Les procès de béatification et de canonisation — critères, procédures et signification

Les procès de béatification et de canonisation Critères, procédures et signification

Cardinal Angelo Amato

Revue Communio, Rendre témoignage, t. 37, 2012, 4, pp. 113-124

1. L’Église sainte, mère des saints

Dans l’Église du Christ, une et sainte, les chrétiens, par le baptême, « tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie, ou qu’ils soient conduits par elle, sont appelés à la sainteté 1 ». Dans le Nouveau Testament, il est courant d’appeler les baptisés « les saints » (voir Actes 9, 13,32-41 ; Romains 1, 7 ; 1 Corinthiens 1, 2) et par conséquent, ils sont invités à mener une existence digne de ce nom, devenant « un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu » (Romains 12, 1).
La grâce du baptême renouvelle ainsi l’esprit et le cœur des fidèles, pour en faire des créatures nouvelles, régis par la foi droite et une manière de vivre juste. Dès les premiers temps, l’Église a reconnu les mérites de ces témoins privilégiés de l’Évangile qui ont sacrifié leur vie pour le Christ, comme les martyrs, ou qui ont mené une existence d’union parfaite avec Dieu et de grande charité envers le prochain, comme les confesseurs.
La sainteté montre l’identité de la foi chrétienne et les saints apportent la preuve qu’il est possible d’insérer le christianisme dans l’histoire. De fait, les saints sont l’apologie vivante de l’Évangile, car c’est par leur expérience vertueuse qu’ils révèlent au monde la vérité et la bonté de la sequela Christi.
Mais qu’est-ce que la sainteté ? « La sainteté — affirme saint Thomas d’Aquin — est la disposition avec laquelle l’âme humaine rapporte à Dieu elle-même et ses propres actions 2 ». La sainteté est l’imitation du Christ et la conformité de toutes les énergies de l’esprit et du cœur au Christ. Les saints, que ce soit les martyrs ou les confesseurs vivent entièrement tournés vers Dieu et son royaume de vérité, de justice et de paix. C’est ceci le contenu de la sainteté chrétienne : une vie passée dans la communion d’amour avec Dieu et dépensée dans une charité active envers le prochain, signe de la présence même de Dieu (voir Matthieu 25, 34-36).
Les martyrs, comme saint Pierre, saint Paul, ou en notre temps, saint Maximilien Kolbe, les confesseurs, comme saint François d’Assise, sainte Catherine de Sienne ou saint (Padre) Pio de Pietrelcina, sont justement des personnes qui ont aimé Dieu par-dessous tout et le prochain avec une entière et totale charité. Ils se reflètent dans le Christ, leur maître et leur modèle : « Devenir semblable au Christ — disait la Bienheureuse mère Teresa de Calcutta — signifie devenir plus saints 3 ». Les béatitudes qu’il a proclamées constituent la feuille de route de la sainteté chrétienne (Matthieu 5, 3-12).

