Le combat spirituel chez saint Jean de la Croix, par le P. Eric Venot Eiffel, carme
Jean de la Croix, regardant l’humanité, part de ce constat que certains trouveront pessimiste, d’autres tout simplement réaliste. Ce constat est le suivant : le cœur de l’homme (ou de la très grande majorité des êtres humains) est malade. Il ne sait pas ce qu’il désire vraiment ; il s’arrête à ce qu’il ne voulait pas réellement. C’est pourquoi Jean de la Croix lui adresse, non sans émotion, ces quelques mots : « Dépasse tes désirs, et tu trouveras ce que ton cœur désire. » « Ce que ton cœur désire », c’est-à-dire : Dieu.
Éduquer notre cœur
« La santé du cœur, nous dit-il, c’est l’amour de Dieu. Et ainsi, lorsque cet amour n’est pas achevé, accompli, sa santé n’est pas vraiment bonne. Mais plus l’amour grandit, mieux se porte le cœur de l’homme. »
Le souci de Jean de la Croix va donc être d’établir un système énergique destiné à guérir ce cœur de l’homme. Qui aime trop peu, qui aime mal. Il va essayer d’éduquer notre cœur.
Pour cela, de manière très systématique, Jean va passer en revue les divers genres de biens, de réalités de ce monde, auxquels nos cœurs ont coutume de s’attacher (chapitres 16 à 47 du 3° livre de la Montée du Mont Carmel).
Notons tout de suite que la préoccupation de Jean de la Croix n’est pas dans les biens eux-mêmes, dans ce qu’on pourrait appeler : les objets de l’amour, mais dans l’attitude que l’homme a envers eux. Le projet de Jean est d’aider l’homme à inclure tous ces amours dans l’amour de Dieu, l’homme devant surmonter son inclination à s’arrêter à ces biens, à ces réalités du monde en ne les aimant pas dans la lumière de Dieu, en considérant Dieu, d’une certaine manière, comme un objet de plus à aimer, comme une réalité en concurrence avec les autres.
Inclure tous ces amours dans l’amour de Dieu, ce sera cela correspondre au commandement biblique : aimer Dieu de tout son cœur et de toute sa force. Ce sera cela garder sa force pour Dieu, selon ce verset d’un psaume que Jean aimait à redire : « Je garderai ma force pour toi. »
« La satisfaction du cœur (ou : le plaisir du cœur), écrit Jean de la Croix, peut naître de six sortes de choses ou de biens : à savoir les biens temporels, les biens naturels, les biens des sens, les biens d’ordre moral, les biens d’ordre surnaturel, et les biens spirituels ; le cœur ne doit être embarrassé par aucune de ces catégories de biens ; ainsi il ne perdra pas sa force pour Dieu ; le cœur en effet ne doit trouver pleine satisfaction que dans la gloire et l’honneur de Dieu, et le plus grand honneur que nous pouvons procurer à Dieu est de le servir selon l’idéal de la perfection évangélique. »
Notons sans tarder une chose primordiale : Jean de la Croix ne nous invite pas à livrer un combat impitoyable contre toute satisfaction, tout plaisir provenant de ces réalités de la vie terrestre ; il ne nous invite pas à les tuer, ces divers plaisirs, mais à les ouvrir, à les livrer à ce qu’on pourrait appeler une dynamisation théologale : les transcender et les ouvrir à l‘amour de Dieu.
Malheureusement, bien souvent, une lecture peu attentive de ces chapitres a conduit à une interprétation erronée de Jean de la Croix sur ce sujet ; beaucoup d’auteurs ont fait de Jean un homme qui serait un impitoyable destructeur de tout plaisir pouvant naître des choses et des biens de cette terre … Non ; mais ce que Jean souligne avec insistance, c’est l’importance de n’être pas accroché, attaché (au sens fort du terme), arrimé, embarrassé, et comme alourdi par les choses, les biens, les réalités, nous empêchant alors de nous élever vers Dieu. « Le désir, dit-il, est la bouche du cœur, et cette bouche se dilate lorsqu’elle ne s’embarrasse pas de quelque bouchée que ce soit qui se présente à elle ; le désir en effet, quand il se fixe sur une chose, se rétrécit par là même, car en dehors de Dieu tout est étroit. » (Lettre du 14 avril 1589)
Ne pas s’attacher aux six biens
Jean divise donc les biens en six catégories.
