Tuer en douceur ou la barbarie silencieuse, une nouvelle tentative pour légaliser l’euthanasie par Mgr Ginoux, évêque de Montauban
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Pendant sept ans j’ai eu la charge des aumôneries d’hôpitaux et de la pastorale de la santé dans mon diocèse d’origine. Le nombre de personnes en fin de vie avec des pathologies lourdes (sida, cancer, etc.) que j’ai approchées – chrétiennes ou non – est important. J’ai vu des situations insoutenables. Je compte sur les doigts d’une main les personnes qui ont, à un moment, demandé vraiment la mort. J’ajoute que c’était la période où se mettaient en place – avec beaucoup d’oppositions et de difficultés – les soins palliatifs. Chaque fois que l’équipe des soins palliatifs pouvait intervenir, la personne retrouvait la paix. Malheureusement les efforts réalisés pour les soins palliatifs sont encore insuffisants. La demande de mort est un appel, l’expression d’une détresse, le besoin d’être accompagné. Si les soins palliatifs et l’entourage prennent en charge assez tôt cet accompagnement, la fin de la vie n’est plus une tragédie, même si mourir est toujours un passage angoissant.
Au-delà de cette expérience personnelle rapidement évoquée, il y a les principes même du vivre ensemble que le droit de tuer remet de fait en question.
La médecine
La médecine est faite pour soigner. Comment lui demander de poser un acte de mort ? Quelle confiance pourrait avoir le patient devant la blouse blanche qui entre dans sa chambre ? Quelle perspective que de faire disparaître le malade qui est trop gênant ? Comment des « soignants » peuvent-ils devenir des « tueurs » (même en douceur !). Les tenants de l’euthanasie répondront que si le geste est légal les soignants n’auront pas d’états d’âme ou de scrupules de conscience. Une connaissance élémentaire de l’être humain nous apprend le contraire : un acte de mort reste toujours un poids pour celui qui le commet.
La souffrance
Comment apprécier le caractère « insupportable » d’un mal, sachant que la douleur physique doit être soulagée et peut l’être si le suivi palliatif est rigoureux. Comment juger des opinions très contradictoires de la personne malade et de son entourage ? Quelles pressions imaginer sur celle-ci ? Les psychologues, les études sur les réactions des malades en phase terminale montrent des variations très grandes, depuis le déni de la maladie jusqu’aux pensées suicidaires.
Il n’est pas possible de tenir pour certaine une demande de mort. Ces dernières années l’un ou l’autre cas de situations extrêmes (affaires Humbert, Sébire ) exploitées médiatiquement où il y avait une demande publique d’aide à mourir ont montré, une fois l’émotion passée, l’ambiguïté de ces cas. Ils sont d’ailleurs très rares et aussitôt survalorisés parce que les militants de l’euthanasie en ont besoin pour justifier leur revendication.
Le principe d’humanité
Reprenant ce titre à un écrivain connu (Jean-Claude Guillebaud) je remarque que je n’ai pas besoin d’invoquer la foi chrétienne pour affirmer que donner la mort volontairement est contraire au principe d’humanité, au pacte social qui permet le vivre-ensemble. C’est, en effet, de l’être humain qu’il s’agit et de la solidarité humaine : lorsque la loi permet de tuer (au nom d’un bien mais quel bien ?) elle donne à des êtres humains pouvoir absolu sur d’autres. Le fait d’être une équipe, dans un hôpital, avec des « spécialistes » ne change rien à la réalité. La mort programmée d’une personne, que cette équipe va désigner comme « indigne » de vivre, en raison de son état d’anéantissement physique ou psychique (cf. le projet de loi), est un crime. Au nom de l’humanité, au nom du respect de toute vie humaine jusqu’à sa fin naturelle, au nom de la solidarité avec les plus faibles, nous devons proclamer la « dignité » intangible de chaque être humain. L’oublier c’est entrer dans la barbarie.
Le 21 janvier 2011
(pour le Bulletin Catholique n° 2 du diocèse de Montauban du 26 janvier 2011)