2. La vertu héroïque

Il est évident que la sainteté est le fruit, d’une part du libre arbitre de l’homme, et d’autre part de la grâce divine. Celle-ci, bien qu’elle soit invisible à nos yeux, se manifeste à travers des signes extérieurs qui sont reconnus par l’Église comme des critères pour discerner et évaluer la perfection de ses fils. Ces signes sont : l’héroïcité des vertus, le martyre, la réputation de sainteté et de signes 4, les miracles. Les procès de béatification et de canonisation se concentrent sur la vérification de ces signes extérieurs.
Pour déclarer sainte une personne, il est nécessaire avant tout de vérifier la preuve de ses vertus. Le saint est un être vertueux en tous points. On sait que la vertu est la disposition habituelle à accomplir le bien. Ceci se manifeste extérieurement par des actions droites, comme par exemple, les actes de foi, d’espérance, de charité, de prudence, de justice, de force, de tempérance, d’humilité, de patience. Il est évident que la vertu n’est pas une coercition intrinsèque, mais la libre expression de la volonté humaine. Si l’on veut, on peut accomplir le bien comme l’on peut, aussi librement hélas, accomplir également le mal.
Dans l’exercice des vertus, il peut y avoir des pauses et des fléchissements. Cependant, si les chutes sont fréquentes, on ne peut certes pas alors parler de vertu. Par conséquent, on donne une certaine gradation à la vertu selon que l’habitude de faire le bien est plus ou moins solidement motivée et intériorisée.
Dans les procès de béatification, l’Église réclame une pratique constante de la vertu, elle exige même la présence d’une vertu héroïque, une vertu qui s’exerce sans hésitation, avec fermeté et continuité ; une vertu qui, bien qu’exercée par un être humain, devienne transparence divine, signe privilégié de la grâce. Il semblerait que l’expression vertu héroïque dérive d’Aristote, qui, dans le héros homérique Hector, découvre « une vertu surhumaine », cette certaine vertu héroïque et divine, selon laquelle Homère fait dire à Priam à propos d’Hector qui était exceptionnellement valeureux : « Il ne semblait pas le fils d’un mortel, mais d’un Dieu 5 ». Comme les héros de l’histoire homérique, le héros chrétien aussi, le saint, par sa vie vertueuse apparaît comme un être surhumain qui s’élève bien au-dessus des autres.
Benoît XIV (1740-1758), appelé le Magister pour son œuvre monumentale sur la cause des saints, décrit ainsi la vertu héroïque : « Pour qu’elle soit héroïque, la vertu chrétienne doit être effectuée rapidement, promptement et avec plaisir (expedite, prompte et delectabiliter), au-delà de la façon habituelle, et en vue d’une fin surnaturelle (ex fine supernaturali) 6 ». Si la facilité, la promptitude et le plaisir peuvent être les attributs de toute vertu, c’est surtout le supra commune modum qui qualifie la vertu héroïque. Il s’agit en effet d’un exercice vertueux qui s’élève bien au-delà de la pratique ordinaire des vertus, de « ce sommet suprême où quelqu’un surpasse de beaucoup la bonté des autres hommes justes, qui aspirent à la perfection chrétienne avec moins d’élan 7 ».
La vertu héroïque demande une audace exceptionnelle qui étonne et fascine. En fait, dans l’acte héroïque on voit une extrême difficulté qui, dans un certain sens, dépasse toute expectative humaine. Rester chaste pendant une semaine n’est pas vraiment un acte héroïque, mais l’être pendant toute la vie, sans aucune chute, est un acte héroïque qui a une valeur absolue et requiert une extraordinaire fermeté. Il convient peut-être encore de préciser ce concept. Même s’il arrive assez fréquemment que certains saints soient appelés à accomplir des actions exceptionnelles qui impressionnent le prochain, l’héroïsme chrétien cependant se réfère surtout à celui qui, quotidiennement, vit la routine et l’usure de la vie ordinaire d’une façon extraordinaire, c’est-à-dire de manière à être toujours en conformité avec la volonté de Dieu et avec les principes de fidélité et de charité.
La pratique héroïque de la vertu montre l’assimilation progressive et la transfiguration du baptisé dans le Christ en tant que fruit en même temps de la grâce divine et de la libre coopération de la volonté humaine. « À l’invitation amoureuse de Dieu, l’homme — prévenu et soutenu par l’aide divine — doit répondre avec un amour inconditionnel et total qui, loin de se dépenser en velléités stériles ou en sentimentalismes béats, doit au contraire œuvrer avec une grande efficacité 8 ». À cause de cette configuration au Christ, le saint apparaît comme un alter Christus.

