Rome, 7 juin 2013 (Zenit.org)
Francesco : je suis un jeune qui essaie d’être fidèle, oui, je cherche à être fidèle. Mais j’ai des difficultés. Parfois j’ai des doutes et je pense que c’est tout à fait normal à mon âge… je veux te demander quelques paroles pour soutenir cette croissance et tous les jeunes comme moi.
Mais cheminer est un art, parce que si nous marchons toujours en hâte, nous nous fatiguons et nous ne pouvons pas arriver à la fin. De même, si nous nous arrêtons, nous ne pouvons pas parvenir à la fin. Cheminer, c’est l’art de regarder l’horizon en pensant où je veux aller, mais aussi de supporter la fatigue du chemin. Tant de fois, le chemin est difficile. Il n’est pas facile. Nous voulons rester sur le chemin mais ce n’est pas facile. Il y a l’obscurité, des journées sombres, des journées d’échec, des journées de chute aussi, on tombe. Mais pensez toujours cela : ne pas avoir peur de l’échec, ne pas avoir peur des chutes. Dans l’art de cheminer, ce qui importe n’est pas de ne pas tomber, mais de ne pas rester ‘tombé’ ! Se relever vite, tout de suite, et continuer à marcher. Et cela est beau. C’est le travail de chaque jour, cheminer de façon humaine. Mais il est mauvais de marcher seul. Mauvais et ennuyeux. Marcher en communauté, avec les amis, avec ceux qu’on aimer, cela nous aide à arriver à la fin, où nous devons arriver. Je ne sais pas si j’ai répondu à ta question ? C’est bon ? Ne pas avoir peur du chemin, hein ?
Sofia : je voulais vous demander, étant donné que comme tous les enfants, vous êtes allé à l’école, vous aviez des amis, non ? Et aujourd’hui étant pape, voyez-vous encore ces amis ?
Je suis pape depuis deux mois et demi… mes amis sont à 14h d’avion, ils sont loin… mais je vais te dire une chose : trois amis sont venus pour me saluer, ils m’écrivent, et je les aime tant. On ne peut pas vivre sans amis. C’est important.
Teresa, visiblement émue, a demandé au pape s’il voulait ‘faire le pape’ ou non.
Tu sais ce que signifie qu’une personne ne s’aime pas elle-même ? Une personne qui veut faire le pape ne s’aime pas elle-même, Dieu ne le bénit pas… non, je n’ai pas voulu faire le pape.
Monica et Antonella : qu’est-ce qui vous a poussé à être jésuite ?
(…) Ce qui m’a le plus plu dans la Compagnie, c’est l’aspect missionnaire. Je voulais devenir missionnaire. Et quand j’étudiais la philosophie, non, quand j’étudiais la théologie, j’ai écrit au général qui était le P. Arrupe, pour qu’il m’envoie au Japon ou ailleurs. Mais il a réfléchi et m’a dit avec beaucoup de charité : « Mais vous, vous avez eu une maladie au poumon, vous n’êtes pas assez en forme pour un travail si exigeant », et je suis resté à Buenos Aires. Mais le P. Arrupe a été si bon, parce qu’il n’a pas dit « vous n’êtes pas assez saint pour être missionnaire ». Il était bon ! Il avait de la charité. Ce qui m’a attiré fortement chez les jésuites, c’est l’aspect missionnaire, aller à l’extérieur, partir en mission, annoncer Jésus-Christ. Je crois que c’est le propre de notre spiritualité : aller à l’extérieur, sortir, sortir toujours pour annoncer Jésus-Christ et ne pas rester un peu ‘fermés’ dans nos structures, qui sont souvent caduques. C’est ce que j’ai aimé. Merci.
Kateria, de Léon XIII : pourquoi avez-vous renoncé à toutes les richesses d’un pape, à un appartement luxueux, à une grosse voiture… ?
