Un adieu au mariage chrétien ?

diversite_famillesDans ces semaines qui précèdent le Synode sur la Famille du mois d’octobre, les jeux d’influence et les pressions battent leur plein. Sur la pente progressiste, voici un livre à plusieurs auteurs qui a été publié, cet été, en Suisse : « Familienvielfalt in der katholischen Kirche. Geschichten und Reflexionen [Diversité des familles dans l’Église catholique. Histoires et réflexions]« , publié en allemand par la Theologischer Verlag de Zurich. Il a comme concepteurs et responsables Hanspeter Schmitt, professeur de théologie éthique à la faculté de théologie de Coire, et Arnd Bünker, directeur de l’institut suisse de sociologie pastorale de Saint-Gall et secrétaire de la commission pastorale de la conférence des évêques de Suisse. En voici un compte-rendu critique par le vicaire général du diocèse de Coire, Martin Grichting. Sur le blog SETTIMO CIELO, sous la plume de SANDRO MAGISTER, où l’on peut lire aussi l’historique qui précède ce texte.  Hallucinant.

UN ADIEU AU MARIAGE CHRÉTIEN  par Martin Grichting

Le secrétaire de la commission pastorale de la conférence des évêques de Suisse, Mgr Arnd Bünker, et le professeur de théologie éthique à la faculté de théologie de Coire, Hanspeter Schmitt, ont dirigé la publication, dans la perspective du prochain synode des évêques, d’un livre réunissant plusieurs auteurs intitulé : « Familienvielfalt in der katholischen Kirche. Geschichten und Reflexionen [Diversité des familles dans l’Église catholique. Histoires et réflexions] ».

Ce livre adopte la stratégie classique du « coming out », dans laquelle on commence par mettre en évidence des modes de vie qui sont déviants par rapport à l’ordre établi. Après quoi on exige que ces modes de vie soient reconnus comme normatifs par les autorités compétentes.

Pour le « coming out », on a recours à des cas concrets, tels que celui d’un couple de personnes divorcées qui se sont remariées civilement, le couple en question ayant déjà vécu comme mari et femme avant ce second mariage, ou encore celui d’un couple de lesbiennes qui habite une maison paroissiale dans le canton d’Argovie, diocèse de Bâle.

À côté de telles « histoires » le livre propose ensuite des « réflexions », dont la teneur générale donne à penser que désormais les catholiques de Suisse ont accepté depuis déjà un bon moment la « diversité des familles ».

Cette « diversité » serait une « réalité intra-ecclésiale » même dans l’esprit de membres du personnel ecclésiastique, écrit Bünker. Quant à Schmitt, il réaffirme que non seulement dans la culture générale, mais aussi à l’intérieur de l’Église, on est désormais libéré « d’un état d’exclusion systématique de la diversité des familles ».

Mais les auteurs, en raison du synode qui va avoir lieu prochainement, ne veulent pas se contenter de cela. Quel est leur objectif ? « La diversité des familles ne doit pas seulement exister de fait (vorkommen), mais elle doit aussi sortir (hervorkommen) officiellement », comme l’explique le professeur Schmitt, faisant précisément allusion à la stratégie du « coming out ».

L’intention des auteurs est de dépasser la doctrine ecclésiastique classique en ce qui concerne le mariage et la famille, doctrine dont ils présentent une caricature. « Traditionnelle vision idéaliste ecclésiale de la sexualité procréative du mariage (althergebrachte kirchliche Idealistik ehelicher Fortpflanzungssexualität) », d’après la définition qu’en donne Schmitt.

Avec ces idées, ils considèrent qu’ils sont dans la ligne du pape François. « Il ne dit pas au monde comment il doit être ; en revanche il demande au monde comment l’Église doit être, afin de pouvoir l’aider », écrit le théologien pastoraliste de Graz, Rainer Bucher.

Tout de suite après, cependant, les auteurs se mettent en contradiction avec le pape. En effet celui-ci a, comme chacun sait, donné une place centrale à la miséricorde divine face à des situations matrimoniales et à des rapports de couple qui posent des problèmes. Mais les auteurs refusent de faire appel à cette dernière. Pour la plupart des gens – font-ils remarquer – le fait de se remarier civilement n’est plus associé à des sentiments de culpabilité. Parler de miséricorde dans cette situation serait donc difficile, écrit Eva-Maria Faber, ancien recteur de la faculté de théologie de Coire et professeur de théologie dogmatique. Dans le cas de la diversité familiale hétérosexuelle et homosexuelle, il ne s’agirait plus « de la question de la miséricorde, mais de celle de la reconnaissance », pour reprendre la formule par laquelle le théologien moraliste Stephan Goertz résume de manière concise l’objectif du livre.

Par conséquent ce qui est proposé par le livre, ce n’est pas la miséricorde, mais la reconnaissance par l’Église des « qualités humaines de l’amour sexuel y compris au delà du mariage et de la procréation » (Schmitt). En tant que membre d’une communauté religieuse, on voudrait être reconnu par celle-ci quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve (Faber).

Avec de telles opinions à l’arrière-plan, on ne peut donc pas être surpris que le curé de la cathédrale de Saint-Gall, Béat Grögli, se déclare prêt à bénir à l’église des couples de personnes de même sexe. Le curé d’Aesch, dans le diocèse de Bâle, Félix Terrier, qui a, lui aussi, été interviewé, donne déjà de telles bénédictions. De plus il pose la question de savoir « si vraiment le sacrement du mariage ne peut être administré qu’une seule fois ». Enfin l’official du diocèse de Saint-Gall, Titus Lenherr, demande, en ligne avec le cardinal Walter Kasper, que soit établie une procédure ecclésiastique simple pour la légitimation d’un « second mariage » civil.