3. Le martyre

Un autre signe de sainteté chrétienne est le martyre qui est le témoignage suprême de la foi d’un baptisé dans le Dieu Trinité, au point de sacrifier sa propre vie. Dès le début, les martyrs chrétiens ont été persécutés et tués pour leur fidélité à l’Évangile. En imitant le Christ, le martyr par excellence qui pardonnera à ceux qui l’avaient crucifié, les martyrs chrétiens pardonnent à leurs bourreaux : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché », dit le premier martyr Étienne, pardonnant ainsi à ceux qui le lapidaient (Actes 7, 60).
Même si l’époque des martyrs rappelle d’habitude les trois premiers siècles du christianisme quand se déchaînèrent les persécutions des empereurs romains, en réalité, toute l’histoire de l’Église est marquée par le martyre. Durant les trois derniers siècles, et si l’on compte seulement l’Europe, il y a eu quatre persécutions impitoyables contre les chrétiens. Avec l’intention d’anéantir l’Église et d’éradiquer la parole de Dieu du cœur des croyants : la Révolution française, le régime communiste, la révolution espagnole et le régime nazi ont fait des millions de victimes innocentes dont la seule faute était de confesser la foi en Dieu Trinité. Il s’agit du témoignage par le martyre d’évêques, de prêtres, de fidèles laïcs, petits et grands, hommes et femmes, qui ont perdu la vie à cause de la haine que leurs bourreaux avaient contre le Christ et sa parole de vérité et de paix.
L’Église n’oublie pas ses fils et en rappelle le souvenir et les bienfaits en les béatifiant et en les canonisant, les proposant comme modèles de comportement héroïques en face des ennemis. Seulement en 2011, ont été élevés aux honneurs des autels, en France la Bienheureuse Marguerite Routan (+ 1794), Fille de la Charité, en martyre de lé Révolution Française ; en Espagne les Bienheureux Oblats de Marie Immaculée (+ 1936), victimes de la persécution espagnole ; en Bosnie Herzégovine, les Bienheureuses Filles de la Charité, appelées Les Martyres de la Drina (+ 1941), parce qu’elles furent tuées sauvagement par des soldats marxistes et jetées encore agonisantes dans les eaux glacées de la Drina ; en Allemagne, les Bienheureux Georg Hafner (+ 1942), Alois Andritzki (+ 1943), Johannes Prassek, Hermann Lange et Andreas Paul Edvard (+ 1943), tous les cinq, prêtres, tués sous le régime nazi en diverses circonstances : ces martyrs allemands montrent le visage noble et courageux de l’Église en Allemagne, alors gouvernée par l’Anti-Christ ; en Autriche le Bienheureux Carl Lampart (+ 1944), prêtre, victime lui aussi de la folie nazie ; en Roumanie le Bienheureux Jànos Scheffler, évêque et martyr (+ 1952), victime de l’impitoyable régime communiste roumain.
Le Christ avait annoncé à ses disciples la haine, la persécution et la mort : (voir Matthieu 10, 17,24) : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez pas scandalisés… Celui qui vous fera périr croira présenter un sacrifice à Dieu » (Jean 16, 1-2). Les martyrs sont appelés à une configuration particulière au Christ crucifié, avec lequel ils partagent la passion et la mort. Ils ne haïssent pas la vie et ne désirent pas la mort, mais ils la subissent avec force et courage, désireux d’entrer, avec le Christ ressuscité, dans le bonheur éternel du ciel.
Les martyrs sont les boussoles qui orientent notre regard vers la vie éternelle. Ils s’offrent à leurs bourreaux comme un pain immaculé pour devenir une offrande eucharistique, « sacrifice parfait et accepté 9 ». Dans le Martyre de saint Polycarpe on raconte que, dès qu’il eut terminé sa prière d’action de grâce à Dieu, on mit le feu au bûcher : « la flamme s’élevait avec force. Nous vîmes un prodige et c’est à nous qu’il a été donné de le voir. Nous avons survécu pour raconter aux autres ces événements. Le feu, dessinant une espèce de volute, comme une voile de navire gonflée par le vent, tourna autour du corps du martyr. Lui restait au milieu, non pas comme de la chair qui brûle mais comme un pain qui cuit, ou comme l’or et l’argent qui brûlent dans la fournaise. Et nous sentîmes comme un parfum d’encens qui s’élevait, ou d’autres arômes précieux 10 ». Dans un certain sens, le martyre reflète la liturgie eucharistique. Le martyr participe déjà sur cette terre à la liturgie céleste, il s’offre comme un pain qu’on cuit, comme une hostie à consacrer, comme une oblation qui plaît à Dieu. Le martyr complète dans sa chair ce qui manque aux souffrances du Christ, pour son corps qui est l’Église (1 Corinthiens 1,24).
Il nous faut enfin remarquer que les persécuteurs de l’Église aujourd’hui cherchent à masquer leur hostilité à la foi chrétienne et leur odium fidei par des motivations autres, de type politique ou social. Le Saint-Père Benoît XVI l’a souligné dans un discours du 24 avril 2006. Il affirme : « Les modalités du martyre et les stratégies ex parte persecutoris ont changé. Ils cherchent de moins en moins à mettre en évidence de façon explicite leur aversion de la foi chrétienne ou d’un comportement en accord avec les vertus chrétiennes, mais ils invoquent différentes raisons, par exemple de nature politique ou sociale ».

