Même dans sa version corrigée de 1998, le Catéchisme de l’Eglise catholique tolérait le recours à la peine «en cas d’absolue nécessité». Cette prise de position, défendue et assumée dans le passé par quelques Papes, s’expliquait au regard d’une «situation politique et sociale qui faisait de cette peine un instrument acceptable en vue de la sauvegarde du bien commun».
Une prise de conscience « à la lumière de l’Evangile »
La prise de conscience du caractère inadmissible de cette pratique s’est faite lentement mais sûrement parmi le peuple de Dieu, «à la lumière de l’Evangile», et conforté par l’enseignement de ses pasteurs. Sur ce long chemin de réflexion, l’Encyclique Evangelium Vitae du Saint Pape Jean-Paul II constitue une étape fondamentale. Le Pape polonais y indiquait, parmi les signes d’espérance d’une nouvelle civilisation de la vie «l’aversion toujours plus répandue de l’opinion publique envers la peine de mort, même si on la considère seulement comme un moyen de “légitime défense” de la société, en raison des possibilités dont dispose une société moderne de réprimer efficacement le crime de sorte que, tout en rendant inoffensif celui qui l’a commis, on ne lui ôte pas définitivement la possibilité de se racheter».
Une évolution conforme au Magistère
La recherche de l’abolition de la peine de mort s’est ensuite poursuivie avec Benoît XVI, qui déclarait en novembre 2011, lors de l’audience générale, à un groupe de fidèles: «que vos débats encouragent les initiatives politiques et législatives actuellement promues dans un nombre croissant de pays en vue d’abolir la peine de mort et de poursuivre les progrès importants accomplis afin de rendre le droit pénal plus conforme à la dignité humaine des prisonniers et au maintien efficace de l’ordre public». Et enfin, avec le Pape François, qui, le 11 octobre 2017, demandait expressément la révision du Catéchisme de l’Eglise catholique sur ce sujet, estimant que «la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle». Cette modification s’inscrit donc dans un «développement authentique de la doctrine», et ne «contredit pas les enseignements antérieurs du Magistère» romain.
Le primat de la dignité humaine
Cette nouvelle formulation affirme que «la suppression de la vie d’un criminel, comme punition d’un délit, est inadmissible parce qu’elle attente à la dignité de la personne, laquelle n’est pas perdue même après des crimes très graves». De plus, «étant donné que la société actuelle dispose de systèmes de détention plus efficaces, la peine de mort n’est plus nécessaire pour protéger les personnes innocentes» ; il n’en demeure pas moins que «l’autorité publique a le devoir de défendre la vie des citoyens», comme l’a toujours enseigné le Magistère.
Cette nouvelle formulation, approuvée par le Pape, est entré en vigueur ce mercredi 1er août 2018. Elle veut pousser à «un engagement décisif, notamment par un dialogue respectueux et serein avec les autorités publiques, afin de favoriser une mentalité qui reconnaisse la dignité de chaque vie humaine», et réaffirmer avec force et sans équivoque, le combat déterminé de l’Eglise pour l’abolition totale de cette pratique.
CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI
Lettre aux Évêques
à propos de la nouvelle formulation du n.2267
du Catéchisme de l’Église Catholique
sur la peine de mort
1. Dans son Discours à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la publication de la Constitution apostolique Fidei depositum par laquelle Jean-Paul II avait promulgué le Catéchisme de l’Église Catholique, le Pape François a demandé de reformuler l’enseignement sur la peine de mort, afin de mieux intégrer le développement de la doctrine advenu ces derniers temps sur ce thème.[1] Cette évolution est basée essentiellement sur la prise de conscience, toujours plus claire dans l’Église, du respect dû à chaque vie humaine. Dans cette ligne, Jean-Paul II a affirmé [au sujet de Caïn]: «Meurtrier, il garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant.[2]
2. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’affirmation d’une opposition croissante à la peine de mort dans l’enseignement des pasteurs et dans la sensibilité du peuple de Dieu. En réalité, si, dans le passé, la situation politique et sociale faisait de cette peine un instrument acceptable en vue de la sauvegarde du bien commun, on est aujourd’hui de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. La compréhension profonde du sens des sanctions pénales de la part de l’État ainsi que la mise en place de systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle ont droit les citoyens, ont donné lieu à une nouvelle prise de conscience qui reconnaît le caractère inadmissible de la peine de mort et en demande donc l’abolition.
