Qui ne connaît le mot de « haute insolence » de l’évêque d’ancien régime Dillon (1721-1806), alors évêque d’Évreux, que cite le comte Beugnot (1761-1835) dans ses Mémoires. Louis XV lui reprochait son goût des luxueux équipages pour la chasse : « Comment voulez-vous interdire la chasse à vos curés si vous passez votre vie à leur en donner l’exemple ? – Sire, pour mes curés la chasse est leur défaut, pour moi, c’est celui de mes ancêtres. »
C’est ce à quoi j’ai pensé en apprenant la sortie des réseaux sociaux du Père Matthieu Jasseron. Alors que son évêque twitte péniblement, Matthieu affiche 1 200 000 abonnés à ses vidéos d’évangélisation. Il se trouve que je connais l’un et l’autre et que Matthieu Jasseron est un bon prêtre. Je dis bien un prêtre, pas un professeur de théologie dogmatique ou de théologie morale. Il prêche l’Amour de Dieu, la fraternité, la foi, en s’appuyant sur les déclarations du pape François. Il n’a pas rajouté une quatrième personne à la Trinité, ni non plus insulté à la rédemption du Seigneur Jésus. Il ne s’approprie pas l’Esprit-Saint. Matthieu est fraternel, vivant, drôle, apprécié de ses paroissiens et de moi-même. Il m’a aimablement dédicacé le livre qui relate son expérience de jeune curé. L’éditeur a mis un titre accrocheur – ce sont toujours les éditeurs qui choisissent le titre (pour vendre) -, « Les histoires de cœur d’un jeune curé. ». Pas de quoi casser une patte à un canard. C’est la chronique vivante de la vie d’un jeune prêtre d’aujourd’hui. Il a pris soin d’avertir les lecteurs : « Avertissement aux lecteurs du livre de Matthieu : « Les histoires de cœur d’un jeune curé ». Veuillez croire qu’afin de préserver l’intimité et respecter la vie privée de tous ceux qui m’ont inspiré, les noms, personnages, caractères et certains aspects des anecdotes narrées ont été délibérément modifiés. ». Mais des esprits chagrins et suspicieux y ont décelé l’hérésie.
Au début du XXe siècle, les adhérents d’une société secrète, la Sapinière, dont le cardinal Saliège (1870-1956) disait qu’ils étaient tous des conifères, dénonçaient à Rome tout ce qu’il y avait de vivant et d’intelligent dans le clergé français. On a cru donc pouvoir rejouer la partie et, en sautant le préambule, détecter comme une trace d’un possible délit de violation « indirecte » (notez bien la faiblesse de la nuance) du secret de la confession. Comme les équipages sont prêts, on crie à l’hallali. Sus à la bête ! C’est à qui va la servir. Le Père Matthieu, lui, un homme paisible, je le répète, ne voit pas le mal. Il se dit que le dialogue d’un prêtre avec son évêque est toujours possible. Il est très surpris quand on le cite de façon arbitraire et entre nous très ancien régime, à comparaître devant le Vicaire général et le Chanoine Grand Pénitencier (pas celui de Johnny Hallyday mais celui qui est chargé d’absoudre les péchés graves dans le diocèse de Sens-Auxerre, charge qui comporte le devoir de résidence), venu spécialement de Lyon où il est Recteur de l’Université catholique, celui-là même sur lequel Golias Hebdo vient de publier un article dans son dernier numéro.
Il est vrai que l’évêque explique à la presse qu’il s’agit d’une simple procédure de médiation qu’il a eu la grande bonté d’accorder au prêtre. En omettant de signaler qu’il refuse obstinément de recevoir Matthieu qui le lui demande instamment depuis des semaines, violant ainsi les consignes inlassablement répétées par le pape François pour qu’un évêque ne fasse pas attendre plus de 48h un prêtre qui demande à le voir. S’il ne s’agit pas de cléricalisme, je veux bien finir mes jours dans une chartreuse. Car tout le tremblement canonique s’est mis en branle. Je ne peux pas tout raconter car le père Matthieu est un pacifique.
Je dois pourtant constater une fois de plus qu’un responsable d’Eglise pratique l’injonction contradictoire. D’un côté les paroles enduites de charité, de l’autre la rigueur implacable des actes. A crier Haro, les ultras conservateurs ne manquent pas. Ils sont une minorité en France mais très bruyants sur les réseaux sociaux. Pas plus que dans les diocèses, on ne s’étouffe pas avec la charité dans ce bord-là. Ce qui compte, c’est de se rassurer en hurlant en meute pour tenter de camoufler derrière les apparences et les convenances l’angoisse procurée par un monde qu’on ne domine plus. Un prêtre vivant, talentueux, est pour eux un danger. Comme le mensonge n’existe pas quand on défend une cause, calomnions-le.
Face à cette ignominie, qui va se lever parmi les évêques pour dire à leur collègue d’arrêter de chasser… le prêtre ? Qui parmi les prêtres, et d’abord ceux de l’Yonne, va avoir le courage évangélique d’être charitable et fraternel avec Matthieu et de le défendre devant l’évêque, le vicaire général et le grand pénitencier (pauvre Johnny) ? Si le clergé de l’Yonne tremble, qui en France parmi les prêtres va les convaincre de le faire ? Si les paroissiens de Joigny ne bougent pas, qui parmi les fidèles de l’Yonne et d’ailleurs va le faire ? Un ultra dira que j’en appelle à la révolution, mot qu’il prononcera avec peine. Mais en ce temps de l’Avent, Jean-Baptiste est là qui nous invite vigoureusement à redresser les chemins pour que le Seigneur puisse y passer, et la Vierge Marie en rajoute en demandant à Dieu de renverser les puissants de leur trône.
En si bonne équipée, soufflons maintenant ! Si les fusils sont chargés pour la chasse au prêtre, remisons-les ! Réfléchissons ! Si un prêtre peut être inquiété pour des peccadilles, qui voudra encore devenir prêtre ? D’autant plus que la différence de traitement est criante entre les prêtres abuseurs et ceux qui n’ont même pas commis une faute avérée dont on puisse les accuser. Alors, halte au feu ! Messieurs les évêques, ne tirez plus ! Paix ! Noël est là : déchargez vos canons. Rendez Matthieu à ses paroissiens pour qu’il puisse, oublié de tous, – et même de toi cher Hervé Giraud-, célébrer en paix la naissance de Celui qui est la Paix. Vous pourrez vous retrouver à l’Épiphanie pour tirer (aïe aïe aïe) non pas sur vous mais la fève de la galette des rois. Avouez que ça sera tout de même beaucoup mieux.
Pierre Vignon. Source : Golias