Vivre nos fragilités

Annie et Jean-Paul Carré, La Lettre des Équipes Notre-Dame n° 244, janv. 2022.

La puissance de Dieu se déploie en nous lorsque nous reconnaissons nos faiblesses, nos contradictions, que nous croyons en Lui et que nous le laissons nous transformer pour Lui : « C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Co 12, 10). Nos fragilités nous permettent de nous reconnaitre pécheurs et donc appelés : « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs » (Lc 5, 32). Jésus a payé le prix de notre rachat (1 Co 6, 20). Paul nous projette vers l’avenir quand il dit : « J’estime, en effet, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous » (Rm 8, 18). Ce verset nous permet d’espérer.

En revanche, quand nous nous complaisons dans notre malheur, nous fermons la porte à la grâce. Un défaut est-il une fragilité? Permettez-nous de vous partager le témoignage d’Annie. Au début de notre mariage, après la naissance de notre 3ème fille, (3 en 2 ans ½), nos professions nous prenaient beaucoup, nos parents habitaient loin. Annie: « Je me sentais écrasée, fatiguée et je me plaignais à chaque appel téléphonique. » Jean-Paul m’a dit : « Cela ne sert à rien de te plaindre, chacun préfère évoquer ses problèmes plutôt qu’écouter ceux des autres. Donc pour aimer les autres, il vaut mieux être enjouée et les écouter. » Cela m’a paru abrupt, mais j’en avais besoin pour prendre conscience que nos dires s’enregistrent sur notre disque dur et nous enferment. J’ai appris à rendre grâce pour tout, car dire merci pour ce que nous vivons change notre façon de penser, réordonne notre cerveau, donne le sourire et nous rend réceptif à l’autre. Bien sûr on ne se refait pas fondamentalement mais à la question Comment vas-tu ?, Très bien et vous ? est devenu ma nouvelle réponse. « Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts; pensez aussi à ceux des autres » (Ph 2, 4) : dès que l’on prête une oreille attentive à autrui, cela lui redonne de la force (l’opposé de la fragilité). Heureuse la femme qui trouve en son mari cette écoute compréhensive (c’est mon cas, car maintenant c’est à lui seul, voire aux très proches que je déroule mes plaintes).

Que nos fragilités soient visibles ou bien cachées, étalées ou assumées, déposons-les au pied de la Croix : « En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé » (ls 53, 4). Laissons Jésus agir. Dans chaque miracle, il guérit non seule­ment le corps, mais le cœur du pécheur.

C’est une injonction bien particulière que celle de vivre nos fragilités, alors que nous sommes bien ten­tés de vivre « avec » nos fragilités comme un impon­dérable qu’il faut bien supporter. Le Christ nous invite à être dans le monde mais pas du monde, à ne pas « faire avec » mais bien à vivre en chrétien dans ce monde. Ainsi ne vivons pas avec nos fragilités mais vivons-les pleinement, dans ce qu’elles nous rap­prochent de Dieu. « … Puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance; la persévérance pro­duit la vertu éprouvée; la vertu éprouvée produit l’es­pérance » (Rm 5, 3-4). Voyons donc nos fragilités et celles des autres (qui sont aussi à l’image de Dieu) comme un moyen de vivre la foi, la charité et l’es­pérance de l’enfant de Dieu que nous sommes. Un chemin d’humilité et de pardon souvent pour nous­-même est aussi une voie pour grandir dans la foi. Un chemin de charité et d’accompagnement des fragili­tés des autres nous rapproche aussi de Dieu. Vivre nos fragilités nous entraîne à la solidarité, à donner et à recevoir car d’autres peuvent nous aider à vivre les nôtres comme nous pouvons aider les autres à vivre les leurs puisque Dieu nous a voulus tous différents et complémentaires.