Le silence de Pie XII ?

Un historien juif, le rabbin Dalin, prend la défense de Pie XII, en réfutant point par point les accusations de lâcheté portées contre lui peu après sa mort.
Dans un livre intitulé Pie XII et les Juifs, publié en 2005 en Amérique et traduit cette année en français, le rabbin David Dalin, diplômé de Berkeley et professeur d’histoire et de sciences politiques dans plusieurs universités des États-Unis, déclare que le Pape Pacelli devrait être proclamé « Juste » par l’État d’Israël pour son action en faveur des Juifs contre la persécution nazie.
Issu d’une famille liée avec l’intelligentsia juive de Rome, le Pape Pie XII, d’abord nonce apostolique à Munich, a été un des premiers hauts responsables de l’Église à pressentir le danger du néo-paganisme nazi. En Allemagne même, entre 1917 et 1929, il a consacré 40 de ses 44 discours à dénoncer la montée du nazisme. Fils spirituel et secrétaire d’État du « Pape antitotalitaire » Pie XI, corédacteur de l’encyclique antinazie de 1937 Mit brennender Sorge (« Avec un souci brûlant »), le futur Pie XII ne sera pas « le Pape d’Hitler » comme certains le prétendront – après sa mort – mais au contraire un protecteur efficace, prudent mais actif des communautés juives d’Europe. Son action persévérante pendant l’Occupation a permis de sauver de 700 000 à 860 000 Juifs, selon l’historien juif Pinchas Lapide, ancien diplomate. Tels sont les faits que démontre David Dalin dans son livre, témoignages à l’appui. Auparavant, il se paie le luxe de rappeler que de nombreux papes avaient déjà pris la défense des Juifs contre les pogroms du Moyen Âge et du XVI° au XIX° siècle.
À la mort de Pie XII en 1958, les principaux représentants politiques et religieux juifs, de Golda Meir, Premier ministre d’Israël, au Grand Rabbin de Rome Elio Toaff, rescapé de la Shoah, lui ont rendu hommage, déclarant qu’aucun homme n’avait fait plus que lui pour sauver les Juifs des griffes du nazisme.
Ce n’est qu’en 1963 qu’une pièce de théâtre, Le Vicaire, écrite par … un ancien nazi, Rolf Hochhuth, va lancer une campagne de calomnies contre le défunt Pape, en le présentant comme un homme faible à l’égard d’Hitler de par des préjugés antijudaïques …
Dès 1915, le jeune Père Pacelli inspire la condamnation de Benoît XV contre les pogroms de Pologne. Déjà comme nonce dans l’Allemagne de Weimar, Eugenio Pacelli tente d’empêcher l’assassinat du ministre juif des Affaires étrangères Walter Rathenau en 1922 en signalant le danger.
Quand il signera le concordat de 1933 avec l’Allemagne, ce sera uniquement pour tenter de défendre la liberté des catholiques menacés par le nazisme. Mais dès avril 1933, le cardinal Pacelli envoie un avertissement aux hitlériens contre la persécution antisémite. La presse nazie ne cesse de le traiter d’ « ami des Juifs » en l’insultant. En 1935, il qualifie les nazis de « faux prophètes, orgueilleux comme Lucifer » et déclare Hitler « complètement possédé ». En voyage aux États-Unis en 1936, le cardinal secrétaire d’État a fait cesser les émissions de radio d’un prêtre antisémite politisé. En 1938, il réitère la condamnation de tout antisémitisme par Pie XI, et il blâme avec force le cardinal autrichien Innitzer qui a approuvé l’arrivée des nazis dans son pays.
Une fois élu pape, en mars 1939, Eugenio Pacelli réagit d’abord contre les mesures antisémites adoptées par Mussolini flirtant avec Hitler : il donne des postes au Vatican et dans divers instituts catholiques à des universitaires juifs italiens chassés de leur chaire. Sa première encyclique, Summi Pontificatus, condamne le nazisme et son aspect antisémite. Le chef suprême de la Gestapo Heinrich Müller déclare cette encyclique « dangereuse »… Un avion britannique en largue 88 000 exemplaires sur l’Allemagne …
En mars 1940, une entrevue orageuse a lieu entre le ministre des Affaires étrangères d’Hitler, Ribbentrop, et Pie XII, qui dénonce les atrocités nazies. Hitler envisagera en 1943 d’enlever ce Pape, comme le général SS Karl Otto Wolff en a témoigné lui-même …
Alors, le silence de Pie XII ? Un silence très relatif… Le rabbin Dalin parle plutôt d’une retenue s’expliquant par la volonté de ne pas exciter davantage les fauves nazis, devant lesquels les démocraties occidentales avaient craqué, dès 1938 à Munich … Le procureur américain du procès de Nüremberg Robert Kempner déclarera : « Non seulement tout geste de propagande de l’Église catholique contre le Reich d’Hitler aurait été suicidaire, mais cela aurait hâté l’exécution d’encore plus de juifs et de prêtres ». Déjà, rappelle David Dalin à propos du dilemme déchirant de Pie XII, « des personnalités juives et des évêques catholiques de pays occupés lui ont fermement préconisé de ne pas inciter les nazis à commettre de nouvelles atrocités ». L’expérience désastreuse des représailles de la Gestapo contre la protestation des évêques hollandais était tristement éloquente à cet égard : elle avait provoqué l’arrestation des Juifs convertis au christianisme, en particulier Édith Stein !
Par une lucidité extrême et douloureuse, Pie XII a préféré agir le plus possible, plutôt que de multiplier des déclarations publiques inutilement dangereuses pour les populations juives et chrétiennes à la merci des tueurs. En 1943, il fait cacher près de 5 000 Juifs à Rome, comme en témoigneront un Juif rescapé et… le chef SS Eichmann dans ses carnets, et il en héberge 5000 autres à Castel Gandolfo. En 1944 à Budapest, Pie XII obtient du régent Horthy l’arrêt des mesures antisémites, sauvant 170 000 Juifs hongrois d’une déportation imminente à Auschwitz, et le nonce donne vingt mille passeports. Depuis Istanbul, le futur Jean XXIII sauve des milliers de Juifs slovaques en résidence forcée en Hongrie ou en Bulgarie, en leur envoyant des certificats d’immigration en Palestine, et sauve aussi des milliers de Juifs de Roumanie. Pie XII lance six protestations officielles contre la déportation des Juifs de Slovaquie par le président Tiso, prêtre extrémiste égaré en politique : 25% devront leur salut à ces démarches.
Après un chapitre sur la collaboration du Grand Mufti de Jérusalem Hadj Amin al-Husseini et d’une partie du monde arabo-islamique antisémite avec Hitler, le rabbin Dalin rend un hommage prononcé à l’action de Jean-Paul II, notamment lors de son pèlerinage de l’an 2000 en Israël, qui aura scellé l’amitié judéo-chrétienne. Ce livre apporte un témoignage de poids, qui ne saurait être négligé.
David Dalin, Pie XII et les Juifs, le mythe du Pape d’Hitler, Tempora, 235 pages, 19,90 €.
France-Catholique, n° 3081, 20/07/2007, pp. 20-21