Je crois que ce n’est pas seulement une question de richesse. Pour moi c’est un problème de personnalité. Il m’est nécessaire de vivre parmi les gens. Si je vivais seul, peut-être un peu isolé, cela ne me ferait pas de bien. Un professeur m’a posé cette question : « pourquoi n’allez-vous pas habiter là ? ». J’ai répondu « écoutez professeur, c’est pour motifs psychiatriques ». Parce que c’est ma personnalité. L’appartement n’est pas si luxueux, rassure-toi. Mais je ne peux pas vivre seul. Et puis je crois que oui, les temps nous parlent de tant de pauvreté dans le monde, et c’est un scandale. La pauvreté du monde est un scandale. Un monde où il y a tant de ressources pour donner à manger à tous… on ne peut pas comprendre comment il y a tant d’enfants affamés, tant d’enfants sans éducation, tant de pauvres. La pauvreté aujourd’hui est un cri, c’est un cri, et nous devons tous penser à devenir un peu plus pauvres. Nous tous devons le faire : comment puis-je devenir un peu plus pauvre pour ressembler à Jésus. Il est le maître pauvre. Ce n’est pas la question de ma vertu personnelle : c’est seulement que je ne peux pas vivre seul. Et sur la question de la voiture, de ce genre de chose, dont tu parlais, [il s’agit de] ne pas avoir tant de choses et devenir un peu plus pauvre. C’est cela.
Eugenio : comment as-tu fait pour devenir jésuite ? Est-ce que cela n’a pas été difficile de laisser la famille, les amis ?
Ecoute : c’est toujours difficile. Toujours. Pour moi cela a été difficile. Ce n’est pas facile. Il y a des moments beaux, où Jésus t’aide et te donne un peu de joie. Mais il y a des moments difficiles, où tu te sens seul, tu te sens sec, sans joie intérieure. Il y a des moments sombres, d’obscurité intérieure. Il y a des difficultés. Mais il est si beau de suivre Jésus, d’aller sur la route de Jésus, que tu restes en équilibre et tu avances. Et puis arrivent des moments plus beaux. Mais personne ne doit penser que dans la vie il n’y aura pas de difficultés. A mon tour je veux adresser une demande : comment pensez-vous avancer avec les difficultés ? Ce n’est pas facile. Mais nous devons avancer avec courage et avec confiance dans le Seigneur. Avec le Seigneur tout est possible.
Federica : Je voudrais demander une parole pour les jeunes d’aujourd’hui, pour l’avenir des jeunes d’aujourd’hui, étant donné que l’Italie se trouve dans une situation de grave difficulté…
Tu dis que l’Italie est dans un moment difficile. Oui. Il y a la crise. Mais je te dirai : pas seulement l’Italie. Le monde entier en ce moment est en crise. La crise… la crise n’est pas quelque chose de mauvais. C’est vrai que la crise nous fait souffrir, mais nous devons, et vous les jeunes… nous devons savoir lire la crise. Cette crise, que signifie-t-elle ? Que dois-je faire moi-même pour aider à sortir de la crise ? La crise qu’en ce moment nous vivons est une crise humaine. On parle d’une crise économique, d’une crise du travail, oui, c’est vrai, mais pourquoi ? Parce que ce problème dans le travail, ce problème dans l’économie, sont des conséquences du grand problème humain. Ce qui est en crise c’est la valeur de la personne humaine. Et nous devons défendre la personne humaine. En ce moment… j’ai déjà raconté cela trois fois, mais je le raconte une quatrième fois : j’ai lu une fois le récit d’un rabbin du Moyen-âge – des années 1200 – et ce rabbin expliquait aux juifs de ce temps-là, l’histoire de la Tour de Babel. Pour construire la Tour de Babel, ce n’était pas facile. Ils devaient faire les briques, et comment fait-on les briques, il faut chercher la terre, la paille, les mélanger, les mettre au four, c’était un gros travail et après ce travail une brique devenait un vrai trésor. Puis ils portaient les briques les unes sur les autres pour la construction de la Tour de Babel. Mais si une brique tombait, c’était une tragédie. Ils punissaient l’ouvrier qui l’avait fait tomber. C’était une tragédie. Mais écoutez ça : si un homme tombait, il ne se passait rien. C’est la crise que nous vivons aujourd’hui. C’est la crise de la personne. Aujourd’hui la personne ne compte pas. Ce qui compte ce sont les sous, ce qui compte c’est l’argent. Et Jésus… Dieu a donné le monde, toute la création, il l’a donnée à la personne, à l’homme et à la femme. Afin qu’ils la poursuivent. Non pas à l’argent. C’est une crise de la personne, il y a une crise parce que la personne aujourd’hui – écoutez bien, c’est vrai – est « esclave ». Et nous devons nous libérer de ces structures économiques et sociales qui nous rendent esclaves. C’est vrai. C’est notre devoir.
