Un texte du théologien Karl Rahner, publié le 20 juin 1969, dans le n° 1175 de France Catholique.
Le prêtre de demain, du fait que l’Église aura cessé d’être une « puissance », sera un homme aux mains nues mais au cœur assez courageux pour croire que la vie vient de la mort, et que l’amour, l’oubli de soi, le langage de la croix et la grâce de Dieu suffisent à opérer la seule chose qui compte, en définitive : s’abandonner au mystère insondable de son existence avec la conviction de foi et d’espérance que celui-ci est sous la loi d’un autre mystère insondable, celui de Dieu qui sauve, celui de son amour qui pardonne et qui se communique lui-même à l’homme.
Le prêtre de demain sera un homme dont la profession sera la dernière à pouvoir se donner une justification profane, parce que le bilan de ses activités se perd sans cesse dans l’abîme du mystère de Dieu, et qu’il n’a rien d’un psychothérapeute affublé d’une défroque démodée de magicien. Il ne clamera pas, il ne pensera pas que les argumentations enflammées puissent jamais jeter une clarté aveuglante sur l’objet de la foi, car il est dans la nature de celle-ci d’être perpétuellement combattue.
Il laissera paisiblement à Dieu le soin de l’emporter, là où lui-même a le dessous, et il continuera à voir la grâce de Dieu à l’œuvre alors même que les paroles qu’il dit et les sacrements qu’il distribue sont impuissants à la faire accepter par ce canal. La puissance de la grâce, il ne l’évaluera pas en termes de statistiques religieuses : tout en étant bien convaincu que la miséricorde divine n’a besoin de personne pour réaliser ses desseins, il se sentira enrôlé au service de Dieu et de la mission qu’il a reçue.
En un mot le prêtre de demain sera l’homme au cœur transpercé, l’homme qui trouve dans un tel cœur la force d’accomplir sa mission.