4. La réputation de sainteté et les signes

En dehors du martyre ou de la pratique des vertus héroïques, dans un procès de béatification et de canonisation, on tient compte aussi de la sainteté et des signes. À ce sujet, la tradition parle de vox populi, vox Dei, ou encore de sensus fidelium. En réalité, l’Église a toujours voulu confirmer cette vox populi en vérifiant avec soin les faits, grâce aux témoignages relatifs à la sainteté, au martyre et à la présence de grâces ou de faveurs divines obtenues par l’intercession d’un Serviteur de Dieu.
Le pape Benoît XIV décrit de façon détaillée cette fama sanctitatis et signorum : « En général, la réputation de sainteté n’est autre chose que l’estime ou l’opinion commune en ce qui concerne la pureté et l’intégrité de la vie, non par des vertus quelconques mais par ces vertus qui, grâce à des actions continuelles, ont été exercées en diverses occasions par ce Serviteur ou cette Servante de Dieu décédés, au-delà du mode opératoire ordinaire des autres hommes et femmes justes ; cette estime recouvre aussi les miracles obtenus de Dieu par leur intercession ; de telle sorte que la dévotion envers eux a surgi en un ou plusieurs lieux, ils sont invoqués par diverses personnes pour des bienfaits, et considérés dignes selon le jugement de beaucoup de personnes autorisées à être comptés dans le cercle des Bienheureux et des Saints par le Saint Siège 11.
Il faut sans doute remarquer, que, pour que soit reconnue authentique la fama sanctitatis et martyrii, il ne suffit pas qu’elle soit déclarée par la plus grande partie du peuple, mais elle doit être aussi avalisée par des personnes particulièrement qualifiées par leur jugement sûr et équitable. Enfin, on ne demande pas un plébiscite qui reconnaîtrait la réputation de sainteté ou de martyre. Même lorsqu’on recueille des témoignages contraires à cette réputation, la vérification des motivations peut conduire à la confirmer. Par exemple, dans le cas de saint Charles Borromée, on sait que sa sainteté était niée par ceux qui ne voyaient pas d’un bon œil son action restauratrice de la discipline du clergé.