Un historien juif, le rabbin Dalin, prend la défense de Pie XII, en réfutant point par point les accusations de lâcheté portées contre lui peu après sa mort.

Dans un livre intitulé Pie XII et les Juifs, publié en 2005 en Amérique et traduit en 2007 en français, le rabbin David Dalin, diplômé de Berkeley et professeur d’histoire et de sciences politiques dans plusieurs universités des États-Unis, déclare que le Pape Pacelli devrait être proclamé « Juste » par l’État d’Israël pour son action en faveur des Juifs contre la persécution nazie.

Issu d’une famille liée avec l’intelligentsia juive de Rome, le Pape Pie XII, d’abord nonce apostolique à Munich, a été un des premiers hauts responsables de l’Église à pressentir le danger du néo-paganisme nazi. En Allemagne même, entre 1917 et 1929, il a consacré 40 de ses 44 discours à dénoncer la montée du nazisme. Fils spirituel et secrétaire d’État du « Pape antitotalitaire » Pie XI, corédacteur de l’encyclique antinazie de 1937 Mit brennender Sorge (« Avec un souci brûlant »), le futur Pie XII ne sera pas « le Pape d’Hitler » comme certains le prétendront – après sa mort – mais au contraire un protecteur efficace, prudent mais actif des communautés juives d’Europe. Son action persévérante pendant l’Occupation a permis de sauver de 700 000 à 860 000 Juifs, selon l’historien juif Pinchas Lapide, ancien diplomate. Tels sont les faits que démontre David Dalin dans son livre, témoignages à l’appui. Auparavant, il se paie le luxe de rappeler que de nombreux papes avaient déjà pris la défense des Juifs contre les pogroms du Moyen Âge et du XVI° au XIX° siècle.

À la mort de Pie XII en 1958, les principaux représentants politiques et religieux juifs, de Golda Meir, Premier ministre d’Israël, au Grand Rabbin de Rome Elio Toaff, rescapé de la Shoah, lui ont rendu hommage, déclarant qu’aucun homme n’avait fait plus que lui pour sauver les Juifs des griffes du nazisme.