• Les biens temporels : « Par biens temporels nous entendons ici les richesses, les manières de vivre, les charges (postes de responsabilité) et autres choses habituellement recherchées ; et également ce qui concerne les enfants, les membres de la famille, les mariages etc. Toutes ces choses dans lesquelles le cœur peut mettre son plaisir. » Ce qui concerne les biens temporels est développé aux chap. 18, 19, 20,
Ces biens sont les plus » externes », les plus extérieurs à l’homme et donc, théoriquement, les plus faciles à éduquer pour une personne spirituelle. Jean suggère dans sa définition des biens temporels la gamme des réalités qui entrent dans cette première catégorie : richesses, titres honorifiques (qu’ils soient d’ordre social, ecclésiastique, universitaire), états de vie, postes de responsabilité qui impliquent sécurité, considération, possibilités de commander et de mener une vie agréable.
Nous nous trouvons là devant des valeurs authentiques, et qui ont une fonction spécifique dans la vie de l’homme et dans l’organisation de toute société. Où est le mal ? où est l’anomalie ?
Pour un croyant, ces choses n’ont véritablement de sens que lorsqu’elles sont vécues pour le service de Dieu. Les richesses, le croyant peut se réjouir de les posséder quand « elles sont dépensées et employées pour le service de Dieu » (18,3),
Mais l’amour est gravement déficient lorsque l’homme met son cœur dans ses richesses, c’est-à-dire lorsque ces richesses deviennent la valeur ultime, la valeur suprême. C’est alors l’idolâtrie. De celui qui possède les choses de cette manière, Jean de la Croix dit en 20, 3 qu’« il n’a ni ne possède rien, que ce sont plutôt ces choses qui ont pris possession de lui et de son cœur ; et c’est ainsi que cet homme est comme captif et qu’il peine ».
Au contraire, celui qui est détaché, dit-il en 20,2, « trouve plus de plaisir et de joie dans les choses créées lorsqu’il ne se les approprie pas, car il ne pourra mettre sa joie en elles s’il porte sur elles un regard de propriétaire ». Celui qui est détaché connaît la vérité de ces choses, il jouit de leur substance, il acquiert la liberté pour aimer et œuvrer, la générosité pour partager. Et alors, vivant ainsi, ces biens temporels sont pour l’homme source de progression spirituelle.
• Les biens naturels : « Par biens naturels nous entendons ici la beauté, la grâce et le charme qui se dégagent d’un corps, la forme du corps et tous les autres dons corporels ; et également tout ce qui est de l’ordre de l’intelligence : bon sens, raison, sagesse, etc. » (chapitres 21, 22, 23),
Ce thème des biens naturels est plus important encore que le précédent, et aussi plus délicat, parce que, dit-il en 22,2, « l’homme est plus naturellement sensible aux biens naturels qu’aux biens temporels, les biens naturels faisant plus profondément et plus rapidement impression sur lui, laissant davantage de traces dans les sens et l’éblouissant plus facilement ».
Entrent dans celle catégorie toute la gamme des dons personnels qui provoquent attirance ou enchantement : la beauté physique, le don de sympathie, le talent… « Ces dons de la nature, dit-il en 21,1, sont si admirables, autant pour celui qui les possède que pour celui qui les regarde, qu’il est rare de trouver quelqu’un qui n’ait pas son cœur un tant soit peu attaché, lié à ces choses-là » … (il est réaliste … !)