5. Les miracles

Pour compléter le parcours canonique de béatification, il faut le miracle qui est le signe attestant que le Serviteur de Dieu jouit de la vie divine. Pour saint Thomas d’Aquin : « Les vrais miracles ne peuvent être accomplis que par la vertu divine : Dieu en effet, les accomplit pour le bien des hommes… pour montrer la sainteté d’une personne 12 ». Le premier et suprême thaumaturge fut Jésus qui accomplit des miracles de guérison, de résurrection, de multiplication, de libération du démon, de domination de la nature.
En général, on peut affirmer que le miracle est ce que la nature ne peut pas faire : « Le miracle est un événement exceptionnel — dû à une intervention spéciale de Dieu — qui surpasse le cours normal de la nature… ayant pour fin de soulager les souffrances des créatures humaines et de montrer l’amour personnel de Dieu pour elles 13 ».
En vénérant les saints, l’Église Catholique les reconnaît comme des intercesseurs particuliers auprès du Dieu Trinité en faveur de ceux qui recourent à eux 14. Pour cette raison, elle demande que, pour les déclarer Bienheureux et Saints, il faut des miracles, c’est-à-dire des interventions extraordinaires de Dieu, obtenues grâce à leur intercession. En particulier, pour la béatification d’un Serviteur de Dieu non martyr, on demande un miracle, et encore un autre pour sa canonisation, de même pour un martyr déjà béatifié. Le miracle constitue le sceau divin qui confirme la constatation humaine du martyre ou des vertus héroïques d’un Serviteur ou d’une Servante de Dieu.
L’événement miraculeux — qu’il s’agisse d’une guérison ou d’un danger auquel quelqu’un aurait échappé — doit être scientifiquement inexplicable. En outre, il faut vérifier l’existence d’un lien temporel et causal entre l’intercession et la vérification du fait extraordinaire.
Ce fut Pie XII qui institua, en 1948, auprès de la Congrégation pour la cause des saints, une commission médicale chargée d’examiner en collégialité, pour les cas de guérisons que l’on suppose miraculeuses, si une parfaite santé a été vraiment retrouvée, et si une telle guérison est explicable ou non selon les lois naturelles 15. Ce Collège médical fut effectivement constitué le 4 août 1948 et reçut l’approbation pontificale lors de l’audience du 22 octobre de la même année. En 1959, le Pape Jean XXIII transformait le Collège médical en Conseil médical, et en 1976, Paul VI approuvait ce nouveau règlement. Jean-Paul II, en 1983, avec la constitution apostolique Divinus Perfectionis Magister, fit une autre réforme de procédure qui requiert, pour les miracles, l’examen de la part de deux experts d’office, la discussion en Conseil médical, l’évaluation théologique, le débat en session ordinaire des cardinaux et des évêques, et enfin la ratification par le Saint-Père qui autorise la publication du décret sur les miracles.
La raison pour laquelle on demande un miracle réside dans le fait que le miracle est une confirmation de la part de Dieu du jugement émis par les hommes : « En d’autres termes, alors que le Diocèse, le Saint Siège et ses dicastères ont accompli leur devoir avec tout le sérieux et la compétence voulus, et sont ainsi parvenus à formuler un jugement positif sur la sainteté d’une personne, l’Église est consciente du fait que ceux qui sont arrivés à exprimer un tel jugement, bien qu’ils aient travaillé avec sérieux, ont pu tomber dans quelques erreurs 16 ».
Au jugement des personnes humainement faillibles, le miracle appose le sceau d’un événement humainement inexplicable, œuvre de la toute-puissance divine, grâce à l’intercession du Serviteur de Dieu ou du Bienheureux.

