Nihilisme

Le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, est interrogé par la revue Traces (Communion et Libération) à propos des faits tragiques du 7 janvier à Paris. Extraits :

B

[…] Êtes-vous interpellé, et comment devrions- nous être interpellés par la violence que nous voyons affluer dans tant de zones du monde?

C’est une vraie question, qui n’est pas exclusivement musulmane ou religieuse. Rappelons d’abord que les régimes athées du XXème siècle ont fait des millions de martyrs. Je pense aussi au génocide rwandais qui s’est développé entre populations chrétiennes.Quant à notre société si contente d’elle-même, si prompte à expliquer au monde les «valeurs universelles» ou la démocratie, elle a renoncé depuis bien longtemps au caractère sacré de la vie humaine. […]

J’ai été très vivement interpellé par une analyse de Jean-Pierre Denis, un journaliste français: il explique que l’islamisme est comme une tumeur qui se développe sur le corps de l’Islam et qu’il ne faut pas trop vite dire que les deux n’ont rien à voir, faute de quoi on ne pourrait jamais procéder à l’opération. De la même manière que la pédophilie est un abcès qu’il convient de crever, la question de la violence, du rapport à la raison ou de la liberté de conscience sont des questions légitimes, indispensables, urgentes, auxquelles les musulmans savent qu’ils doivent répondre par eux-mêmes.

[…]En fait, il s’agit de trouver un bon équilibre entre la foi et la raison : quand la raison se croit toute puissante, oublieuse de la foi, c’est-à-dire lorsqu’elle trouve en elle-même son origine et sa fin, elle devient inéluctablement une puissance de destruction, comme on l’a vu dans les grands totalitarismes du XXème siècleIl en est de même pour la foi: lorsque celle-ci n’est plus tempérée par la raison, elle dérive et s’abîme souvent dans l’intégrisme, le fondamentalisme, le terrorisme. Elle considère l’homme comme un moyen au service d’une cause, alors même qu’il est la cause à servir. J’aime la formule du Cardinal Tauran car il ne dit pas que la religion est la solution mais qu’«elle fait partie de la solution». Nous nous rappelons la première page de l’Encyclique de Jean-Paul II où il expliquait que la foi et la raison sont les deux ailes qui nous portent vers la lumière. Priver notre vie de l’une de ces deux ailes, c’est le crash assuré dans les ténèbres.

[…] Pour moi, Charlie Hebdo est la manifestation d’un nihilisme désespéré contre lequel est venu frapper un autre nihilisme, celui de l’Islam radical. La culture du «rien n’a de sens» dégénère dans l’apologie de la dérision d’une part ou dans celle de la violence d’autre part. Car, si rien n’a de valeur, si rien n’est respectable, alors tout est destructible. J’ai entendu cette formule que je trouve juste : «Non, je ne suis pas Charlie, car je ne ris pas de tout. Je ne ris pas de la mort des gens de Charlie, par exemple». […] »