(33° D. TO A — Mt 25, 14-30). Rappelons que Matthieu nous fournit une série suivie de quatre paraboles sur la vigilance. Dans la seconde, Jésus parle du « serviteur fidèle et sensé à qui le maître a confié la charge des gens de sa maison ». Maintenant, dans la quatrième parabole, celle des talents, Jésus aborde la vigilance sous l’angle du travail responsable à l’égard du maître qui vient.
Mes propres serviteurs, des partenaires
Le départ, le voyage et le retour du Maître sont des allusions claires à la durée entre l’ascension et la parousie. Ce temps est envisagé comme un temps de travail responsable dans une relation de confiance. Chacun, selon ses possibilités propres, doit faire fructifier au profit de la communauté les grands dons confiés ou reçus (18, 20 ; 28, 20b). La somme reçue est importante ; même le dépôt d’un talent représente en soi une grande fortune.
Pour Matthieu, les dons de Dieu, quels qu’ils soient, représentent toujours une grandeur en soi (cf. 18, 23 s.). Le Seigneur fait grande confiance à ses disciples et les traite non comme des étrangers, mais comme des partenaires, comme des personnels de la maison : « il appela ses propres serviteurs » (v. 14). Cette confiance ne va pas aux seuls disciples, mais à toute la communauté chrétienne. En confiant à ses serviteurs des sommes différentes le Maître ne veut pas signifier par là un acte de plus ou moins grande confiance. Matthieu l’exprime ainsi : le Maître confie « à chacun selon sa capacité ». Ce fait révèle la diversité des dons divins, mais aussi les différentes aptitudes dans la communauté chrétienne.
L’exigence des dons reçus : la fructification
Les serviteurs se mettent « aussitôt » au travail, signe de reconnaissance envers la confiance ainsi manifestée par le maître. La durée du voyage ou du temps de l’Église est un temps d’attente active, de travail, afin que les dons reçus ne restent pas improductifs (vv. 16-18).
Les talents ainsi confiés comportent en soi une exigence, celle de les faire fructifier (« il fallait » placer l’argent à la banque, v. 27). C’est une compréhension qui va de soi, puisqu’il n’y a pas d’ordre formel du Maître. Mais en soulignant qu’il faut « faire valoir » (v. 16), on exhorte le chrétien lecteur ou auditeur à vérifier s’il a bien conscience de la confiance qui lui est faite, et si son ardeur à produire de bons fruits est bien une réponse à cette confiance, et non pas un faire-valoir de ses propres capacités…
Les deux premiers serviteurs ont agi conformément à cette exigence interne des dons reçus — l’argent est fait pour porter des intérêts -, et à la confiance qui leur a été faite. Par contre le troisième n’a compris ni cette exigence, ni cette confiance : il enterre son capital. Le Maître le punit en lui arrachant son capital, et en l’excluant.
Car c’est moins le résultat obtenu que l’attitude vis-à-vis du capital qui intéresse le Maître. Les deux premiers qui pourtant ont obtenu des résultats différents, sont pareillement loués et récompensés. Ce qui importe, ce n’est pas tant « d’avoir gagné en plus », mais d’avoir travaillé. Ainsi le reproche fondamental fait au mauvais serviteur est son indifférence à la confiance, et son inaction.
Abondance et surabondance — ou stérilité et perte
Le don de Dieu n’est jamais une possession passive ; il doit vivre et produire. On ne s’étonnera pas alors que la récompense reçue par les deux serviteurs soit particulièrement soulignée (« il sera dans l’abondance », v. 29). Cette expression caractéristique de l’Évangile de Matthieu1 veut souligner la générosité divine envers celui qui se montre fidèle. Là où le don divin produit du fruit, là il bénéficie en plus du don surabondant de Dieu, mais là où il devient stérile, la perte est totale ; « tout arbre qui ne produit pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu2 » (Mt 7,19).
Ici encore l’évangéliste ne perd pas de vue l’exhortation qu’il a déjà énoncée : « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient » (24, 42). Il s’agit ici aussi de se préparer à cet événement final en restant fidèle à la mission confiée par le Seigneur. Le croyant n’est pas celui qui entend seulement, mais celui qui met en pratique la Parole entendue, afin de produire du fruit. Il n’a pas le droit de laisser improductif le capital du Royaume des cieux remis en ses mains. Ce capital, représenté ici par les talents, ne désigne pas d’abord des responsabilités au sein de la communauté, mais principalement le service d’amour actif que les chrétiens doivent à tous les hommes. L’évangéliste développera amplement cet aspect du service fraternel dans son dernier chapitre sur le jugement dernier (25, 31-46).
« ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres » (1 Th 5, 6)
1« À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a » (13,12).
2Il ne s’agit pas ici du jugement par les œuvres. Le jugement porte avant tout sur l’attitude fondamentale vis-à-vis de Dieu.