6. La béatification

Il est sans doute utile de rappeler les titres officiels que l’on donne aux personnes qui ont vécu et qui sont mortes en odeur de sainteté, et dont on fait le procès canonique. Tout d’abord, il y a le titre Serviteur de Dieu donné au fidèle catholique dont on a commencé la cause de béatification et de canonisation 17. Dans un second temps, le titre de Vénérable est donné au Serviteur de Dieu après la promulgation du décret sur l’héroï- cité de ses vertus ou de celui de son martyre.
La béatification est l’étape intermédiaire en vue de la canonisation. Par la béatification, le souverain pontife déclare « Bienheureux » le Serviteur de Dieu, permettant son culte public et ecclésiastique, limité à des lieux déterminés, comme le diocèse ou l’éparchie ; à des groupes religieux déterminés, comme des congrégations religieuses ou des instituts fondés par le Bienheureux ou auxquels il appartenait ; ou enfin à une nation particulière à cause de l’apostolat que le Bienheureux y a exercé. Quelquefois, comme dans le cas récent du Bienheureux Jean-Paul II, le culte peut être étendu aux diocèses qui en font la demande. Dans tous les cas, le culte du Bienheureux est de type permis et non obligatoire.
La cérémonie de béatification se déroule pendant la Sainte Messe. Aussitôt après le rite pénitentiel, le représentant du Pape, qui d’habitude est le Préfet de la Congrégation pour la cause des saints, lit la Lettre apostolique signée par le Saint-Père, par laquelle, après avoir retracé brièvement le portrait-robot spirituel du Serviteur de Dieu, le Pape déclare solennellement que le Vénérable Serviteur de Dieu peut être appelé « Bienheureux ». On indique ensuite la date de sa fête liturgique — d’habitude son dies natalis — qui peut être célébrée chaque année dans les lieux et les modes établis par le droit.
Disons tout de suite que, depuis que le pape Benoît XVI a fait en sorte que la célébration des béatifications ait lieu non plus à Rome mais dans le diocèse d’origine du Bienheureux, cette célébration a pris une importance particulière. En effet, elle est précédée par toute une période de préparation des fidèles in loco qui se diffuse dans les paroisses et les instituts religieux. Ils prennent connaissance de la vie, des vertus et de l’efficacité de l’intercession de ce Vénérable Serviteur de Dieu.
Le but de cette préparation est de promouvoir non seulement l’ admiration devant l’héroïsme des vertus ou du martyre du Serviteur de Dieu, mais encore l’imitation de sa fidélité à la sequela Christi, pour raviver dans le cœur de chacun les désirs et l’engagement concret vers sa sanctification personnelle.
Dans la préparation et dans la célébration de la béatification, les évêques et les supérieurs religieux voient un événement pastoral de grande importance pour les diocèses et les Instituts de vie consacrée. Les retombées spirituelles en sont unanimement reconnues. L’enthousiasme et la participation massive à ces cérémonies révèlent l’intérêt profond du peuple de Dieu pour ces nouveaux Bienheureux, qui s’offrent alors comme des modèles positifs de vie évangélique, à contempler et à suivre. Les Bienheureux constituent le trésor des diocèses et des congrégations religieuses qui sont enrichis spirituellement par leur présence et par leur puissance d’intercession auprès du Seigneur.
En outre, les fidèles sentent qu’ils leur « appartiennent », car ils sont issus de leur terre et de leur culture. De ce point de vue, la béatification devient une forme de l’inculturation de la foi, puisque les Bienheureux, par leur vie vertueuse, évaluée et reconnue officiellement par l’Église, mettent en évidence que, dans n’importe quelle culture et dans n’importe quel lieu, on peut vivre avec cohérence, fidélité et force selon l’Évangile de Jésus-Christ. Il n’y a pas de contre-indications préjudiciables à la sainteté chrétienne.
La possibilité de pouvoir célébrer la béatification dans un diocèse déterminé est une véritable bénédiction. Elle devient un signe tangible de la coopération non seulement de simples fidèles mais aussi de toutes les formes associatives pour que le jour de la cérémonie soit aussi beau et solennel que possible. Préparée ainsi, la béatification devient une expérience ecclésiale originale.
Nous voulons faire une dernière remarque concernant les autorités civiles qui collaborent, elles aussi, avec zèle et créativité à la préparation et au bon déroulement d’une béatification. Pourquoi cette collaboration externe ? La réponse se trouve dans la personnalité même des Bienheureux qui se font non seulement les promoteurs du progrès spirituel des fidèles, mais qui, par la sainteté de leur vie et leur charité envers les pauvres, aident à repérer, adoucir et guérir les plaies de la pauvreté, de l’ignorance et de l’abandon. D’un point de vue social, on peut qualifier les Bienheureux de bienfaiteurs de l ‘humanité car ils contribuent même au bien temporel du prochain. De plus, ils arrivent miraculeusement à mettre de l’harmonie entre les pouvoirs civils et religieux. Ils unissent et ne divisent. pas. Et lorsqu’il s’agit de martyrs, ils invitent à pardonner et à ne pas se venger, à aimer les ennemis et à prier pour les persécuteurs.