Le mal n’est pas, évidemment, dans ces dons de la nature qui sont des valeurs de la personne. Mais le mal vient lorsque la personne en fait un mauvais usage : ou bien, de la part de la personne qui possède ces dons, en en tirant une vaine gloire, ou bien, de la part de la personne qui les regarde en l’autre, en y étant attachée d’une manière extrême (21,1). Et Jean fait une large énumération des maux que produit ce genre d’attachement, d’attirance extrême : vanité, sensualité, distraction, engourdissement. Dans ses invectives et dans ses conseils de prudence, il se réfère principalement aux dons les plus superficiels et qui occasionnent habituellement le plus de dommages : la beauté physique, qui est la cause de tant de morts, de dilapidations d’argent, d’adultères, de disputes et de conflits …
Il signale aussi le danger du manque de considération pour le prochain, qui prend sa source en l’attachement extrême d’une personne à certains dons. Exemple : un homme qui est excessivement sensible à la beauté des femmes aura automatiquement très peu de considération pour une femme qu’il ne trouve pas jolie. Autre exemple : quelqu’un qui est trop sensible à l’intelligence, à son intelligence propre mais aussi à l’intelligence rencontrée chez les autres, aura automatiquement très peu de considération pour les personnes qu’il trouve d’une intelligence limitée. Dans les deux cas, il ne pourra s’empêcher de faire des comparaisons … Jean exprime cela en 22,2,
Par contre, si l‘homme sait dominer et vivre avec liberté le plaisir qu’occasionnent ces dons de la nature, il trouvera, nous dit Jean de la Croix, le grand profit de l’amour ouvert à tous, la charité pour quelque prochain que ce soit, qu’il ait ou qu’il n’ait pas tel ou tel don de la nature ; il saura, nous dit Jean, aimer avec liberté, avec clarté chacun, comme Dieu désire que chacun soit aimé. (23,1),
• Les biens des sens (« sensuales ») (chapitres 24, 25, 26) : « Par bien des sens nous entendons ici tout ce qui, dans cette vie, est accessible aux sens : à savoir la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût ou le toucher ; ainsi que la construction intérieure du discours imaginaire ; tout cela appartient aux sens corporels, intérieurs et extérieurs. »
Il est donc question ici de tout l’exercice des sens externes sur les objets qui leur correspondent, avec les résonances affectives qui en découlent. C’est une activité normale, mais qui cependant a besoin d’être intégrée dans la vie spirituelle de la personne. Le mal n’est pas dans l’exercice des sens, mais dans la distraction que provoque l’excès de leur exercice et dans le fait de s’arrêter au plaisir des sens, de s’en gaver, ne pas avoir d’aune horizon (24,6).
Il faut donc éduquer les sens ; et, parmi les principaux motifs qui doivent nous pousser à cela, Jean insiste sur la liberté et la charité fraternelle. Éduquer les sens … car pour vivre une vraie transparence et une vraie liberté dans le plaisir des sens, il ne suffit pas que la personne oriente ce plaisir vers Dieu par raisonnement et par bonne intention. Il faut que cela devienne (ce mouvement de liberté) quasi naturel. Éduquer les sens, cela voudra dire avant tout : en faire un usage modéré. Et ainsi, le cœur étant propre (comme il dit en 26,6), « la personne en toutes choses trouvera quelque chose de Dieu, quelque chose qui lui procurera du plaisir et de la saveur ». Il savait de quoi il parlait en disant cela.
• Les biens d’ordre moral (chapitres 27, 28, 29). Notons qu’à partir de celle quatrième catégorie nous entrons dans des catégories de biens qui sont de caractère plus directement spirituel.
« Par biens d’ordre moral nous entendons ici les vertus et les pratiques qui en découlent au niveau moral, l’exercice des œuvres de miséricorde, la garde de la loi de Dieu, la sagesse dans le comportement et toutes les activités inspirées par de bons sentiments … »
À première vue, il peut paraître excessif que Jean nous entraîne dans son travail de purification et d’éducation appliqué à un domaine comme celui des biens d’ordre moral, comme dans ceux des catégories de biens qui suivront, c’est-à-dire les biens d’ordre surnaturel et d’ordre spirituel…
Mais Jean de la Croix connaît l’homme et il sait qu’il est de très grande urgence d’appliquer ici un sain discernement. Car il sait que les personnes spirituelles ont trop facilement confiance dans le bien des choses sacrées et des pratiques pieuses.
