Mgr François Bustillo est évêque d’Ajaccio, nommé cardinal par le pape François le 9 juillet, et qui sera créé cardinal samedi prochain, 30 septembre. Co-auteur de Le cœur ne se divise pas (Fayard) préfacé par le pape François.
Ils pourront élire le prochain pape. Parmi les 21 nouveaux cardinaux, deux Français accèderont à la pourpre cardinalice samedi prochain 30 septembre. Mgr Christophe Pierre, 77 ans, et Monseigneur François Bustillo, évêque de Corse. « L’Eglise doit faire rêver, pas pleurer », estime ce fils de militaire, né le 23 novembre 1968 à Pampelune en Espagne, où il a vécu jusqu’à ses 17 ans.
Il faut continuer « la réparation de l’église de l’intérieur », entamée par Benoît XVI et poursuivie par le pape François, juge-t-il. Mgr Bustillo porte sa latinité en bandoulière. Il est du sud et il l’assume. Après Marseille et la Méditerranée, le tropisme du pape François s’affirme ici encore.
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Coauteur, avec Mgr Edgar Pena Parra et Nicolas Diat, d’un livre (1) où il développe son parcours, Mgr François Bustillo, évêque d’Ajaccio, sera créé cardinal samedi 30 septembre par le pape François. Il estime que l’Église doit revenir aux fondamentaux de l’Évangile si elle veut pouvoir parler à ses contemporains.
Recueilli par Loup Besmond de Senneville et Céline Hoyeau, site de La Croix
La Croix : Beaucoup disent que l’Église catholique est en crise. Une crise interne, avec les abus, la chute des vocations, mais aussi de crédibilité. Partagez-vous ce constat ?
Mgr François Bustillo : Sur la crise, je suis d’accord. Mais la vie est crise, et cela ne doit pas nous paralyser. Depuis ses débuts, l’Église est persécutée et elle a toujours survécu. De l’Empire romain à Mai 68, en passant par la crise moderniste, les crises nous rappellent la dimension pascale de notre spiritualité : nous traversons la mort pour aller vers la lumière. Il ne s’agit pas d’être naïf ni de nier les problèmes mais nous avons quand même un grand potentiel humain et spirituel. Qu’en fait-on ? Il nous faut essayer d’être créatifs et audacieux.
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Comment l’Église peut-elle retrouver sa crédibilité ?
F. B. : En revenant à l’essentiel. Quand on demande à certains catholiques ce qu’est l’Église pour eux, ils vont se plaindre des vocations, de la chute de la pratique, de la couverture des médias. Mais qui voit aujourd’hui l’âme de l’Église catholique ? Autrement dit, qui connaît aujourd’hui l’Évangile ?
Je suis inquiet de la violence de notre société. Je pense que l’Église peut apporter une réponse. Si nos politiques sont si durs et intransigeants entre eux, comment peuvent-ils lancer des appels au calme en Corse ou en Seine-Saint-Denis ? L’Église peut apporter des réponses d’Évangile que l’on ne connaît plus.
C’est votre manière d’évangéliser ?
F. B. : Cela dépend du regard que nous portons sur le monde. Le fait d’avoir une société distante vis-à-vis de la religion, voire indifférente, est une opportunité à saisir. Nous n’allons pas conquérir une société par des tactiques nouvelles de communication ou de séduction, mais par ce qui nous est propre. Les jeunes se posent des questions existentielles sur la mort, l’au-delà, l’amour. De plus en plus de personnes loin de l’Église vont nous interpeller sur nos valeurs, nos principes et la colonne vertébrale de l’Église. Comment y répondons-nous ?
À lire aussiQui est Mgr Bustillo, évêque d’Ajaccio, nouveau cardinal créé par François ?
Lors des baptêmes, des mariages ou des enterrements, les églises sont fréquentées par des personnes qui ne sont pas catholiques, mais qui ont tout de même fait le choix d’être là, par amitié pour leurs proches. Dans ces moments existentiels, nous avons une opportunité unique mais il faut être très bon. Il serait irresponsable d’avoir 400 personnes devant soi et de leur servir un discours lénifiant, passe-partout et mielleux. Sans vouloir séduire, c’est là qu’il faut dire le message que nous avons à transmettre, sur la vie, l’au-delà et l’espérance… Et peut-être que dans l’assemblée, 5 personnes sur 400 se posent des questions sur leur vie, et que nous pourrons réveiller leur conscience.
Et en dehors des églises ?
F. B. : Toute la question est de savoir comment nous pouvons être présents dans la vie de nos contemporains. Lorsque je vais à des événements sportifs, c’est non seulement parce que j’aime ça, mais aussi parce que c’est une manière de rencontrer des personnes que je n’aurais jamais vues à la messe le dimanche. Je suis là pour créer une relation, un lien, et donner une visibilité à l’Église.
