La révolution spirituelle inaugurée par Jésus

À l’occasion de l’année de réflexion « Familles 2011 », Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont et vice-président de la Conférence des évêques de France, dans un texte publié le 27 avril, invite à dépasser la problématique des obligations ou des devoirs pour vivre du souffle de la Résurrection. Extrait.

Il me semble que nos contemporains ne mesurent pas, ou ne mesurent plus, la portée de la « révolution spirituelle » inaugurée par Jésus de Nazareth. Jusqu’à lui, et c’est encore bien souvent le cas pour les cultures où le christianisme n’a pas été annoncé, la seule perspective de survie envisagée par les êtres humains est celle d’une descendance charnelle. Comme tous les êtres vivants sexués, nous, les êtres humains, nous sommes soumis inexorablement à la loi de la mort individuelle. Et nous ne pouvons survivre qu’en transmettant la vie à des enfants qui, à leur tour la transmettront à leurs enfants, etc.

C’est pourquoi l’impératif de la transmission de la vie est si fort dans toutes les sociétés et à toutes les époques. Le mariage y est organisé d’abord en vue de la survie du groupe, et non pas comme communauté d’amour et de partage entre des époux considérés à parité de dignité. C’est pourquoi, réciproquement, la stérilité est très souvent considérée comme un motif suffisant de répudiation de la femme. Celle-ci n’a de valeur qu’en fonction de sa capacité à devenir mère et à perpétuer la famille. C’est pourquoi aussi le célibat est entouré soit de mépris, soit de commisération. Comme on le lit dans la Bible, mais aussi dans la plupart des grandes traditions religieuses, mourir sans enfant est un malheur sans nom.

Notre époque n’échappe pas à cet impératif. Et l’on voit des célébrités, qui se vantaient jusque-là de mener une vie insouciante, se raviser brusquement, parfois à un âge très avancé, et se glorifier d’avoir enfin l’enfant inespéré. C’est bien le signe qu’à l’approche de la mort l’inconscient est capable de se réveiller et de rattraper celles et ceux qui faisaient semblant de l’ignorer.

Mais, à partir du moment où Jésus vient ouvrir aux croyants la perspective de la Résurrection, tout peut s’inverser. Ce sont les personnes, et non plus le groupe ou la société qui reçoivent « les promesses de la vie éternelle ». L’impératif d’avoir une descendance charnelle n’est plus absolu. Et le mariage lui-même n’est plus « nécessaire », en ce sens que tout chrétien peut (et devrait !) s’interroger pour savoir à quel état de vie il (ou elle) est appelé(e). Car alors, en effet, le célibat devient pensable et non plus seulement par défaut (3). Chacun peut envisager de consacrer sa vie au Seigneur et au service des autres. Et c’est ainsi que tout disciple du Christ peut se poser la question de l’orientation de sa vie en termes de « vocation ».

Dès lors, pour ceux qui répondent, en conscience et devant Dieu, qu’ils ne pensent pas être appelés à rester célibataires, le mariage devient pour eux leur vocation ! Ils ne se sentent plus « obligés » de se marier, car le mariage n’est plus perçu comme une nécessité biologique ou sociale ; ils se découvrent libres de décider de se marier. Et c’est pourquoi le mariage, selon la grande Tradition chrétienne, est « élevé à la dignité de sacrement » (4). Il n’est plus seulement une réalité de nature ou un fait de société. Il devient sacrement de « l’Alliance » entre Dieu et son peuple. Il est l’alliance libre de deux personnes libres, appelées à manifester la grandeur et la fidélité de l’Amour du Christ pour son Église.

Dans cette perspective, l’accueil des enfants n’est plus seulement vécu comme l’accomplissement du désir de survivre et de prolonger la famille ou le groupe. Il est à vivre comme un don gratuit, de la part de Dieu, Maître de la vie. Les parents, appelés à former une communauté de vie et d’amour, sont invités à transmettre la vie à des enfants. Mais ils ne les désirent plus seulement comme un prolongement d’eux-mêmes : ils ont à se mettre au service de la vocation de ces enfants. C’est en ce sens que la Sainte Famille, figure éminente de l’amour d’adoption, peut être proposée en modèle pour toute famille : « Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ? » (Lc 2, 49).

Un tel renversement de perspectives peut déployer ses conséquences dans bien des domaines. Il est ici à peine esquissé. Il n’est évidemment pas spontané : il appelle les époux à tout un travail intérieur, et parfois même à un vrai combat spirituel. Mais n’est-ce pas à cela que sont appelés tous les disciples du Christ ?

Ce texte est publié sur http://catholique-clermont.cef.fr/article.php3?id_article=3779.

(3) Cf. « Le célibat des prêtres, pour en parler positivement » : http://www.eglise.catholique.fr/actualites-et-evenements/actualites/le-celibat-des-pretres-pour-en-parler-positivement-5379.html.

(4) Cf. Oraison du Missel romain, pour la messe de mariage.