3. L’enseignement de l’Encyclique Evangelium vitae de Jean-Paul II est d’une grande importance dans ce développement. Le Saint-Père indique parmi les signes d’espérance d’une nouvelle civilisation de la vie «l’aversion toujours plus répandue de l’opinion publique envers la peine de mort, même si on la considère seulement comme un moyen de “légitime défense” de la société, en raison des possibilités dont dispose une société moderne de réprimer efficacement le crime de sorte que, tout en rendant inoffensif celui qui l’a commis, on ne lui ôte pas définitivement la possibilité de se racheter».[3] L’enseignement d’Evangelium vitae a ensuite été inséré dans l’editio typica du Catéchisme de l’Église Catholique. On n’y présente plus la peine de mort comme une peine proportionnée à la gravité du délit, mais elle n’est justifiée que dans la mesure où c’est «l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains», même si, de fait, «les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants» (n.2267).
4. En d’autres occasions, Jean-Paul II s’est également prononcé contre la peine de mort, en faisant appel à la fois au respect de la dignité de la personne et aux moyens dont la société dispose de nos jours pour se défendre contre le criminel. Ainsi, dans son Message de Noël de 1998, il souhaitait voir dans le monde un «consensus en faveur de mesures urgentes et adaptées … pour bannir la peine de mort»[4]. Le mois suivant, aux États-Unis, il affirmait à nouveau: «Un signe d’espérance est constitué par la reconnaissance croissante que la dignité de la vie humaine ne doit jamais être niée, pas même à celui qui a fait le mal. La société moderne a les moyens de se protéger sans nier de façon définitive aux criminels la possibilité de se racheter. Je renouvelle l’appel que j’ai lancé tout récemment à Noël en vue d’un accord visant à mettre un terme à la peine de mort, qui est à la fois cruelle et inutile»[5].
5. La recherche de l’abolition de la peine de mort s’est poursuivie avec les Pontifes suivants. Benoît XVI attirait «l’attention des responsables de la société sur la nécessité de faire tout ce qui est possible pour arriver à l’élimination de la peine capitale»[6]. Par la suite, devant un groupe de fidèles, il a formulé ce vœu: «Que vos débats encouragent les initiatives politiques et législatives actuellement promues dans un nombre croissant de pays en vue d’abolir la peine de mort et de poursuivre les progrès importants accomplis afin de rendre le droit pénal plus conforme à la dignité humaine des prisonniers et au maintien efficace de l’ordre public»[7].
6. Dans cette même perspective, le Pape François a rappelé que «de nos jours, la peine de mort est inadmissible, quelle que soit la gravité du délit commis par le condamné»[8]. Quels qu’en soient les modes d’exécution, cette peine «implique un traitement cruel, inhumain et dégradant»[9]. En outre, on doit s’y opposer «face au défaut d’appréciation du système judiciaire et à la possibilité de l’erreur judiciaire»[10]. Dans cette optique, le Pape François a demandé une révision de la formulation du Catéchisme de l’Église Catholique sur la peine de mort, de manière à affirmer que «quelle que puisse être la gravité de la faute commise, la peine de mort est inadmissible, car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne» [11].
7. La nouvelle formulation du n.2267 du Catéchisme de l’Église Catholique, approuvée par le Pape François, se situe dans la continuité du Magistère précédent et atteste un développement cohérent de la doctrine catholique[12]. Dans le sillage de l’enseignement de Jean-Paul II dans Evangelium vitae, cette formulation affirme que la suppression de la vie d’un criminel, comme punition d’un délit, est inadmissible, parce qu’elle attente à la dignité de la personne, laquelle n’est pas perdue même après des crimes très graves. On parvient également à cette conclusion en prenant en compte la nouvelle compréhension des sanctions pénales appliquées par l’État moderne, lesquelles doivent tendre avant tout à la réhabilitation et à la réintégration sociale du criminel. Enfin, étant donné que la société actuelle dispose de systèmes de détention plus efficaces, la peine de mort n’est plus nécessaire pour protéger la vie des personnes innocentes. Certes, il demeure que l’autorité publique a le devoir de défendre la vie des citoyens, comme l’a toujours enseigné le Magistère et comme le confirment les numéros 2265 et 2266 du Catéchisme de l’Église Catholique.
