Témoignage du P. Jean Stern sur Auschwitz

« Mon père, après avoir séjourné dans le camp Auschwitz I, baraque-hôpital 28, près de la baraque 11, où fut mis à mort saint Maximilien Kolbe, fut peut-être transféré à Birkenau (Auschwitz II), pour y être gazé dans la maisonnette rouge ou dans la maisonnette blanche, entre le 3 et le 10 août 1942. Ma mère arriva à Auschwitz-Birkenau le 4 septembre 1942, débarquant très probablement à la ‘Judenrampe’ », confie à Zenit le père Jean Stern, missionnaire de La Salette, à l’occasion du pèlerinage du pape François à Auschwitz et Birkenau, vendredi 29 juillet 2016.

Le père Jean Stern est théologien et l’auteur notamment de « Jean-Paul II et le mystère d’Israël » (Parole et Silence, 2015). Il y analyse « la relation vitale qui unit le peuple juif et l’Église » selon Jean-Paul II. Son témoignage en est une illustration.

Il souligne aussi la signification du pèlerinage d’Auschwitz pour les jeunes et il s’attend à ce que le pape François reparle, après-coup, de sa visite silencieuse.

Il précise, après une enquête menée sur place : « Mon père figure sur la liste de cette baraque 28. Il est possible que mon père ait été transféré de là à Birkenau pour y être gazé, mais il est également possible qu’il ait été mis à mort à Auschwitz I. Dans la baraque 21 toute proche on achevait les malades au moyen d’une piqûre. »

La signification pour les jeunes

Le pèlerinage du pape François à Auschwitz s’inscrivait dans le cadre de la Journée mondiale de la jeunesse et du jubilé de la miséricorde des jeunes, ce qui inspire au père Stern cette réflexion sur la miséricorde et le racisme nazi: « Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance (Genèse 1). Le péché ayant abîmé l’homme en abîmant sa ressemblance avec Dieu, dans sa miséricorde Dieu a restitué à l’homme cette ressemblance au moyen de son Fils. Et justement, la perversion du racisme nazi consiste dans le fait qu’il s’est attaqué à la voie par laquelle le Fils de Dieu est devenu homme. Notons, entre parenthèses, qu’Adolf Hitler était dans la plus totale impuissance de prouver qu’il était pur aryen, puisqu’il avait un grand-père inconnu ! Dans sa miséricorde, Dieu a fait que cette perversion cesse, et surtout que les victimes eussent la possibilité d’unir leurs épreuves à la croix du Christ, même si elles n’avaient du Christ qu’une connaissance très confuse ou même l’ignoraient. »

Quant à la signification du voyage d’Auschwitz pour des jeunes, le père Stern répond qu’ils ont un « devoir de mémoire envers les victimes » mais également qu’ils « ne sont pas à l’abri de ce type de perversité, que ce soit à titre de victimes ou, pire, de bourreaux ». Ils doivent donc « prendre conscience du danger ». Et cela, ajoute-t-il, « dans le cadre du Jubilé de la miséricorde, car la miséricorde, ce n’est pas de la sensiblerie. La miséricorde exige vérité ».

La cruauté, aujourd’hui

Le pape François a effectué une visite silencieuse, le père Stern réfléchit sur ce choix : « Je suppose qu’il parlera d’Auschwitz après sa visite et qu’il expliquera alors pourquoi il n’a rien voulu dire présent sur les lieux. » Il fait observer qu’en tant que « sud-américain », le pape François « se sait en dehors du drame et il reconnaît qu’il a eu, d’abord, besoin de s’instruire, de prendre conscience des dimensions du drame ». « Il y a aussi le fait que ses prédécesseurs ont parlé, eux qui d’une manière ou une autre étaient impliqués dans le drame, tandis que lui ne l’est pas. Mais ce ne sont là que des suppositions ».

Effectivement, le pape François a évoqué son pèlerinage à Auschwitz, en méditant, comme chaque soir, depuis la fenêtre de l’archevêché, sur sa journée dès ce 29 juillet: « Tant de souffrances, tant de cruauté, mais est-ce possible que nous, hommes créés à la ressemblance de Dieu, soyons capables de faire ces choses ? » Il y voit un avertissement face aux cruautés d’aujourd’hui: « La cruauté ne s’est pas finie avec Auschwitz et Birkenau. Aujourd’hui aussi, on torture des personnes, tant de prisonniers sont torturés (…), aujourd’hui il y a des hommes et des femmes entassés dans des prisons, qui vivent (…) comme des animaux, il y a aujourd’hui cette cruauté ». Aujourd’hui, a déploré le pape, « dans tant d’endroits du monde où il y a la guerre, il se passe la même chose ».

Le père Stern a échappé à la déportation mais il a dû se cacher: « N’ayant pas été déporté je puis seulement témoigner de ce que j’ai vécu en France : certains, beaucoup de petites gens, ont aidé, même s’ils n’ont pas reçu la médaille des Justes. Chez d’autres, malheureusement, c’était la plus totale indifférence, et même pire. La mentalité « Action Française » propagée par Charles Maurras, avait contaminé pas mal de catholiques, malgré la condamnation de l’Action Française par Pie XI. »

La « Rafle » d’août 1942

De fait, le 26 août 1942, le gouvernement de Vichy accepte de livrer à l’occupant nazi 10 000 juifs « étrangers » de la zone libre, installés de longue date en France ou réfugiés récemment. Sa famille avait fui l’Autriche en 1938, comme le père Jean Stern le confiait à Ève Moulinier dans le Dauphiné, en 2012 : « J’avais 11 ans quand je suis arrivé en France, mes parents pensaient qu’on avait enfin trouvé un pays où l’on serait en sécurité. J’allais à l’école, on avait des amis, mon père codirigeait une entreprise de textile à Paris. »

