L’appel du riche : de l’observance à l’amour

28° D. TO. B — (Mc 10,17-27) Un nouvel épisode de câlins avec les enfants fait suite à la controverse sur le mariage, de divorce, l’adultère. Jésus y souligne une conversion fondamentale : « celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas ». Mais voici qu’après ce bain de foule, « un-seul » (heis) survient, un homme très empressé qui tombe à genoux, comme pour prier Jésus.

Une demande autocentrée

À la différence du lépreux (Mc 1, 40 : si tu le veux, tu peux me purifier), cet homme exprime une prière qui concerne son initiative à lui : « Que puis-je faire (moi) ? ». Il pense pouvoir y arriver tout seul et demande un conseil qui lui permettra d’obtenir ce qu’il désire : « avoir en héritage la vie éternelle ». On se souvient que précédemment, Jésus a souligné que pour « entrer » dans la Vie, il ne fallait pas hésiter à s’amputer (Mc 9,43.45.47), à diminuer, à se réduire, se déposséder, « ressembler » à un enfant… (10,14-15), démarche inverse de celle de cet homme. « Accueillir » ce qu’on veut bien lui donner, et non pas acquérir comme un conquérant…

Fi des politesses

« Bon maître ! » a-t-il dit à Jésus, petit compliment initial pour disposer favorablement son interlocuteur. À quoi Jésus répond avec étonnement : « Pourquoi déclares-tu que je suis bon ? Un-seul (heis) est bon ». La question en Mt est différente : « Pourquoi m’interroges-tu sur ce qui est bon ? », c’est-à-dire sur le bien à faire. Peut-être perçoit-on un certain agacement de Jésus en face des précautions oratoires, des compliments, et des questions morales plus ou moins piégées… Le « bien » absolu n’appartient qu’à Dieu seul, il n’y a de « bon1 » que Dieu seul. Pour ce qui est de l’agir humain, « tu connais les commandements ». Et Jésus cite six commandements (chiffre de l’incomplétude), qui ne font nullement référence à Dieu (v. 19), ce Dieu déjà absent de la question de l’homme. Et l’homme de répondre : « Tout cela je l’ai observé depuis ma jeunesse », s’attendant à la conclusion : donc tu auras en héritage la vie éternelle ! Or il n’en va pas du tout ainsi.

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Jésus le regardant bien, l’aima

C’est la première fois qu’apparaît ce verbe « aimer », agapaô, qui ne reviendra qu’avec la rencontre d’un scribe et la question du premier commandement. Puisque l’agacement de Jésus est perceptible, son amour exprime un dépassement, et un au-delà de ces commandements qu’il vient d’énumérer. S’il n’a pas évoqué le commandement de l’amour qui dépasse à lui tout seul le « tout cela, je l’ai observé », c’est cependant par amour que Jésus révèle à cet homme ce qui vaut plus cher que tout le reste : « une seule chose » (hen). Ce un qui manque, Jésus l’explicite ensuite en plusieurs verbes d’action : « va, vends, donne, viens, suis-moi ». Ce un, unique et pluriel, c’est l’Amour.

L’Amour appelle

Jésus en a pris l’initiative : « Le regardant bien, il l’aima ». L’amour est là, et il appelle. Et Jésus nous le montre agissant, dans une réponse qui entrelace un registre qui unit mouvement et relation (« va… aux pauvres… et viens, suis-moi »), et le registre de la propriété (« tout ce que tu possèdes, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu possèderas un trésor dans le Ciel »). Et pourtant, l’Amour n’a rien d’une « chose », il est appel et mouvement, une aventure à nulle autre pareille. La tristesse de l’homme qui s’éloigne de Jésus, dépité , n’est sûrement qu’un pâle reflet de la tristesse de Jésus à le voir s’éloigner. Dans la balance du riche, l’amour a été compté pour rien.

Une entrée difficile, mais pas impossible

Jésus redit à plusieurs reprises « comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! » (v. 23.24.25). Le registre du mouvement, « entrer », a définitivement surclassé celui de la propriété. La porte d’entrée du Royaume n’est pas un portail glorieux, mais une porte singulièrement « étroite » (Mt 7,13 ; Lc 13,22), un « trou d’aiguille », un vide, un creux, un manque. Les disciples sont « absolument consternés », et Jésus en vient lui-même à concéder que c’est « impossible » (v. 27). Mais en posant sur eux un regard bien appuyé (le même que sur l’homme riche), il entend les libérer d’un fardeau : l’entrée dans le Royaume est un acte absolument gracieux et gratuit accompli par Dieu car « tout est possible à Dieu ».

1Selon Mt 5, la perfection, de la bonté divine se manifeste dans le fait qu’il se fait « bon pour les méchants », qu’il récuse le talion, qu’il pardonne avec miséricorde. Telle est la perfection qu’il nous faut imiter.