Ce n’est qu’en 1963 qu’une pièce de théâtre, Le Vicaire, écrite par … un ancien nazi, Rolf Hochhuth, va lancer une campagne de calomnies contre le défunt Pape, en le présentant comme un homme faible à l’égard d’Hitler de par des préjugés antijudaïques …

Dès 1915, le jeune Père Pacelli inspire la condamnation de Benoît XV contre les pogroms de Pologne. Déjà comme nonce dans l’Allemagne de Weimar, Eugenio Pacelli tente d’empêcher l’assassinat du ministre juif des Affaires étrangères Walter Rathenau en 1922 en signalant le danger.

Quand il signera le concordat de 1933 avec l’Allemagne, ce sera uniquement pour tenter de défendre la liberté des catholiques menacés par le nazisme. Mais dès avril 1933, le cardinal Pacelli envoie un avertissement aux hitlériens contre la persécution antisémite. La presse nazie ne cesse de le traiter d’ « ami des Juifs » en l’insultant. En 1935, il qualifie les nazis de « faux prophètes, orgueilleux comme Lucifer » et déclare Hitler « complètement possédé ». En voyage aux États-Unis en 1936, le cardinal secrétaire d’État a fait cesser les émissions de radio d’un prêtre antisémite politisé. En 1938, il réitère la condamnation de tout antisémitisme par Pie XI, et il blâme avec force le cardinal autrichien Innitzer qui a approuvé l’arrivée des nazis dans son pays.

Une fois élu pape, en mars 1939, Eugenio Pacelli réagit d’abord contre les mesures antisémites adoptées par Mussolini flirtant avec Hitler : il donne des postes au Vatican et dans divers instituts catholiques à des universitaires juifs italiens chassés de leur chaire. Sa première encyclique, Summi Pontificatus, condamne le nazisme et son aspect antisémite. Le chef suprême de la Gestapo Heinrich Müller déclare cette encyclique « dangereuse »… Un avion britannique en largue 88 000 exemplaires sur l’Allemagne …

En mars 1940, une entrevue orageuse a lieu entre le ministre des Affaires étrangères d’Hitler, Ribbentrop, et Pie XII, qui dénonce les atrocités nazies. Hitler envisagera en 1943 d’enlever ce Pape, comme le général SS Karl Otto Wolff en a témoigné lui-même …

Alors, le silence de Pie XII ? Un silence très relatif… Le rabbin Dalin parle plutôt d’une retenue s’expliquant par la volonté de ne pas exciter davantage les fauves nazis, devant lesquels les démocraties occidentales avaient craqué, dès 1938 à Munich … Le procureur américain du procès de Nüremberg Robert Kempner déclarera : « Non seulement tout geste de propagande de l’Église catholique contre le Reich d’Hitler aurait été suicidaire, mais cela aurait hâté l’exécution d’encore plus de juifs et de prêtres ». Déjà, rappelle David Dalin à propos du dilemme déchirant de Pie XII, « des personnalités juives et des évêques catholiques de pays occupés lui ont fermement préconisé de ne pas inciter les nazis à commettre de nouvelles atrocités ». L’expérience désastreuse des représailles de la Gestapo contre la protestation des évêques hollandais était tristement éloquente à cet égard : elle avait provoqué l’arrestation des Juifs convertis au christianisme, en particulier Édith Stein !

Par une lucidité extrême et douloureuse, Pie XII a préféré agir le plus possible, plutôt que de multiplier des déclarations publiques inutilement dangereuses pour les populations juives et chrétiennes à la merci des tueurs. En 1943, il fait cacher près de 5 000 Juifs à Rome, comme en témoigneront un Juif rescapé et… le chef SS Eichmann dans ses carnets, et il en héberge 5000 autres à Castel Gandolfo. En 1944 à Budapest, Pie XII obtient du régent Horthy l’arrêt des mesures antisémites, sauvant 170 000 Juifs hongrois d’une déportation imminente à Auschwitz, et le nonce donne vingt mille passeports. Depuis Istanbul, le futur Jean XXIII sauve des milliers de Juifs slovaques en résidence forcée en Hongrie ou en Bulgarie, en leur envoyant des certificats d’immigration en Palestine, et sauve aussi des milliers de Juifs de Roumanie. Pie XII lance six protestations officielles contre la déportation des Juifs de Slovaquie par le président Tiso, prêtre extrémiste égaré en politique : 25% devront leur salut à ces démarches.

Après un chapitre sur la collaboration du Grand Mufti de Jérusalem Hadj Amin al-Husseini et d’une partie du monde arabo-islamique antisémite avec Hitler, le rabbin Dalin rend un hommage prononcé à l’action de Jean-Paul II, notamment lors de son pèlerinage de l’an 2000 en Israël, qui aura scellé l’amitié judéo-chrétienne. Ce livre apporte un témoignage de poids, qui ne saurait être négligé.

David Dalin, Pie XII et les Juifs, le mythe du Pape d’Hitler, Tempora, 235 pages, 19,90 €.

France-Catholique, n° 3081, 20/07/2007, pp. 20-21