Puis vient l’obligation de porter l’étoile jaune : « À l’époque, bizarrement, cela ne me déplaisait pas. Je n’avais pas conscience du danger. Et cette étoile m’offrait un certain prestige auprès de mes copains. Avec elle, j’étais l’ennemi de l’ennemi. L’ennemi de l’Allemand. » Pourtant, en 1941, son père se rend à une convocation au commissariat, de son plein gré, « parce qu’il pensait qu’il n’aurait pas d’ennui s’il obéissait aux règles ». Il n’est pas revenu : « J’ai su plus tard qu’il avait été déporté à Auschwitz. J’ai son certificat de décès. Au début, les Allemands prenaient le temps de faire des actes de décès pour les déportés. »

En juillet 1942, sa mère et lui échappent à la « Rafle du Vel’ d’Hiv » et ils fuient Paris pour l’Isère où ils connaissaient une famille. Mais en août, malgré la rumeur d’un danger imminent, ils ne fuient pas: « Personne ne pouvait les croire. On était en zone non-occupée, on se sentait protégés. Ici, il n’y avait pas d’Allemands comme à Paris. » Les gendarmes arrivent : « Ils nous ont dit qu’on allait partir fonder un pays en Pologne. À eux aussi, on avait dû leur monter la tête. » Jean Stern a 15 ans.

Ils sont transférés à la caserne de Bizanet à Grenoble, puis, le lendemain, 27 août, en autobus, au camp de Vénissieux. C’est là qu’avec 109 autres enfants il est sauvé par une association chrétienne. Il est conduit au collège Rondeau-Monfleury de Grenoble qui le reçoit parmi ses pensionnaires: « Quand j’ai quitté Vénissieux, se souvient-il, toujours selon la même source, je n’imaginais pas que c’était la dernière fois que je voyais ma mère. Je pense qu’elle, en revanche, en avait conscience. Elle m’a dit de faire attention. Je la revois encore, ma pauvre maman… Elle m’a aussi reparlé de ma vocation. À l’époque, je me sentais déjà catholique, j’avais envie d’être prêtre et elle n’était pas trop d’accord. Mais je pense qu’aujourd’hui, elle en est heureuse. » Il est entré au séminaire en 1943 sous le nom de Jean-Marie Marque et il est devenu prêtre et missionnaire de Notre Dame de la Salette.

Maximilien Kolbe et Edith Stein

Ce théologien du Comité du Jubilé de l’An 2000, rappelle qu’Oswiecim-Auschwitz est « une ville dans le sud-est de la Pologne et que d’anciennes casernes polonaises y sont devenues, en 1940, un camp de concentration, dirigé par les SS, avec comme adjoints des condamnés de droit commun, les ‘kapos’ ». Les « exterminations au moyen de gazages » y ont commencé « à partir de 1941 ».

Il précise que le 2ème camp se trouve à environ 3 km, sur la commune de Birkenau, à partir d’octobre 1941 : on l’appelle « Auschwitz II » : « C’est là que se trouvaient la plupart des chambres à gaz. C’est un camp immense, qui servait surtout pour l’extermination. On estime qu’environ 1 100 000 personnes ont été tuées dans ces deux camps (surtout à Birkenau) : Juifs, Tsiganes, Polonais, prisonniers de guerre soviétiques… » Mais il fait observer que « la très grande majorité des personnes assassinées étaient des Juifs (peut-être 90%). Et sur environ 75 000 Juifs déportés de France, plus de 65 000 furent déportés à Auschwitz-Birkenau, y compris des femmes, des vieillards et des enfants ».

A propos de la halte de prière du pape François dans le « bunker » de saint Maximilien Kolbe, le père Stern souligne que le franciscain polonais est « mort de soif et de faim » et pas seulement de la piqûre finale, « en août 1941 à Auschwitz I ».

Le père Stern évoque aussi sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, carmélite juive, philosophe allemande, Edith Stein, « morte gazée à Birkenau en août 1942 » : « Mais elle n’est pas entrée dans le camp par la grande entrée où passent des rails et que la télévision montre en général lorsqu’il est question d’Auschwitz-Birkenau, pour la simple raison que cette grande entrée n’existait pas en 1942. » Edith Stein a « sans aucun doute été gazée soit dans la maisonnette blanche soit dans la maisonnette rouge. Mais de l’une et l’autre il ne reste que l’emplacement ».

Dans sa préface du livre du père Stern « Jean-Paul II et le mystère d’Israël », le regretté cardinal Georges-Marie Cottier, O.P., qui fut Théologien de la Maison pontificale, a pu écrire : « Nous sommes reconnaissants pour cette contribution de premier plan sur la pensée du Magistère concernant la relation vitale qui unit le peuple juif et l’Église. Ce souci est particulièrement fort chez Jean-Paul II dès le début de son pontificat. Ses interventions sont réunies dans le beau livre que j’ai la joie de présenter. Il est dû au père Jean Stern qui nous fait bénéficier de ses compétences d’historien et de théologien. »

C’est aussi cette “relation vitale” qu’illustrent le témoignage du père Stern et la visite du pape François à Auschwitz, à l’occasion de la JMJ de Cracovie, ville de Jean-Paul II s’il en est.

Sur le site zenit.org