8. Tout cela montre que la nouvelle formulation du n.2267 du Catéchisme s’inscrit dans un développement authentique de la doctrine, qui ne contredit pas les enseignements antérieurs du Magistère. Ceux-ci, en effet, peuvent s’expliquer à la lumière de la grave responsabilité des pouvoirs publics quant à la sauvegarde du bien commun, dans un contexte social où les sanctions pénales étaient comprises de manière différente et se pratiquaient dans des conditions où il était plus difficile de garantir que le criminel ne puisse réitérer son crime.
9. Dans la nouvelle formulation, on ajoute que la conscience du fait que la peine de mort était inadmissible s’est développée «à la lumière de l’Évangile» [13]. En effet, l’Évangile aide à mieux comprendre l’ordre de la création que le Fils de Dieu a assumé, purifié et porté à sa plénitude; il nous invite aussi à la miséricorde et à la patience du Seigneur, qui donne à chacun le temps de se convertir.
10. La nouvelle formulation du n.2267 du Catéchisme de l’Église Catholique veut pousser à un engagement décisif, notamment par un dialogue respectueux et serein avec les autorités politiques, afin de favoriser une mentalité qui reconnaisse la dignité de chaque vie humaine; de même, elle incite à créer les conditions qui permettent d’éliminer dans le monde contemporain l’institution légale de la peine de mort, là où elle est encore en vigueur.
Au cours d’une audience accordée au Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 28 juin 2018, le Souverain Pontife François a approuvé cette Lettre, décidée lors de la Session Plénière du 13 juin 2018, et en a ordonné la publication.
Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 1er août 2018, mémoire de saint Alphonse-Marie de Liguori.
Luis F. Card. Ladaria, S. I.
Préfet
+ Giacomo Morandi
Archevêque titulaire de Cerveteri
Secrétaire
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[1] Cf. François, Discours aux participants à la rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation (11 octobre 2017): L’Osservatore Romano (13 octobre 2017), 4.
[2] Jean-Paul II, Lettre encyclique Evangelium vitae (25 mars 1995), n.9 : AAS 87 (1995), 411-412; La Documentation catholique, 92 (1995), p. 355.
[3] Ibid., n.27: AAS 87 (1995), 432; La Documentation catholique, 92 (1995), p. 364.
[4] Jean-Paul II, Message Urbi et Orbi du 25 décembre 1998, n.5: Insegnamenti XXI,2 (1998), 1348; La Documentation catholique,96 (1999), p. 52.
[5] Id., Homélie au stade Trans World Dome de Saint-Louis (27 janvier 1999): Insegnamenti XXII,1 (1999), 269; La Documentation catholique, 96 (1999), p. 183; cf., Homélie dans la Basilique Notre-Dame de Guadalupe au Mexique (23 janvier 1999): «Ce doit être la fin de tout recours non nécessaire à la peine de mort!»: InsegnamentiXXII,1 (1999), 123; La Documentation catholique, 96(1999), p. 168.
[6] Benoît XVI, Exhortation apostolique post synodale Africae munus (19 novembre 2011), n.83: AAS 104 (2012), 276; La Documentation catholique, 109 (2012), p. 70.
[7] Id., Audience générale du 30 novembre 2011: Insegnamenti VII,2 (2011), 813.
[8] François, Lettre au Président de la Commission internationale contre la peine de mort (20 mars 2015): L’Osservatore Romano(20-21 mars 2015), 7; La Documentation catholique,2519 (2015), p. 95.
[9] Ibid., p. 96.
[10] Ibid., p. 95.
[11] François, Discours aux participants à la rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation (11 octobre 2017): L’Osservatore Romano (13 octobre 2017), 5.
[12] Cf. Vincent de Lérins, Commonitorium, 23: PL 50, 667-669. En lien avec la peine de mort, en ce qui concerne les précisions des préceptes du Décalogue, la Commission Biblique Pontificale a parlé d’un «affinement» des positions morales de l’Église: «Avec le cours de l’histoire et le développement des civilisations, l’Église a même affiné ses positions morales concernant la peine de mort et la guerre, au nom d’un culte de la vie humaine qu’elle nourrit sans cesse en méditant l’Écriture et qui prend de plus en plus couleur d’un absolu. Ce qui sous-tend ces positions apparemment radicales, c’est toujours la même notion anthropologique de base: la dignité fondamentale de l’homme créé à l’image de Dieu» (Bible et morale. Les racines bibliques de l’agir chrétien, 2008, n.98).
[13] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n.4.