C’est si douloureux que l’on préfère se taire. Pourtant, parler à l’enfant de son parent défunt peut semer de nouveau la vie dans un jeune cœur troué par cette séparation prématurée.
Échanges Avec Marie-Madeleine de Kergorlay-Soubrie
Il est Vivant, Juin 2011, n° 283, Dossier réalisé par Magali Michel.
Que se passe-t-il pour un enfant à la mort d’un de ses parents ?
Il perd l’une de ses racines, l’un des piliers de sa vie. Cette perte engendre une douleur durable comparable à une amputation. On devient comme handicapé affectivement. L’enfant subit le drame sans saisir grand-chose. Il est dedans. Pourtant, c’est bien de sa vie dont il s’agit et ce départ, il va falloir l’intégrer.
Quelles sont les réactions les plus fréquentes ?
Elles dépendent de la façon dont l’adulte à côté de lui vit son propre deuil et lui permet d’exprimer ce qu’il ressent. Certains enfants souffrent d’une anxiété généralisée, se renferment sur eux, comme anesthésiés. Ils peuvent croire alors que ce qui est arrivé au parent décédé va leur arriver. Aussi est-il essentiel de dire à un jeune enfant qui appréhende les événements à travers la pensée magique que la mort n’est pas contagieuse. Une autre pensée est de se croire responsable de la mort du parent. D’autres deviennent agressifs, ils semblent lutter. La colère est une réaction fréquente à la perte d’un proche. Elle est souvent dirigée contre ceux qui « remplacent » le parent disparu.
Mon filleul attend toujours que sa maman revienne.
L’irréversibilité de la mort ne s’acquiert que vers 8 ans. Avant cet âge, le concept de mort est en cours de maturation, l’enfant peut alors rester dans l’attente du retour de la personne décédée et lui parler. Le processus du deuil implique de reconnaître la réalité de la perte et d’abandonner l’espoir de voir revenir le parent disparu.
Aurions-nous dû emmener Marie voir la dépouille de sa maman ? Nous avons préféré lui épargner ce moment pénible.
Si on écarte un enfant jugé trop jeune pour vivre cet ultime temps de séparation, on le prive d’un moment qui lui appartient en propre et par lequel sa vie à lui se construit. Qui peut décider d’enlever à un enfant la possibilité de vivre ces instants sinon celui qui a peur lui-même de les affronter ? Ce n’est pas le corps du défunt qui est choquant pour un enfant, ce sont les non-dits, les angoisses et le fait d’être mis à l’écart.
De quoi le jeune enfant a-t-il besoin ?
D’être inclus et de recevoir des explications précises. L’enfant a besoin de vérifier que c’est bien vrai, de voir. Il a besoin d’obtenir des réponses satisfaisantes à ses questions, d’assister aux conversations familiales, de sentir le climat qui se vit. Le silence et le manque d’information sont des traumatismes supplémentaires. Lorsqu’il est exclu, l’enfant fantasme facilement Ce qui lui passe alors par la tête risque d’être plus choquant encore que ce qu’on a voulu lui épargner.
L’enfant a-t-il sa place lors des rites funéraires ?
Plus on cache la souffrance, plus elle grandit en nous. Dans un moment d’apparente déstructuration, les rites entourant la mort sont essentiels pour que les étapes du deuil se mettent en place. Accompagner le défunt, rester près de lui, le veiller, le regarder s’éloigner, c’est apprivoiser la mort. Quelques jours, c’est si peu pour vivre cette transition ! Pourtant 60 % des enfants de 2 à 8 ans sont tenus à l’écart même s’ils veulent participer. Vivre ces jours entre la mort et l’inhumation, préparer la cérémonie d’adieu, être ensemble, quelle force pour la suite ! Petits et grands sont alors complémentaires.
Notre petit-fils n’a pas l’air triste …
Oui, car l’enfant vit dans l’instant présent. Il passe rapidement de la tristesse du deuil à la joie dans la vie quotidienne. Certains enfants semblent continuer à vivre normalement. Pourtant ce que l’on observe de l’extérieur ne reflète pas ce qu’ils vivent et ressentent. L’enfant peut contenir son chagrin et « s’asseoir dessus ». Mettre son deuil à distance sera parfois une question de survie. Un jour pourtant, il lui faudra revisiter le fond de son cœur et renouer avec ses émotions d’enfant.
Puis-je aider ma nièce qui vient de perdre son père ?
Chaque enfant en deuil devrait recevoir un signe lui montrant qu’on s’intéresse à lui, par exemple une lettre pour lui seul. J’insiste sur la nécessité de dire la vérité à l’enfant et de le rassurer sur son devenir. Tous les enfants y compris ceux qui ne savent pas encore parler ont besoin d’avoir une explication sur la mort de leur parent. Le risque est de ne plus parler avec l’enfant, de croire que la page peut se tourner pour lui.
Je préfère ne pas parler de sa maman à ma filleule. J’ai peur de lui faire de la peine.
Au contraire, c’est un très beau cadeau à lui faire ! Vous rendrez un grand service à votre filleule si vous faites vivre cet être aimé avec ses défauts et ses qualités, très naturellement, juste pour la rendre plus réelle et lui permettre de rester vivante dans son cœur. Vous l’aidez alors à construire « le mur de ses souvenirs ». À cette fin, une boîte bien à elle dans laquelle cette petite fille mettra ses trésors liés à sa mère sera mystérieusement le lien qui la relie à « elle ».
Qui est le plus apte à accompagner l’enfant ?
Il est utile de multiplier les personnes qui l’entoureront, le consoleront, l’aideront à extérioriser sa peine sans spiritualisation excessive. En affirmant d’emblée à un enfant que ce proche disparu est bien, qu’il est au Ciel comme si cela réglait tout, on peut éviter d’entendre son désarroi émotionnel. Pour l’enfant, la disparition laisse un trou béant.
Quatre points essentiels
1. Tu n’es pas responsable de la mort de x. Rien de ce que tu as pu dire, penser ou faire n’a entraîné sa mort.
2. La mort n’est pas contagieuse. Ni ta maman, ni ton frère ou ta sœur ne vont mourir même si x est mort de façon inattendue.
3. Rassure-toi, nous allons prendre soin de toi, de ta peine. Nous allons t’entourer. Voilà ce qui va se passer pour toi…
4. Nous continuerons à aimer x. Nous ne l’oublierons pas. Il (elle) sera toujours vivant dans ton cœur.