Frédéric Boyer, écrivain, La Croix du 12 oct. 2024
Les chrétiens devraient d’urgence s’intéresser aux nouveaux usages numériques du mot résurrection.
Des entreprises dans le monde entier proposent leurs services, notamment aux familles endeuillées, pour créer des « avatars posthumes », et permettre une « résurrection numérique » – secteur en plein développement. En utilisant l’empreinte numérique d’une personne défunte, les entreprises créent par l’intelligence artificielle (IA) des avatars, représentations virtuelles à partir de photos et de vidéos enregistrées, qui peuvent communiquer avec leurs proches. Les données personnelles d’un mort, y compris les messages publiés sur les réseaux sociaux, sont ainsi exploitées par l’IA. Exploitation du deuil, du chagrin, de la perte. La mémoire numérique se substitue au travail de la mémoire charnelle et psychique, spirituelle.
Certes, nous n’en sommes qu’aux premiers stades, mais le concept de clonage numérique de personnes décédées n’appartient plus à la science-fiction, de nombreuses entreprises technologiques ayant adopté cette forme de résurrection numérique. Ce développement pose de graves questions éthiques et juridiques, concernant la protection de la vie privée post mortem, la commercialisation des données personnelles, les droits de la propriété intellectuelle, le respect de la mémoire d’un défunt, mais pourrait avoir de sérieux effets psychologiques et sociaux. Les outils de l’IA ne se contentent pas de brouiller les frontières traditionnelles entre la vie et la mort, ils bouleversent la vie des morts, notre mémoire et notre espérance.
L’usage du mot résurrection, dans l’expression « résurrection numérique », est au minimum un canular mené à des fins commerciales condamnables, et au pire une escroquerie éthique et spirituelle. Cela doit nous engager, nous chrétiens, à rappeler ce à quoi nous croyons en parlant de résurrection. Il ne pourra jamais s’agir d’une survivance numérique, de croire en un clone numérisé de la personne disparue. Les théoriciens de la numérisation parlent d’un « nouveau milieu de mémoire », une transformation radicale de notre perception de la mort en raison de la présence sociale que les individus conservent en ligne même après leur mort.
Nos apprentis sorciers de l’IA sont un peu les Corinthiens de notre époque : plutôt que de « croire en la résurrection des morts », ils l’inventent personnellement ! Mais aujourd’hui encore, comme hier aux Corinthiens du premier siècle, l’apôtre Paul oppose : « Moi, je vous parle d’un mystère. »
Le corps de la résurrection n’est pas le corps terrestre dont nous pourrions créer des avatars numériques afin de mimer une communication fantôme avec les disparus. La résurrection n’est pas une copie, fût-elle numérique, de la vie, mais un déploiement, un accueil autre de la vie. Un autre de la chair, comme le dit l’apôtre, avec poésie et force :
« Autre l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles, d’une étoile l’autre l’éclat diffère. Même chose pour la résurrection des morts »
(1 Corinthiens, 15, 41). Croire en la résurrection des morts, c’est croire en une altérité vive de la personne humaine, jusque dans la traversée de la mort, croire dans l’inviolabilité et la dignité de la personne, au-delà de la disparition terrestre de la personne elle-même.