Un article de Dominique Biot, sur le site Eschaton
On dit que l’orgueil spirituel est le fléau des âmes pieuses, mais il faudrait sans doute décrire les caractéristiques de ce vice… On pense d’abord à quelque chose de grossier et ridicule, une attitude caricaturée dans les pièces de théâtre modernes, en oubliant souvent que le propre de l’orgueil est de se dissimuler ; dans sa forme la plus perverse, il nous fait même croire que l’on possède l’humilité, alors qu’un être présentant cette vertu ne la soupçonnerait pas parce qu’il la sait impossible sans Dieu, parce qu’il sait que la fragilité forme la base de l’humilité : « quand je suis faible, c’est alors que je suis fort »(1 corinthiens XII 8-10)
L’orgueil est le maître des péchés capitaux. Il en génère la racine et s’épanouit comme le lichen sur la montagne : il subsiste en hauteur alors que tout le reste meurt…
De la vanité (orgueil qui veut se faire voir, apprécier) jusqu’à l’orgueil spirituel, il y a de nombreux degrés… Cette souillure enrobe tout, insidieusement, mielleusement, elle entre dans nos meilleurs sentiments en viciant la vertu jusqu’au désir même d’être saint. Elle va jusqu’à tromper celui qui lui a donné naissance dans ses pensées, le père du mensonge, Satan. Lui qui attise notre désir de nous sécuriser et empoisonne nos élans les plus nobles de cette façon… On ne doit sous-estimer la puissance du démon si on veut comprendre la genèse de l’orgueil et ses développements. Le malheur vient de ce qu’on ignore ses manigances, ses ruses perfides et souvent même jusqu’à son existence.
Ainsi, il y a l’orgueil des« bien pensants » si bien décrit dans la parabole du publicain et du pharisien… Ces personnes remplies de complaisance envers elles oublient, ô combien, que l’attitude du pharisien continue à produire des ravages dans notre époque moderne, y compris chez les chrétiens : « moi je fais ceci, je prépare cela, je suis dans la norme, dans les règles, j’irai au ciel (ou je réussirai) » se rassurent-ils, oubliant que :« Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera. »(Mc 8,35) Toute âme qui cherche une place, un pouvoir, pensant inconsciemment: « ça y est, je m’installe, c’est gagné », se rigidifie, se fige dans un orgueil insidieux, pharisien… Et ne sommes-nous pas pharisiens lorsqu’on pense que les paraboles sont pour les autres, valable pour un temps, une époque révolue ?
Je ne peux m’empêcher de vous citer ces phrases admirables de Charles Péguy :
« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée, c’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme, c’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse, c’est d’avoir une âme habituée.
On a vu les jeux incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’ a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était habitué…
Les « honnêtes gens » ne mouillent pas à la grâce. C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu’on nomme tels, et qui aiment à se nommer tels, n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale, constamment intacte, leur fait un cuir et une cuirasse sans faute. Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude, une invincible arrière-anxiété, une amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché.
Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé. »
S’installer mène à la mort spirituelle ! Un vrai chrétien, à l’image du Christ, n’ambitionne que de servir avec les dons que Dieu lui a donnés : il ne fait pas carrière, il met ses talents à la disposition de la Volonté divine dans les circonstances de sa vie quotidienne, il accepte un poste, une fonction mais sera prêt à les quitter si le Maître de la moisson le veut… Suivre la voie de Dieu ce n’est pas « se croire de ceux qui savent » en aidant leur prochain, mais considérer que si d’autres avaient eu les mêmes grâces, ils feraient mieux que nous, avec plus d’amour, de désintéressement...
Tout retour sur soi même, toute complaisance à se regarder vient de l’orgueil et il faut s’anéantir chaque jour en sondant les évènements qui nous arrivent avec le consentement de l’Auteur de toutes choses ; sinon gare ! Le serviteur de Dieu combat le mal avec la plus grande fermeté, mais devant le pécheur, il compatit et fera tout pour le délivrer de son mal, quelles que soient ses affinités, sympathies, antipathies et différences…
Devenir Saint, c’est scruter l’orgueil d’un œil impitoyable en se remettant à chaque instant devant Dieu dans la prière et l’adoration… Prenons garde de ne pas sous-estimer cette hydre à sept têtes ! Jetons nous à l’eau chers amis, dans les bras du Seigneur, qui fera de nous des humbles, soyons comme Sainte Thérèse disant: « Je veux être une Sainte » et quand on lui disait: « Orgueil ! » répondait : « Sainte, OUI, mais sans le savoir, petite, dans les bras de notre Jésus ! »