Mais vous renoncez à parler de Jésus ?
F. B. : Si j’arrive dans les tribunes d’un stade, habillé en franciscain, je suis vite repéré. Mais mon but n’est pas de culpabiliser en disant qu’il faut aller à la messe. Je vais m’attacher à la qualité relationnelle. Je m’intéresse aux personnes et à ce qu’elles vivent. Et peut-être s’intéresseront-elles à moi.
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Nous vivons dans une société où il y a tellement de distance entre chacun, qu’avant de passer à une annonce directe, il faut créer, comme disaient les Romains, la captatio benevolentiae. Un terrain de confiance. Et quand ce terrain est là, nous pouvons aller plus loin.
Vous diriez qu’il faut réévangéliser la société française ?
F. B. : Oui, totalement. Max Weber au début du siècle parlait de désenchantement. Nous vivons dans une société désenchantée. Or nous avons un patrimoine évangélique et historique : il ne faut pas oublier que l’Église, pendant des siècles, a fait rêver. Je pense à l’architecture, à la peinture, au chant grégorien, aux missions… Tout n’était pas parfait, mais il y avait une certaine vision du futur.
Quel est l’équivalent du chant grégorien aujourd’hui ?
F. B. : L’espérance. Nous sommes en panne d’espérance. Si nous sommes capables, par nos paroles et nos attitudes, d’apporter de l’espérance, je pense que nous pouvons réparer une société en crise de confiance. Beaucoup se demandent par exemple pourquoi lutter et avoir des enfants. L’espérance est la capacité de croire que nous avons un potentiel, à titre personnel et en tant qu’institution, pour que le monde aille mieux.
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Aujourd’hui, les catholiques sont minoritaires. Est-ce grave ?
F. B. : Est-il marqué quelque part que nous devons être puissants ? Nulle part. En même temps, nous avons un patrimoine puissant et significatif pour notre monde. C’est ce patrimoine méconnu que nous devons apporter, sans complexe ni arrogance.
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Pour trouver l’amour et la paix intérieure, nos contemporains partent aujourd’hui en Amazonie, à la rencontre des chamanes, ou au Tibet… Qui connaît la tradition chrétienne ? Qui parle d’amour aujourd’hui ? L’Église a un message d’amour important à apporter. Nous rencontrons autour de nous des personnes extrêmement vulnérables, sur le plan affectif, existentiel, spirituel. Or, l’amour guérit, réconforte. Certains ont perverti l’amour avec les abus mais faut-il pour autant s’arrêter d’aimer ? Il faut au contraire réparer avec beaucoup de distance, de dignité et de détachement. Nous avons à être créatifs et audacieux dans la manière d’aimer les personnes.
Vous pensez que l’Église doit faire moins de morale ?
F. B. : Il est important de retrouver une spiritualité de l’incarnation, qui ne soit ni molle ni floue. Qui parle à l’homme moderne. On parle beaucoup de l’avoir, du pouvoir, du savoir et du faire dans notre société occidentale, mais qui parle de l’être ? Les psys, les coachs peut-être mais dans une logique aussi commerciale. Qui veille, dans notre société, d’une manière gratuite, sur les personnes ? Il nous faut apporter une qualité d’être à l’homme occidental qui a perdu son GPS intérieur, dont l’être profond est sans densité et malheureux.
Quels sont les points sur lesquels, comme cardinal, vous voulez rendre le pape attentif ?
F. B. : Ma manière de contribuer à son conseil est de lui dire de manière simple et honnête comment je vois l’Église et ses défis. Pour moi, nos grands défis, en Occident, sont l’unité – nous nous fragilisons si nous sommes divisés – et, à l’extérieur, la mission. Le monde occidental attend des réalités philosophiques, spirituelles susceptibles d’apporter un sens, un rêve, une colonne vertébrale, des valeurs, aux vraies questions de l’homme moderne.
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Vingt et un nouveaux cardinaux
Lors du consistoire qui se tiendra à Rome samedi 30 septembre, 21 nouveaux cardinaux seront créés, dont 18 cardinaux électeurs en cas de conclave.
Parmi eux, deux Français recevront la barrette rouge. Il s’agit de Mgr François Bustillo, 54 ans, évêque d’Ajaccio, et de Mgr Christophe Pierre, 77 ans, nonce apostolique aux États-Unis. Ce qui porte à six le nombre de Français pouvant élire le futur pape.
Plusieurs nouveaux cardinaux viennent de pays situés sur des lignes de fracture, à l’image du patriarche latin de Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa, de l’évêque de Hong Kong, Mgr Stephen Chow, ou encore de l’archevêque de Juba (Soudan du Sud), Mgr Stephen Ameyu Mulla.
(1) Le cœur ne se divise pas, Éd. Fayard, 300 p., 22,50 €.