Jean nous explique en 38,1 à propos des oratoires et des endroits dédiés à la prière (mais la problématique de fond est la même) : « Les gens se disent : ce sont des choses saintes. Et ainsi, ils sont tranquillisés, et ils n’ont pas peur de s’attacher à ces choses avec des attitudes de propriétaire. Et ainsi, il arrive qu’ils se trompent lourdement, pensant qu’ils sont déjà pleins de dévotion, parce qu’ils se sentent attirés par ces choses saintes ; mais ce ne sera peut-être que le résultat d’une attirance naturelle : c‘est-à-dire que de la même manière qu’ils sont naturellement attirés par certaines choses, ils sont attirés par celles-là. »
Dans les biens d’ordre moral, Jean voit une valeur que Dieu estime, y compris chez les païens, et qu’il récompense abondamment en cette vie. Le danger réside dans le fait que le chrétien fasse ces choses-là par vanité, complaisance, ostentation, intérêts humains ; exactement comme le pharisien de l’Évangile. Jean a beaucoup observé la situation par rapport à ces biens d’ordre moral, et il n’est guère optimiste, C’est ainsi qu’il dit en 28,5 : « Il y a tant de misère par rapport à ce mal chez les enfants des hommes, que je pense que la majorité de leurs œuvres que nous voyons sont pleines de taches, ou bien ne leur vaudront rien, ou bien sont imparfaites devant Dieu, parce que ceux qui accomplissent ces œuvres ne sont pas détachés d’intérêts humains et du désir d’être vu. » Ces gens-là choisissent ce qui brille le plus, et refusent les services qu’ils pourraient rendre mais que personne ne verrait.
En 28,5 Jean nous explique l’attitude à avoir : dans ces bonnes œuvres que nous faisons, être conscient du danger, savoir que leur valeur ne vient pas de la dimension extérieure de l’œuvre, mais de l’amour pur de Dieu qui est mis en ces œuvres, et, bien conscients de cela, se détacher du plaisir qui vient naturellement de la satisfaction d’accomplir ces bonnes œuvres, et désirer que ce plaisir ne soit ressenti qu’en Dieu …
Exemple : j’arrive à l’oraison du matin une demi-heure avant les autres frères… Je suis conscient du danger de me croire pour cela supérieur à mes frères, et du danger de désirer que les frères se rendent compte que je fais une demi-heure d’oraison de plus qu’eux et qu’ils m’en admirent … que de satisfactions pour moi ! Aussi, je dis au Seigneur : « Seigneur, je ne veux pas de cette satisfaction ; je ne veux pas me croire supérieur aux autres ; je ne veux pas désirer que les autres me voient et m’admirent … je ne veux retirer aucune satisfaction de ce que je fais là. Que la satisfaction soit seulement en Toi, dans la joie que Tu as de me voir ici une demi-heure de plus. »
• Les biens d’ordre surnaturel (chapitres 30, 31, 32) : « Par biens surnaturels nous entendons ici tous les dons et les grâces venant de Dieu qui dépassent l’entendement normal : de ces grâces qui sont données gratuitement … ainsi par exemple les dons de sagesse et de science qui furent faits à Salomon ; et les grâces dont parle saint Paul : grâces de guérisons, miracles, prophéties… don des langues. »
Ce sont donc de ces dons de Dieu spectaculaires. Pour Jean de la Croix, tout ce qui vient ainsi « par voie surnaturelle » doit être regardé comme marginal et exceptionnel, et très inférieur aux moyens normaux voulus par Dieu, qui sont l’Évangile du Christ et son Église. Pour Jean « ce n’est pas dans les manières normales de Dieu de faire des miracles ; et, quand malgré tout il en fait, c’est d’une certaine manière parce qu’il ne peut pas foire autrement. »
Chaque fois que se produisent de ces grâces, l’homme doit avoir bien clair dans son esprit que Dieu est l’ouvrier de tout, et que la seule utilité de ces grâces est « d’introduire dans les cœurs la foi de Notre Seigneur Jésus-Christ » (31,7).
• Les biens d’ordre spirituel (chapitres 33 à 45). « Par biens d’ordre spirituel j’entends toutes ces choses qui éveillent et qui aident à aller vers Dieu, aident à la relation de l’âme avec Dieu et aux communications que Dieu fait à l’âme. »
C’est la dernière catégorie, et c’est la plus riche. Jean y consacre, non trois chapitres comme pour les catégories précédentes, mais treize. Et même ainsi, avec treize chapitres, son explication en reste à l’état d’ébauche.