 

7. La canonisation

Si, après la béatification, il advient qu’un autre miracle soit reconnu, on arrive à la canonisation qui est l’acte par lequel le souverain pontife déclare sous forme définitive et solennelle, qu’un fidèle catholique est vraiment dans la gloire éternelle du Paradis, qu’il intercède pour nous auprès du Père et qu’il peut être publiquement vénéré par toute l’Église 18.
IL faut sans doute préciser la nature de cette déclaration, et ceci pour donner le sens exact et la valeur théologique de la laborieuse procédure canonique relative aux procès de béatifications et de canonisations.
Dans une Note de la Congrégation de la doctrine de la foi du 29 juin 1998, il est précisé que la canonisation des saints appartient à la seconde catégorie ou au second degré de la Professio fidei, c’est-à-dire à ces « vérités à propos de la doctrine qui concernent la foi ou les mœurs, proposées par l’Église de façon définitive 19 ». Il s’agit de ces « doctrines se référant au domaine du dogme ou de la morale, qui sont nécessaires, pour garder et exposer fidèlement le dépôt de la foi, bien qu’elles ne soient pas proposées comme formellement révélées par le Magistère de l’Église 20 ».
La Note continue en proposant des exemples concrets de doctrines appartenant à ce second degré de la Professio fidei : « En référence aux vérités liées à la Révélation pour d’évidentes raisons historiques, que l’on doit affirmer de façon définitive mais que l’on ne doit pas déclarer comme divinement révélées, on peut donner comme exemple la légitimité de l’élection du souverain pontife ou de la célébration d’un concile œcuménique, les canonisations des saints (faits dogmatiques) ; la déclaration de Léon XIII dans la Lettre apostolique Apostolica curae sur l’invalidité des ordinations anglicanes 21 ».
Comme on le voit, la canonisation revêt l’importance d’une déclaration du magistère de grande qualité théologique. De ce point de vue, on peut expliquer la minutie et le soin donnés au parcours historique, canonique et théologique pour atteindre le but désiré.
En ce qui concerne les dernières phases de la procédure, il faut rappeler que, après la promulgation du décret sur les miracles, le souverain pontife convoque un Consistoire ordinaire durant lequel il confirme l’avis des cardinaux et des évêques et annonce la date de la future canonisation.
La célébration de la canonisation qui attribue au Bienheureux le culte de l’Église universelle a lieu d’habitude à Rome et est toujours présidée par le souverain pontife qui se prononce sur la sainteté du Serviteur de Dieu par une déclaration définitive. Il ordonne que le nouveau saint soit honoré par un culte public ecclésial dans l’Église universelle. La canonisation est attestée par la Lettre décrétale qui, signée par le souverain pontife, est le document qui prouve l’événement.
Pour conclure, on peut se demander quel genre d’approbation est requis pour cette forme du prononcé du magistère qui appartient au second degré ou catégorie de la Professio fidei. Nous répondons par ce que déclare la Note de la Congrégation pour la doctrine de la foi que nous avons déjà citée : « En ce qui concerne la nature de l’approbation… :… lorsqu’il s’agit des vérités de la seconde catégorie ou degré, elle est fondée sur la foi dans l’assistance que donne l’Esprit Saint au magistère et sur la doctrine catholique de l’infaillibilité du magistère (doctrines de fide tenenda) 22 ».

