La première Pentecôte, celle vécue par les disciples rassemblés au Cénacle, est fondatrice de l’Église ; à ce titre elle est unique et le restera à tout jamais. Mais les Actes nous rapportent d’autres petites pentecôtes, au nombre de quatre. Nous nommons ainsi des effusions de l’Esprit sur des hommes rassemblés par la Parole, avec manifestation puissante de charismes.
Actes 4 : à Jérusalem. Pierre et Jean, après avoir guéri l’impotent de la Belle Porte du Temple, doivent comparaître devant le Sanhédrin. Relâchés après des menaces, ils retrouvent les leurs, racontent la persécution endurée et leur témoignage plein de force : « Nous ne pouvons pas, quant à nous, taire ce que nous avons vu et entendu. » Leurs frères juifs les écoutent et « tous unanimes » prient avec foi :
‘’Et maintenant, Seigneur, sois attentif à leurs menaces et accorde à tes serviteurs de dire ta Parole avec une entière assurance. Étends donc la main pour que se produisent des guérisons, des signes et des prodiges par le Nom de Jésus, ton Saint Serviteur. À la fin de leur prière, le local où ils se trouvaient réunis fut ébranlé : ils furent tous remplis du Saint Esprit et disaient avec assurance la Parole de Dieu » (4,29-31).
Actes 8 : en Samarie. Les persécutions ayant dispersé les disciples, le diacre Philippe y proclame le Christ. Attirés par les guérisons, beaucoup en l’écoutant croient en Jésus et se font baptiser. Les apôtres dépêchent Pierre et Jean. (8, 15-17)
‘’Une fois arrivés, ces derniers prièrent pour les Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint. En effet l’Esprit n’était encore tombé sur aucun d’eux ; ils avaient seulement reçu le baptême au nom du Seigneur Jésus. Pierre et Jean se mirent donc à leur imposer les mains et les Samaritains recevaient l’Esprit Saint ».
Actes 10 : à Césarée. Le centurion Corneille, après une vision, fait appel à Pierre. Pierre se rend donc chez Corneille auquel il annonce la Bonne Nouvelle de Jésus et du « pardon des péchés accordé par son Nom à quiconque met sa foi en Lui » (10,43).
‘’Pierre exposait encore ces événements quand l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui avaient écouté la Parole. Ce fut la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre : ainsi, jusque sur les nations païennes, le don de l’Esprit Saint était maintenant répandu ! Ils entendaient ces gens, en effet, parler en langues et célébrer la grandeur de Dieu. Pierre reprit alors la Parole : ‘’Quelqu’un pourrait-il empêcher de baptiser par l’eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l’Esprit Saint ?’’ Il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus-Christ » (10,44-48).
Actes 19 : à Éphèse. Paul, l’apôtre des païens, rencontre des disciples instruits avec exactitude par Apollos de tout ce qui concernait Jésus mais n’ayant reçu que le baptême de Jean.
‘’Paul reprit : Jean donnait un baptême de conversion et il demandait au peuple de croire en Celui qui viendrait après lui, c’est-à-dire en Jésus. Ils l’écoutèrent et reçurent le baptême au nom du Seigneur Jésus. Paul leur imposa les mains et l’Esprit Saint vint sur eux : ils parlaient en langues et prophétisaient. Il y avait environ douze personnes » (19,3-7).
Ce qui nous est révélé par cette succession de petites « Pentecôtes ».
Pour qui lit ces récits avec le souci d’en dégager les grands traits communs, très vite s’imposent à lui quelques évidences.
Ceux qui reçoivent l’Esprit Saint sont dans les mêmes attitudes de cœur que les disciples réunis au Cénacle. Ils semblent en attente et sont disponibles pour écouter la Parole que Pierre, Jean, Philippe ou Paul leur annonce avec force. Ce sont des cœurs ouverts, emplis de la Parole entendue et réunis dans une prière commune.
