Un article de Inos BIFFI, dans ©L’Osservatore Romano du 23 avril 2010
Le temps du carême et de Pâques, dédié à la contemplation du mystère du Christ crucifié et ressuscité des morts, favorise une réflexion sur le démon, « le prince de ce monde » que Jésus a expulsé et « jeté dehors » (Jean 12,31) au moment de son élévation sur la croix. En réalité tous les théologiens ne portent pas le même intérêt au démon. Certains le voient comme un spectre inquiétant, créé par un imaginaire suspect, avec une utilité répressive, signe d’une mentalité désuète qui peine à disparaître. D’autres, le réduisent à une idée vague et synthétique du Mal à laquelle, indûment, on attribue une consistance réelle et personnelle.
Jésus Christ paraît d’un tout autre avis. Il n’a pas réduit le diable à l’idée d’une fantaisie maladive ou inquiète, mais il l’a pris très au sérieux, en entreprenant un combat implacable contre lui pendant toute sa vie et en le terrassant par sa passion et sa résurrection.
Avant tout, Jésus propose une définition précise du diable : « meurtrier dès l’origine », « menteur et père du mensonge » dans lequel « il n’y a pas de vérité », et la fausseté lui appartient directement (cf. Jean 8, 44). Défini en ces termes, le diable apparaît clairement comme l’Antithèse et Celui qui s’oppose au Christ, qui est la Vérité et la Vie (Jean, 14,6). Jésus, précisément, fait remonter l’œuvre meurtrière et mensongère du diable au « début », en nous reportant ainsi à la Genèse et à « l’antique serpent, celui qui est appelé le diable », comme il est dit dans l’Apocalypse (12, 9).
Saint Ambroise écrit : « Le démon ne sut pas maintenir la grâce reçue et il fut jaloux de l’homme puisque, pétri avec la boue, il fut choisi pour habiter en paradis » (De paradiso, 12,54). Dans les manœuvres du Serpent qui tente l’homme à peine créé, s’actualise une conspiration contre Jésus, qui vise à semer la méfiance et à miner la foi. Miner la foi en Christ est, en effet, l’action propre du malin.
Si le démon est l’Antithèse et Celui qui s’oppose au Christ, nous ne devons pas être surpris qu’au cours de sa vie, il le retrouve à ses côtés, occupé à l’éloigner lui-même, le Fils de Dieu fait homme, du dessein du Père. Mais toute tentative dans ce sens sera vaine. L’approche de la mort est ressentie par Jésus comme une venue du « prince du monde » qui cependant « contre moi ne peut rien » (Jean 14,30).
Ce que saint Ambroise affirme de la mort, dans son hymne pascal Hic est dies verus Dei vaut pour le démon : la mort s’est autodétruite. Dans la tentative de mordre la proie, c’est-à-dire le corps du Christ, qui lui a été présenté avec un piège subtil, elle en a mortellement avalé l’hameçon, en restant, en même temps enveloppée dans son filet. Il avait écrit ailleurs :
« La meilleure manière pour briser le piège tendu par la duperie du diable, était celle de montrer au diable la proie – le corps du Christ, justement pour que, en se lançant avec violence sur elle, il se prît dans son filet » (Expositio evangelii secundum Lucam, IV, 12).
Quant au traître, Judas, il devient le lieu de l’inhabitation de Satan.
Dans l’imminence de Pâques, la dernière que Jésus passe avec ses apôtres, « Satan – est-il dit en Luc – entra en Judas, dit l’Iscariote » (Luc 22, 2), alors que, selon Jean, c’est le diable qui « a mis dans le cœur de Judas de le trahir », (Jean 13, 2) ; et le même évangéliste remarquera que « après la bouchée Satan entra en lui » (Jean 13,27).
Adversaire du Christ et vaincu par lui dans sa mort et sa résurrection, le démon ne cessera pas d’être l’adversaire de ses disciples. La première Lettre de saint Pierre en parle ces termes : « Veillez. Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde cherchant qui dévorer » (1 Pierre 5, 08) ; par ailleurs, il est possible comme le constate Paul, de se perdre « pour suivre Satan » (1 Timothée 5, 15).
Comme le démon a conspiré contre la vie de Jésus, de même il utilisera des duperies contre ceux qui « observent les commandements de Dieu et qui gardent le témoignage de Jésus » (Apocalypse 12, 17), et emploiera toutes ses énergies pour les entraver. C’est le, message de l’Apocalypse, prophétie et représentation des péripéties de l’Église, à laquelle le dragon tend des pièges et qu’il persécute avec acharnement dans le temps présent, avant la venue finale de notre Seigneur Jésus et du triomphe définitif de l’Agneau.
« Qui se confie à Dieu, n’a pas peur du diable », déclare Saint Ambroise (De sacramentis, V, 4, 30) qui arrive à dire : « Là où le diable donne bataille, le Christ est présent. Là où le diable met le siège, là, enfermé parmi les assiégés, reste le Christ pour défendre l’enceinte des murailles spirituelles » (Expositio Psalmi CXVIII, 20, 51). Bien que les machinations diaboliques puissent être dangereuses et agressives, ils « l’ont vaincu grâce au sang de l’Agneau » (Apocalypse, 12, 11).
Sur cette victoire se fondent la force et l’espérance paisible des disciples du Seigneur. Si par la foi – et n’en déplaise à certains théologiens – ils savent avec une certitude absolue que le démon existe, qu’il est le tentateur, et que parfois il opère de manière déconcertante, ce n’est pas pour cela qu’ils se laissent prendre par son obsession ou envahir par la peur.
Au contraire, ils sont vigilants et ils prient, certains participent déjà à la victoire pascale de Jésus, qui maintenant se perpétue en eux. Ils se confient aux anges, particulièrement à ceux qui ont servi Jésus après les tentations du diable dans le désert, même si l’on doit reconnaître qu’aux anges en général, ces mêmes théologiens ne rendent pas la vie facile.