sens très positif, même controversé, parce que c’est un chemin, voilà. »
Il cite les « paroles clefs » du pape : « Accompagner la famille, ne pas juger », puis il ajoute : « mais pas de relativisme, certainement pas ! »
Les tensions d’une famille
Pour ce qui est du déroulement du synode, il reconnaît qu’il y a eu un débat intense sur la « Relatio » de lundi dernier, 13 octobre, mais que justement c’est la raison d’être des groupes de travail qui ont suivi : les rapports sont publiés, dont deux en français, deux en espagnol, trois en anglais et trois en italien.
« Ce qui touche les tensions qui existent dans le synode, a-t-il ajouté, il ne faut pas le cacher, c’est normal, parce qu’il y a des aspects différents à considérer, la doctrine, la parole claire de l’Evangile et l’attitude de Jésus de compassion et de miséricorde. Comment unir les deux ? C’est le défi permanent de l’Eglise, des pasteurs, de nous tous, dans la vie d’une paroisse, d’un couple : cet équilibre est à trouver avec la force de la doctrine qui n’est pas un joug imposé, mais un chemin de vie. L’unicité du mariage, l’indissolubilité du mariage, Jésus l’a enseignée non comme une imposition mais comme « l’origine »: « à l’origine » il en fut ainsi, dit-il à propos du divorce, de la séparation. Ce n’est pas une chose abstraite, mais un chemin réel. »
Il témoigne : « Je suis d’une famille de parents divorcés. Je sais la réalité d’une famille qui vit la rupture. Mais il reste non seulement un idéal abstrait, mais une réalité : il y a un père, une mère et les enfants. Et ce n’est pas une invention de l’Eglise, c’est une réalité vivante que la division des enfants qui vont avec papa et la semaine suivante avec maman. Ce sont des réalités que nous vivons, tellement. Et l’Evangile et l’Eglise parlent de ces situations, parlent de la vérité, la vérité que les enfants ont besoin d’un père et d’une mère, c’est la vérité, c’est ainsi. Mais il le fait avec compassion. Et puis avec une invitation à un chemin de foi. Et je puis dire que cela nous a tellement aidé dans notre situation de famille. C’est la foi qui a aidé à surmonter la douleur de la séparation. »
« Donc, si certains pères du synode disent – et on verra dans les synthèses, par rapport à la Relatio post – disent : « attention, on ne doit pas oublier la doctrine », on ne doit pas, pour la réalité, pas de façon abstraite. Mais on a besoin d’accompagner tant de situations pour lesquelles le pape parle « d’hôpital de campagne ». Je vous invite cordialement à ne pas faire de « partis », mais des « aspects ». Cela arrive souvent dans les familles. La maman dit : c’est trop dangereux ! Le papa dit : non, non, n’aie pas peur ! Nous sommes dans une famille, il en est ainsi. Les uns disent : attention ! Oui, ils ont raison, c’est dangereux. Mais les autres disent : n’ayez pas peur ! »
Le développement de la doctrine, sous Jean-Paul II
Evoquant le Catéchisme de l’Eglise catholique de 1992, dont il a été le « secrétaire de rédaction » pour le pape Jean-Paul II, le cardinal Schönborn en rappelle « l’importance » en tant que « synthèse de ce que croit et vit l’Eglise ». Le catéchisme précédent, de Trente, en 1576 a tenu 400 ans, rappelle-t-il : « Je ne sais si le CEC aura une survie aussi solide, mais je ne vois pas la nécessité de changement. Mais il y a des développements, il y a eu des développements. Les unions de fait, il y a 60 ans, c’était inimaginable, c’est un fait de société, et pas seulement européen, un phénomène d’institutionnalisation. Il faut affronter ce nouveau défi avec les mêmes principes : l’importance de la fiabilité des relations, nous avons tous besoin de fiabilité dans nos relations, surtout dans le mariage. Nous avons besoin de stabilité pour les enfants et pour la société. Ce n’est pas une invention de l’Eglise. On a donc besoin de trouver les paroles pour ces situations. Ce qui est proposé, c’est de voir la « gradualité », non de la loi mais du « vivre » la loi, pas après pas. Le pape nous a dit, à nous, les évêques d’Autriche : vous devez accompagner ceux qui cohabitent ; il faut du temps, de la patience. »