Francesco : Je voulais te demander si tu étais déjà allé en Sicile.
Je peux dire deux choses « non » et « encore non ».
Francesco : Si tu viens nous t’y attendons.
Mais je te raconte quelque chose : de Sicile, je connais un très beau film que j’ai vu il y a 10 ans, qui s’appelle Kaos, avec un k. Kaos. C’est un film fait d’après quatre récits de Pirandello (Luigi) et ce film est si beau, on peut y voir toutes les beautés de la Sicile. C’est la seule chose que je connais de la Sicile. Mais elle est belle, hein ?
Professeur Jesus Maria Martinez, enseignant en espagnol : je vois tant de personnalités aussi et également nous adultes, enseignants, éduqués par les jésuites, je me pose des questions sur notre compromis politique, social, dans la société, comme adultes dans les écoles jésuites, comment notre engagement, notre travail, aujourd’hui en Italie, dans le monde, comment être jésuite et être évangélique.
S’impliquer en politique est une obligation pour un chrétien. Nous chrétiens, nous ne pouvons pas jouer à Pilate, nous laver les mains. Nous ne pouvons pas. Nous devons nous mêler de la politique. Car la politique est l’une des formes les plus hautes de la charité. Parce qu’elle cherche le bien commun. Les laïcs chrétiens doivent travailler en politique. Vous me direz « mais ce n’est pas facile… »… mais ce n’est pas facile non plus d’être prêtre. Il n’y a pas de choses faciles dans la vie, elle n’est pas facile. « La politique est pourrie » ; mais je pose la question : elle est pourrie parce que les chrétiens ne s’en sont pas mêlés avec l’esprit évangélique. Je pose la question. Il est facile de dire : « c’est la faute de ceci »… mais moi, qu’est-ce que je fais ? C’est un devoir. Travailler pour le bien commun est un devoir du chrétien ; et souvent le chemin pour y travailler est la politique. Il y a d’autres voies, professeur par exemple est une autre voie, mais l’activité politique pour le bien commun est l’une des routes. Est-ce que cela est clair ?
Giacomo : nous avons appris à expérimenter, à cohabiter avec beaucoup de pauvretés, pauvreté matérielle, dans notre jumelage au Kenya, pauvreté spirituelle, je pense à la Roumanie, vicissitudes politiques, alcoolisme… Père, je veux vous demander : comment, nous jeunes, pouvons-nous cohabiter avec cette pauvreté, comment devons-nous nous comporter ?
Avant tout, je voudrais vous dire une chose, à vous tous les jeunes : ne vous laissez pas voler l’espérance. S’il-vous-plaît. Et qui vole l’espérance ? L’esprit du monde, les richesses, l’esprit de la vanité, la suffisance, l’orgueil, toutes ces choses te volent l’espérance. Et où trouver l’espérance ? Jésus pauvre. Jésus qui s’est fait pauvre pour nous. Tu as parlé de pauvreté. La pauvreté nous appelle à semer l’espérance, pour, moi aussi, avoir plus d’espérance. Ceci semble un peu difficile à comprendre. Le P. Arrupe, une fois a écrit une bonne lettre aux centres sociaux de la Compagnie. Il parlait de la façon dont on devait étudier le problème social. Mais à la fin il nous disait : on ne peut parler de pauvreté sans avoir d’expérience avec les pauvres. Tu as parlé du jumelage avec le Kenya. L’expérience des pauvres. On ne peut pas parler de pauvreté abstraite, ça n’existe pas. La pauvreté est la chair de Jésus pauvre, de cet enfant qui a faim, de celui qui est malade, des structures sociales injustes. Il faut y voir la chair de Jésus. Mais ne vous laissez pas voler l’espérance par l’esprit du bien-être qui à la fin vous porte à devenir un « rien » de la vie… les jeunes doivent parier sur de hauts idéaux. C’est le conseil. Mais l’espérance, où je la trouve ? Dans la chair de Jésus souffrante, dans la vraie pauvreté. Il y a un lien entre les deux.
Traduction de Zenit, Anne Kurian