Yann Massart. Cet infirmier en psychiatrie s’est imposé comme un pilier de la prévention contre le suicide, dont la journée mondiale se déroule le 10 septembre.
Ne comptez pas sur lui pour utiliser des formules elliptiques : se donner la mort, mettre fin à ses jours, commettre l’irréparable… Yann Massart lâche le mot sans gène et le répète autant qu’il faut : suicide. Le sujet est si peu tabou à ses yeux qu’il l’évoque ce matin-là dans un café parisien, sous le regard un peu médusé du voisin de table qui ne pensait pas que la mort s’inviterait au menu de son petit déjeuner. « Parler du suicide ne provoque pas le suicide», insiste Yann Massart. Mieux, cela peut l’empêcher. « Les gens ne veulent pas mourir, ils veulent juste arrêter de souffrir. Une main qui se tend peut faire la différence », assure-t-il.
C’est cette conviction qui a poussé cet infirmier en psychiatrie de 37 ans à lancer, en 2020, une association et une plateforme d’information au titre évocateur : « Dites je suis là » Inspirée du site australien « R U OK ? », pionnier dans la prévention du suicide, elle sensibilise le grand public à ce qui est en France la première cause de mortalité chez les 25-35 ans – et la deuxième chez les 15-25 ans.
Si la pandémie de Covid a poussé les pouvoirs publics à investir davantage le champ de la santé mentale, ils ont tardé à se saisir de la lutte contre le suicide. Le 31 14, le numéro national de prévention, n’a vu le jour qu’en octobre 2021. Longtemps, c’est à SOS Amitié que l’on adressait son désespoir. « L’association continue de faire un travail admirable mais elle est composée de bénévoles, pas des soignants », précise Yann Massart.
Ni ligne d’écoute ni lieu de prise en charge, « Dites je suis là », reconnu d’intérêt général par l’administration fiscale quatre mois seulement après sa création, aide à repérer les signaux qui doivent alerter. « Cela peut être un changement de comportement au niveau vestimentaire, un laisser-aller ou au contraire une personne dressée sur son 31 sans raison », explique le soignant.
Plus largement, « il y a des situations à risques de suicide, comme un deuil, une séparation ou un licenciement. Mais une crise suicidaire peut aussi arriver dans des moments perçus comme heureux par la société, en particulier la grossesse et le post-partum », détaille-t-il. La chose est peu sue, mais en France, le suicide est la deuxième cause de décès maternel. Une mort évitable, insiste-t-il, à condition de savoir vers qui se tourner. « Nous avons créé un annuaire qui permet de trouver facilement le lieu où aller en cas de crise, où qu’on soit en France. S’orienter, c’est souvent ce qu’il y a de plus difficile. » Yann Massart en sait quelque chose, lui qui, depuis plus de dix ans, écoute et guide les patients qui atterrissent aux urgences de l’établissement public de santé mentale de la Sarthe, à Allonnes.
Originaire du Mans, l’infirmier raconte s’être tourné vers le soin « un peu par hasard ». Dans sa famille, on ne soigne pas, mais on a la fibre sociale : une mère qui a fait carrière à l’ANPE, un père cheminot. Sans doute sa vocation a-t-elle aussi à voir avec son grand-père maternel, mort à 60 ans d’une crise cardiaque alors qu’il était hospitalisé. « J’ai toujours gardé dans un coin de ma tête que son décès était lié au manque d’infirmiers sur place », raconte Yann Massart, qui fut alors confronté à la dépression de sa mère.
Inutile de chercher à en savoir plus, il en revient toujours à son association et à la nécessité d’accélérer encore sur la prévention contre le suicide. « Jeunes mères, personnes âgées, agriculteurs… Tout le monde peut être concerné à un moment ou un autre mais il faut des messages ciblés pour chaque population », martèle-t-il, fier d’être à l’origine de la première campagne nationale de prévention contre le suicide chez les personnes LGBT, chez qui le risque est quatre fois supérieur à la moyenne.
« Notre spot sur France 2 a coûté 60 000 €, offert par la chaîne », précise-t-il. Si l’association est financée à hauteur de 30 % par des fonds publics, Yann Massart tient à son indépendance et à la transparence. « Dès lors qu’on a un financement, il ne se passe pas trois mois entre le moment où on a une idée et celui où elle se concrétise. Si on était dans un ministère, cela serait beaucoup plus long », souligne l’infirmier, qui continue de consacrer la moitié de son temps à l’hôpital, « pour garder le contact avec le terrain ». Et dire de vive voix à ses patients : « Je suis là. »
Sa boussole. Le numérique à bon escient
Une personne qu’il admire ou qui l’inspire ? La réponse fuse : Steve Jobs, l’entrepreneur de la « tech » par excellence. Un peu « geek » – il a « bricolé quelques sites » –, Yann Massart avoue passer des heures sur son smartphone. « On voit souvent Internet comme un problème, notamment pour la santé mentale, mais tout dépend de la façon de l’utiliser. Pour moi, c’est une source d’information immense. Et sans Internet, une plateforme comme “Dites je suis là” n’existerait pas ! » De ce côté-ci de l’Atlantique, Yann Massart cite l’écrivain et chroniqueur William Réjault. Au milieu des années 2000, cet ancien infirmier a lui aussi su saisir les opportunités du numérique en lançant un blog, fenêtre ouverte sur son quotidien auprès des patients.