Toutes ces demandes seraient toutes à satisfaire, à partir du moment où la sexualité n’a plus à atteindre un but naturel. L’éthique de l’Église « bloquée par le droit naturel » (Schmitt) devrait donc être dépassée. Il faudrait recréer la morale sexuelle depuis le commencement et considérer la sexualité comme quelque chose qui s’exprime dans une relation fondée sur le respect réciproque. Ce serait valable à la fois pour les hétérosexuels et pour les homosexuels (Goertz). Ce qui serait déjà actuellement une réalité pastorale devrait donc être également « reconnu officiellement par l’Église » (Schmitt). Il faudrait « adapter » la position de l’Église à propos du mariage, de la morale sexuelle et de la contraception « afin que le profond fossé qui existe actuellement entre la doctrine et la pratique ne s’élargisse pas encore davantage » (Grögli).

Eva-Maria Faber prévoit, dans le cas où ces demandes ne seraient pas satisfaites, une émigration hors de l’Église qui atteindra « des dimensions énormes ». Et son collègue de la faculté de théologie de Coire, Schmitt, prophétise que l' »émigration intérieure et extérieure hors de l’Église » sera « très répandue et durable ». Face à ces affirmations alarmantes, il est compréhensible que les corporations de droit ecclésiastique des cantons de Zurich, d’Argovie, de Lucerne, de Nidwald et de Bâle-Campagne aient soutenu la publication du livre « par de généreux financements », dépassant les 50 000 euros. En tant qu’organes ayant compétence pour percevoir les impôts ecclésiastiques, ils ont en effet intérêt à ce que l’Église –au détriment même de son contenu, si c’est nécessaire – continue à être bien vue par la majorité de la société. Le diocèse de Saint-Gall a, lui aussi, apporté financièrement son soutien à ce projet.

Les chapitres de ce livre laissent transparaître un profond complexe d’infériorité à l’égard de l’actuelle société post-chrétienne et un désir d’être semblable aux autres. Bien évidemment, les auteurs ne croient plus que Jésus-Christ sache ce qu’il y a dans l’homme (Jn 2, 25), ni que l’Église le sache, en tant que corps du Christ. Des sujets tels que la relation vivante du baptisé avec le Christ qui le soutient dans son mariage, ou encore la confiance en la grâce et en la promesse de Dieu que l’on reçoit dans le sacrement du mariage, ne sont même pas abordés.

Ce livre représente donc un adieu à l’identité chrétienne en tant que force capable de modeler la vie de l’individu et de la société. Et c’est également un adieu au mandat missionnaire qui a été donné à l’Église, celui d’être le sel de la terre. On peut se demander, en effet, combien de païens les moines irlandais du premier millénaire auraient conduits au Christ en Suisse, s’ils avaient partagé avec Schmitt, eux aussi, la prétention « que les modes de vie existants ne soient plus discrédités dans les textes magistériels et dans l’enseignement de l’Église catholique ».

Romano Guardini, dans son livre « La fin des temps modernes », a mis en lumière le fait que, par l’intermédiaire de la révélation divine, des forces surgissent en l’homme et que, même si elles sont naturelles en elles-mêmes, elles ne se développent pas en dehors de ce contexte. Par conséquent, avec l’affaiblissement de la foi en Dieu, les « christianismes sécularisés » seraient rapidement considérés comme des formes de sentimentalisme et mis à l’écart.

Appliqué à l’institution du mariage, cela signifie que cette institution qui est, par nature, déjà orientée vers l’union indissoluble entre un homme et une femme, peut être concrètement mise en œuvre dans un contexte de vie chrétienne. C’est-à-dire que sous l' »arc » de la foi chrétienne – comme l’appelle Guardini – ce qui est en soi naturel devient vraiment réalisable. Cependant, si cette foi chrétienne vient à faire défaut, l’homme n’est plus en mesure de vivre ce vers quoi le mariage est déjà orienté au niveau naturel. Et en effet, dans les sociétés du monde occidental, de plus en plus éloignées de Dieu, la foi chrétienne est gravement affaiblie. Il en résulte une dissolution non encore achevée de ce que signifie le mariage.

Cette évolution donne tragiquement raison à Guardini. Toutefois il aurait été surpris – et probablement effrayé aussi – par le fait que non seulement dans la société mais aussi dans certaines parties de l’Église catholique il se produit un grave affaiblissement de la foi en Dieu. Ce qui a eu comme effet – comme le montre le livre en question – que le mariage indissoluble entre un homme et une femme est désormais qualifié, même dans certaines parties de l’Église, de sentimentalisme dépassé : le mariage se trouverait sur la voie qui le conduira à être un « sacrement relégué dans une niche », ou plutôt il est peut-être déjà un « résidu de l’histoire de l’Église » (Bünker).

Le livre « Diversité des familles » montre également de manière claire que ceux qui, dans l’Église, défendent le point de vue de la société post-chrétienne ne veulent même pas entendre parler de la miséricorde de Dieu, telle que la prêche le pape François, au motif qu’elle représenterait seulement une aumône, ce qui ne conduit pas à la reconnaissance officielle de la diversité des familles dans l’Église. Et qu’ils ne veulent pas non plus, en ce qui concerne les personnes « remariées » civilement, que seuls des cas extraordinaires bénéficient d’une reconnaissance par l’Église, comme le cardinal Kasper en a formulé le souhait.

Au moins sur ce point, le secrétaire de la commission pastorale de la conférence des évêques de Suisse et le professeur de théologie éthique de la faculté de théologie de Coire, ainsi que leurs co-auteurs, se sont montrés d’une clarté qui ne laisse la place à aucune équivoque.

Ainsi personne ne pourra dire qu’il n’a pas été possible d’évaluer la véritable portée de ce qui va être discuté, l’automne prochain, au synode des évêques.

Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.