Ceux qui proclament la Parole ont la même assurance que Pierre au sortir du Cénacle. « Ils ne peuvent taire ce qu’ils ont vu et entendu »(1,15-23 ; 3,11-26 ; 4,8-13 ; 8,12 ; 10,34-44 ; 19,4). Leur prédication a la puissance de l’Esprit si bien qu’elle est la Parole qui transperce les cœurs et entraîne à la conversion. La foi de ces héraults est telle qu’ils peuvent affirmer que la Parole s’accomplit aujourd’hui : ils voient dans les événements ce que les autres ne voient pas, ils en dévoilent le sens et le manifestent.
L’Esprit et la Parole sont étroitement associés. Ils sont inséparables et pourtant distincts, comme le sont dans notre physiologie humaine le souffle et la parole. La communication du Souffle de Dieu fait jaillir la Parole chez ceux qui la reçoivent : dès que l’Esprit les emplit, ils commencent à parler en langues, à magnifier Dieu, à prophétiser ou à annoncer à leur tour la Parole (4,31 ; 10,46 ; 19,6).
L’Esprit est invisible en lui-même mais la Parole qui se fait entendre le manifeste présent, animant ceux qui la proclament avec force. Ainsi la Parole révèle la présence de l’Esprit qui, lui, donne force à la Parole.
L’annonce de la Bonne Nouvelle s’accompagne toujours de signes sensibles : la guérison d’un infirme (3,1-10), les miracles accomplis par Philippe (8,6-8), les visions de Corneille et de Pierre (10,3-20), le parler en langues (10,46 ; 19,6) ou les prophéties (19,6).
Grâce aux effusions d’Esprit successives, s’accomplit progressivement l’intégralité de la prophétie de Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair » (Ac 2,17).
Tout est donné dès la Pentecôte, mais tout s’accomplira avec le temps. En effet, ce ne sont que « des juifs pieux venus de toutes les nations » qui reçoivent l’Esprit le jour de Pentecôte. Il se répand maintenant jusque sur les Samaritains, puis sur tout le monde païen. C’est comme si la source qui a jailli avec puissance à Jérusalem ne pouvait que peu à peu devenir le fleuve atteignant tout être humain. Il faut du temps pour que le don de Dieu se déploie dans la totalité de l’espace humain auquel il est destiné.
Les mêmes disciples vivent plusieurs effusions d’Esprit. Après les menaces du Sanhédrin, Pierre, Jean et leurs compagnons font une expérience nouvelle de Pentecôte.
‘’A la fin de la prière, le local ou ils se trouvaient réunis fut ébranlé ; ils furent tous remplis du Saint Esprit et disaient avec assurance la Parole Dieu » (4,31).
C’est comme un renouvellement, un renforcement de ce qui est déjà reçu. Les effusions successives de l’Esprit élargissent peu à peu le cœur des disciples aux dimensions du Cœur de Dieu. Pierre aura besoin d’une triple vision pour que se brisent ses préjugés ; s’il est bien rempli d’Esprit Saint, Celui-ci n’est pas pleinement libéré en lui. Même s’il a pu affirmer l’accomplissement de la prophétie de Joël dès le jour de la Pentecôte, un travail de libération est encore à réaliser en lui ; ce travail intérieur, cet élargissement de son cœur exigera du temps et un accueil plus éclairé de la Parole.
Chaque effusion de l’Esprit est un don fait à toute l’Église par la médiation d’une communauté particulière. Dès le début, l’Église universelle nous est montrée s’édifiant grâce aux charismes vécus par des communautés qui n’en sont que des membres. Chaque communauté reçoit ainsi un don qui lui est propre, un charisme qui la personnalise et lui donne sa place unique et irremplaçable dans le Corps entier du Christ. L’Église se doit donc d’être attentive aux effusions d’Esprit qui se vivent dans les Églises particulières. Ce sont elles qui lui permettront de prendre génération après génération la pleine mesure de sa mission universelle.
