« Si ton frère a commis un péché contre toi... » Pour bien comprendre, il faut essayer d’évaluer le type de situation dont il est question. S’agit-il des énervements quotidiens qui provoquent les saillies de vapeur sous pression que nous connaissons trop ? S‘agit-il d’un péché contre la justice, la dignité, la réputation ? S’agit-il de blessures privées ou de péchés publics qui entachent la sainteté de la communauté ?
Respecter la dignité de chacun
Ce passage de Mt 18 nous présente d’abord une procédure pratique pour traiter de telles situations. Ensuite se posera la question : combien de fois ? La procédure s’inspire, en particulier, d’un texte du Lévitique : « Tu n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère. Tu dois réprimander ton compatriote et ainsi tu n’auras pas la charge d’un péché » (19,17) et d’un texte du Deutéronome : « Un seul témoin ne peut suffire pour convaincre de quelque faute ou délit que ce soit ; quel que soit le délit, c’est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie » (19,15). La première étape de la procédure se vit entre l’accusé et celui qui a été victime de la faute. Dans un sermon au peuple, Césaire d’Arles note avec bon sens : « Sois plein de ferveur pour le corriger, mais épargne son respect humain. Car la honte pourrait l’inciter à défendre son péché ; et celui que tu voudrais rendre meilleur, tu le rendrais pire. »
Multiplier les possibilités de réconciliation
Si le fautif persiste dans son attitude négative, la victime ira avec un ou deux autres pour interpeller le coupable. Si le pécheur s’obstine encore, c’est toute la communauté locale croyante qui l’interpellera. Car c’est la sainteté de l’Église qui est en jeu dans les divisions dues au péché. L’Église, que Jésus veut sainte (son Église), la communauté, doit veiller à sa sainteté. Ezéchiel 33 insiste sur la vocation de guetteur pour la Maison d’Israël, d’avertisseur du méchant (1° lecture).
Au terme des trois démarches, si le coupable résiste encore, on le considérera comme un païen et un publicain. On peut penser que, pour Matthieu, cela veut dire qu’on l’excommuniera comme non-croyant, comme traître à la communauté. Césaire d’Arles commente : « Cela ne veut pas dire que tu doives pour autant négliger son salut, car toujours nous désirons et cherchons le salut des païens et des publicains. »
La rupture envisagée (v. 17b) ne signifie donc pas qu’on doive se désintéresser du frère éloigné ou séparé, comme si c’était sans espoir de retour. Le verset 18 parle de lier et de délier1. Les deux termes ne sont pas parallèles, mais s’enchaînent : lier pour délier. Césaire d’Arles commente : « Au moment où tu commences à tenir ton frère pour un publicain, tu le lies sur la terre […]. Puis, quand tu as remis ton frère sur le droit chemin et t’es réconcilié avec lui, tu l’as délié sur la terre et […] il sera délié dans le ciel ». Le chapitre 18 tout entier nous exhorte à respecter les petits, de chercher la brebis perdue…
La prière communautaire au nom du Seigneur
Jésus souligne alors la puissance de la prière pour aboutir à cette réconciliation. Prière de toute la communauté rassemblée, mais même celle d’aussi peu que deux membres. Si puissante est cette prière pour la réconciliation du frère qu’elle sera exaucée par le Père qui est aux cieux. Elle est un don de Dieu, que nous sommes invités à demander en suppliant… En sommes-nous convaincus ? Quel temps passons-nous à supplier ? Rappelons-nous la demande de Marie à Lourdes : « Priez pour les pécheurs ». Peut-être comprenons-nous mieux la demande répétée de la paix communautaire avant la communion, reprenant la prière d’adieu de Jésus (Jn 17, 21) : « Conduis-la vers l’unité parfaite ».
« N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel » (Rm 13)
1Il est intéressant de noter qu’on trouve ce vocabulaire en Mt 16,19, et là, il y est question du pouvoir de Pierre d’enseigner et de solutionner les problèmes de moralité dans la communauté. Or, en Mt 18,18, le nom de Pierre n’apparaît pas et il semble que ce soit la communauté locale qui a le pouvoir de lier et de délier, d’admettre et d’exclure quelqu’un.