C’est aujourd’hui le 16 octobre, anniversaire de l’élection du pape Jean-Paul II, en 1978. Le cardinal Schönborn rappelle le progrès fait dans la réflexion théologique sur le corps humain par le pape Wojtyla : « J’ai eu le privilège de connaître le saint pape Jean-Paul II. Dans son enseignement, il y a un notable développement de doctrine dont on n’a pas encore assez parlé en théologie : sa fameuse « théologie du corps » est un apport notable sur le chemin de la doctrine chrétienne : pour la première fois un document doctrinal forme un vrai « corpus » d’enseignement sur ce thème, pour la première fois on a parlé du corps humain comme faisant partie de l’image de Dieu. C’est un pas important dans la compréhension du corps humain, fait pour la relation, pour se donner : c’est un développement que la théologie traditionnelle n’avait pas. On est en train d’accueillir cet enseignement, il y a de nombreuses publications, des initiatives pour approfondir cet enseignement. Maintenant, nous ne savons pas si le pape François contribuera lui aussi à un développement doctrinal. Parce que, comme l’a dit le bienheureux John Henry Newman, ce développement est organique, il fait toujours partie du chemin de l’Eglise. En tous cas, le pape François nous invite à ce qu’il appelle la « conversion pastorale » : une Eglise qui doit « sortir d’elle-même ». Et ce n’est pas nouveau mais la voix d’un pape pour aujourd’hui, à une époque où les catholiques pratiquants sont une minorité : ils le sont en Europe, en Asie, et c’est une une invitation à la « missionarité ». Je ne vois aucune opposition avec le pape Jean-Paul II ni avec le pape Benoît. Mais c’est un accent visible aussi dans ce synode. »
Ce qui est déjà là, plus que ce qui manque
Pour ce qui est du travail en petits groupes linguistiques, le cardinal Schönborn, note qu’il y a un point du Rapport du 13 octobre qui a été discuté : c’est la suggestion du cardinal lui-même de « faire une analogie entre ce que dit le concile Vatican II (LG art. 8, sur le « subsistit in », une question théologique un peu ardue), qui est la base de notre rapport aux autres Eglises chrétiennes et aux autres religions. L’article dit qu’il y a aussi des éléments de vérité et de sanctification en dehors de la structure visible de l’Eglise catholique ». Le cardinal résume ainsi : c’est « un regard positif sur les autres religions et confessions, dont nous disons aussi les manques, nous ne les cachons pas, mais nous essayons de voir ce qui est positif ».
« Ce que je pense pouvoir dire après l’écoute des circuli minores (carrefours, ndlr), c’est cette « clef herméneutique », présente dans la « Relatio post » (Rapport après le débat, ndlr): comment avoir un regard positif sur des situations qui ont des manques objectifs ? Pour moi, l’important ce n’est pas que ma suggestion théologique soit reprise, je pense que l’important c’est ce changement d’accent, ce regard. Par exemple, que les nombreuses situations de cohabitation avant le mariage sacramentel ne soient pas uniquement vues du point de vue de ce qui manque, mais de ce qui est déjà promesse, de ce qui est déjà là… C’est une des intentions du travail de ce synode. »
En répondant à une question sur l’homosexualité, le cardinal de Vienne précise : « Le principe de base est celui-ci : nous regardons d’abord les personnes, et non leur orientation sexuelle. Quand le Catéchisme ou la « Relatio post » parlent d’accueil, c’est fondamental pour le comportement chrétien et humain. Toute personne humaine a une dignité au-delà de toute autre question. Mais cela ne signifie pas, et ne signifiera pas, que l’Eglise dise que le respect pour toute personne signifie le respect pour tout comportement humain. L’Eglise maintiendra toujours que le don fondamental de la Création de Dieu c’est la différence et la relation entre l’homme et la femme. Le CEC est clair : « l’orientation » vers le même sexe n’a rien à voir avec le péché. Mais pour ce qui est des « relations » de même sexe, le CEC dit – et l’Eglise ne peut pas fondamentalement changer – que ce n’est pas l’orientation fondamentale que le Créateur a donnée à l’homme et à la femme. Avec beaucoup de respect. Je ne sais pas ce que sera le texte final mais certainement il y aura « l’accueil », parce que c’est élémentaire. Quand j’ai dit dans mon interview, je crois au Corriere j’ai noté, à propos d’un couple de jeunes du même sexe, que je ne dis pas que je suis heureux, que je suis d’accord, mais – comme une participante allemande au synode, une auditrice a demandé : « S’il vous plaît, ne regardez pas d’abord dans la chambre à coucher mais dans le living room des familles » – ces deux jeunes, je peux dire que ce sont de merveilleuses personnes humaines. L’un est tombé gravement malade et la façon dont l’autre a pris soin de lui était exemplaire. Voilà. »