 

8. Signification de la sainteté

Pour des développements ultérieurs en ce qui concerne ce paragraphe nous renvoyons à quelques-unes de nos publications 23. Ici disons seulement que les saints apparaissent comme les interprètes les plus convaincants de l’Évangile qu’ils transmettent dans le langage concret de la charité, compréhensible à tous.
Ils sont la chaire de la parole de Dieu, qu’ils diffusent, non par des sons impuissants mais par un comportement, des paroles et des actions qui ont un impact extraordinaire. Ils deviennent les messagers de toute évangélisation chrétienne. Comme des aimants spirituels, ils attirent par la splendeur de leurs vertus. Comme des arbres au printemps, ils font germer dans l’Église les fleurs et les fruits de la vie droite enseignée par Jésus.

 

(Traduit de l’italien par Odile Vetö. Titre original : 1 processi di Beatificazione e Canonizzazione Criteriologia, procedura, significato)
Cardinal Angelo Amato

Revue Communio, Rendre témoignage, t. 37, 2012, 4, pp. 113-124
Angelo Amato, S.D.B., né en 1938, ordonné prêtre et membre des Salésiens de Don Bosco en 1967, docteur en théologie, fut secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 2002 à 2008 et fait cardinal en 2010 par Benoît XVI. Il est depuis 2008 Préfet de la Congrégation pour la cause des saints.

Notes 1. Concile oecuménique Vatican II — Const. Dogm. Lumen Gentium n. 33. 2. Somme théologique II-II q. 81, art. 8. 3. Brian KOLODIEJCHUK (éd.), Madre Teresa. Dove c ‘è amore, c’ è Dio. La via per la felicità spirituale, Milano, Rizzoli, 2010, p. 385. 4. La réputation des signes est l’opinion répandue parmi les fidèles selon laquelle Dieu concède des grâces et des faveurs par l’intercession du Serviteur de Dieu. 5. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque 1, 7 c. 1. 6. BENOIT XIV, De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione, 1. 3, c. 22, n. 1. 7. Ibid. 1. 3, c. 21, n. 9. 8. Daniel OLS, La santità. Approccio biblico, patristico, teologico, in CONGREGAZIONE DELLE CAUSE DEI SANTI, Le cause dei santi (Vincenzo Criscuolo, Daniel Ols e Robert J. Sarno, éd.), Libreria Editrice Vaticana, Città deI Vaticano, 2011, p. 35. 9. Martyre de Polycarpe, XlV, 2. 10. Ibid. XV, 1-2. 11. BENOIT XlV, De servorum Dei beatificatione, 1. 2, c. 39, n. 7. 12. Somme théologique II-II q. 178, art. 2. 13. Paolo MOLINARI, I miracoli nelle beatificazioni e nelle canon izzazioni, in « La Civiltà Cattolica » 162 (2011) III, p. 245-251. 14. Concile œcuménique Vatican II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 50. 15. Voir Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XlI, Città dei Vaticano, Tip. Poliglotta Vaticana, 1959, p. 468. 16. Paolo MOLINARI, 1 miracoli, p. 251. 17. Congrégation pour la cause des saints, Instruction Sanctorum Mater (2007), art. 4 § 2. 18. Voir Congrégation pour la cause des saints, Le cause dei santi, p. 343-344. 19. Voir Congrégation pour la cause des saints, Nota illustrativa dottrinale della formuLa conclusiva della « Professio Fidei » (29 juin 1998), n. 1,2. 20. Ibid. 21. Ibid. n. 2, 2. C’est nous qui soulignons. 22. Ibid. n. 1, 2. 23. Voir Angelo AMATO, 1 Santi nella Chiesa, Libreria Editrice Vaticana, Città dei Vaticano, 2010 ; Id., 1 Santi si specchiano in Cristo, ibid. 20 Il ; Id., 1 Santi testimoni dellafede, ibid. 2012.