Sont en jeu ici des valeurs chrétiennes d’importance primordiale : statues, lieux de culte, expressions de piété, liturgie, sacrements, modes d’explication de la foi, etc. C’est-à-dire tout ce qui sert le plus directement à l’union à Dieu. Suivant son habitude, il ne se fie pas aux apparences. Ce qui l’intéresse, c’est la manière dont les choses sont vécues de l’intérieur.
Mais il reconnaît que la matière est très délicate : c’est ainsi qu’il dit en 33,1 : « Il faudra que dans cette matière, le lecteur tout autant que moi, nous mettions une attention particulière ; en effet, il est si habituel d’utiliser les choses spirituelles seulement pour le plaisir des sens, l’esprit restant vide, que rares seront ceux chez lesquels le suc du plaisir des sens ne ravage une bonne partie de l’esprit. »
Employant un langage très ironique, il écrit son dégoût devant tant d’abus constatés par lui : manière d’habiller des statues comme on habille des poupées, chapelles super-décorées, certaines célébrations liturgiques qui manquent tellement de sobriété que l’on se demande ce que, dans le fond, les gens recherchent… Tout cela, pour lui, ce sont des enfantillages.
Notons que, en condamnant ces enfantillages, il doit être très prudent ; il sait en effet que le terrain, à son époque, est particulièrement dangereux ; il ne faudrait pas en effet qu’on l’associe à certains groupes comme les Alumbrados qui repoussent et critiquent non seulement les abus, mais aussi toute la structure sacramentelle de l’Église. Jean, lui, veut seulement éduquer au bon usage théologal des médiations.
Pour Jean, le critère, la norme, c’est toujours la sobriété. Être conscient du besoin que l’on a de ces biens, mais n’être pas inconsidérément attaché à eux ; choisir les moyens qui éveillent en soi le plus de dévotion ; ne pas se disperser, ne pas confondre le moyen et le but : éveiller la dévotion, éveiller à plus de dévotion.
Il exprime bien cela en 35,5 parlant du problème des statues : « La personne vraiment pieuse met avant tout sa dévotion dans l’invisible et n’a pas besoin de beaucoup d’images (ou statues) et elle les utilise peu … Bien qu’il soit bon d’utiliser ces instruments qui aident à faire grandir la piété dans l’homme, il convient de choisir ce qui vous aide le plus ; et, dans la recherche de la perfection, il convient de n’y être pas inconsidérément attaché, de sorte que, si ces instruments vous étaient retirés, vous seriez dans la tristesse. »
Le courage de l’amour
Nouvelles attitudes, donc, par rapport à tous ces biens. Nouvelles attitudes à travers lesquelles, peu à peu, le cœur sera éduqué, et changera la manière d’aimer Dieu.
Encore faut-il que l’homme fasse preuve d’une énergie sur l’importance de laquelle Jean insiste : il emploie, dans plusieurs passages, le qualificatif « robusto » : faire preuve d’une volonté robuste. Ainsi, dans une lettre du 18 juillet 1589 aux Carmélites de Cordoue : n’agissez pas « avec un courage puéril (le courage propre aux enfants), mais avec une volonté robuste » … «désirant que ce Christ vous coûte quelque chose » …
C’est donc un combat qui a ses rudesses.
Il ne faudrait pas croire pour autant que Jean de la Croix nous entraîne à un volontarisme un peu inhumain. Pour lui, ce combat ne peut pas être mené à bien s’il n’est pas une conséquence de l’amour, d’un amour pour Dieu déjà éprouvé ou fortement ressenti, déjà, comme tellement désirable. Écoutons-le :
« Pour vaincre et dépasser les goûts et les désirs de toutes ces choses, il est nécessaire que le cœur de l’homme soit enflammé d’un autre amour meilleur qui est celui de son Bien-Aimé ; ainsi l’homme aura le courage et la constance nécessaires … »
Un autre amour meilleur … c’est cet amour-là que notre cœur désire.
Revue « Sources Vives » n° 45, « Jean de la Croix », 1992, pp.67-77 — 13, rue des Barres, 75004 Paris