Toute nouvelle effusion d’Esprit est reliée à la Pentecôte par la médiation des disciples qui l’ont vécue. La continuité entre la Pentecôte et les effusions d’Esprit rapportées par les Actes est manifestée par la présence de Pierre, Jean, Philippe ou Paul qui tous y ont participé. Les quatre petites pentecôtes sont comme des résurgences de l’unique fleuve d’Esprit qui s’est répandu sur l’humanité le jour de la Pentecôte.
Toute effusion d’Esprit invite une foule priante à devenir une communauté chrétienne. La « brise » que tous respirent unit les personnes présentes et les constitue en communauté, en assemblée fraternelle. D’une Pentecôte à l’autre, c’est toujours la fondation de l’Église qui se poursuit : le Corps du Christ grandit de Jérusalem à Samarie jusqu’à Césarée, Éphèse et finalement aux confins de la terre.
La liberté souveraine de l’Esprit
Nul ne saurait baliser les chemins de l’Esprit. Il se manifeste quand Il veut et comme Il veut, toujours de façon imprévisible.
Liberté par rapport aux rites que pourtant il investit.
L’Esprit confirme l’importance des rites, principalement celui du baptême, mais également celui de l’imposition des mains. Ainsi les Samaritains qui ont reçu le baptême de Jésus ne recevront l’Esprit Saint qu’après imposition des mains par Pierre et Jean (8, l7). En général, le don de l’Esprit est reçu avec le baptême et c’est ce qui se passe le jour de la Pentecôte : « Convertissez-vous ; que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon des péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (2,38).
Les johannites d’Éphèse, eux ne reçoivent l’Esprit que lors de l’imposition des mains qui est faite après le baptême. Bien qu’il s’agisse d’une effusion d’Esprit individuelle, il est à noter que Saul reçoit l’Esprit par imposition des mains d’Ananias avant d’être baptisé.
« Ananias lui imposa les mains et dit : Saul, mon frère, c’est le Seigneur qui m’envoie… afin que tu retrouves la vue et que tu sois rempli d’Esprit Saint. Des sortes de membranes lui tombèrent aussitôt des yeux et il retrouva la vue. Il reçut alors le baptême » (9, 17-18).
Mais l’Esprit n’est pas pour autant lié aux rites. Corneille, ses parents et amis intimes n’ont eu ni baptême ni imposition des mains avant de recevoir le don de l’Esprit. Celui-ci n’attend même pas que Pierre ait fini de parler pour « tomber sur tous ceux qui l’écoutaient » (10,44).
Liberté par rapport au schéma officiel d’un cheminement du cœur.
La démarche habituelle des croyants est : repentance – baptême – don de l’Esprit. Dès le début de l’histoire de l’Église, les initiatives déconcertantes de l’Esprit la bousculent et font craquer les limites dans lesquelles nous sommes toujours tentés d’enclore l’action de Dieu.
Liberté de l’Esprit dans la répartition des dons.
Paul dira qu’ »Il les distribue comme Il l’entend » (1 Co 12,11). Tantôt c’est le parler en langues, tantôt les guérisons, tantôt la prophétie, tantôt l’assurance pour proclamer la Parole. C’est l’Esprit et l’Esprit seul qui spécifie dans chaque situation la modalité de sa manifestation. Mais cette manifestation est toujours puissante.
Liberté personnalisante.
L’Esprit qui est Personne, offre toujours un don personnalisé. Il se livre de façon que celui qui le reçoit soit aussi personnalisé, qu’il s’agisse de communautés ou d’individus. La diversité des verbes exprimant dans les Actes le don de l’Esprit le dit clairement : les Juifs de Jérusalem « furent tous remplis du Saint-Esprit » (4,31) tandis que les Samaritains « recevaient l’Esprit Saint » (8,17). Quant à Corneille et ses amis, « l’Esprit Saint tomba sur eux » (10,44) et « Il vint » sur les johannites d’Éphèse (19,6).
« Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit » (Jn 3,8).
« Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Co 3,17).
B.-V. Aufauvre, G. Constant, E. Garin,
« Qui fera taire le vent ? » DDB 1988, pp. 59-64.