Du temps pour la prière

Une réflexion de Sr Jeanne d’Arc. Titre original de l’article: « La prière de Soeur Jeanne d’Arc ». Dans la revue PRIER, n°114, Septembre 1989, pages 8-9

« La maladie prend du temps et n’en donne pas. Pour la prière, je pense à cette vieille et sage règle du Carmel: Dans la maladie, les soeurs exploiteront les vertus qu’elles ont acquises quand elles allaient bien.  Sur son lit d’invalide, Soeur  Jeanne d’Arc, 71 ans, garde un sourire plein d’une douceur parfois malicieuse, le ton net, le regard pénétrant. Cette grande exégète et bibliste, dominicaine, auteur d’une traduction des Evangiles à partir du grec qui a fait événement, vit aujourd’hui dans la souffrance, l’impuissance et l’isolement, conséquences de la maladie.

Dans la maison familiale, sa chambre est la chapelle où elle écoute l’office sur cassettes et médite les très nombreux textes que garde en mémoire cette militante du « par coeur »  » qui est un coeur à coeur ». « C’est si précieux dans tous les moments de la vie où on se trouve à vide… ». Elle nous a offert de puiser aussi dans le trésor des conférences et articles qu’elle a consacrés à la prière, au cours d’une vie contemplative et apostolique.

APPRENDRE A TOUT QUITTER
« Mourir, c’est lâcher tout, et même son propre corps pour être livré totalement à Dieu. Comment voulez-vous qu’on sache un jour tout quitter si l’on n’est pas capable de quitter chaque jour une petite chose de rien du tout -fermer son livre ou lâcher son tricot- pour entrer dans l’oraison ?
Si nous n’avons pas su couper net nos occupations,  elles nous occuperont et nous empêcheront d’être tout aux choses du Seigneur… Et ce sera le purgatoire  des  distractions envahissantes, la peine de subir ce qu’on n’est pas capable de quitter.   Il faut entrer dans l’oraison comme on se laisse couler en eau profonde et non comme celui qui avance à petits pas, sur la plage doucement inclinée, en hésitant à perdre pied.  C’est  une  preuve  d’amour  profonde  qui  touche le  Seigneur:  dès maintenant, il fera de notre oraison un apprentissage mystérieux du paradis et,  à l’heure de  notre  mort,  il  nous rendra tout entier libre pour répondre à son appel. »

LA PRISE DE COURANT
« Dans ce grand bâtiment illuminé qu’est l’Eglise, l’oraison joue le rôle d’une prise de courant: c’est elle qui assure le  contact permanent avec la source  de  lumière,  de  chaleur et de force…
Devant cette prise de courant, il n’y a pas moyen de savoir si le courant arrive ou non. On  a envie  de  penser que cela ne sert à rien, quand on ne voit ni lumière, ni résultat. En attendant, il faut durer dans le silence et l’espérance, maintenir coûte que coûte le contact dans la foi. ll faut y croire.
Dans notre vie, comme dans la vie de  l ‘Eglise,  de  cette  source  cachée ruisselleront des pays de fontaines, de cette obscurité fusera la lumière, de ce creux d’ombre se répand la paix, de ce temps perdu votre journée reçoit efficacité, dans ce repos votre travail prend valeur, à partir de ce silence votre parole devient féconde.Mais la prière, par où vous viennent tous ces  biens, peut rester glacée, voire, inaccessible et dure. Aucune importance: c’est la prise de courant ».

LA PRIERE ET LE TEMPS
« Deux sortes de sacrifices nous sont rapportés dans la Bible: l’holocauste, où l’offrande est intégralement détruite (brûlée ou répandue en libation), le sacrifice de communion où Dieu rend à l’homme la victime offerte, qui devient nourriture. De même, la prière a deux façons de sacraliser notre temps : holocauste et communion, temps sacrifié pour Dieu seul, temps rempli secrètement de prière tandis que nous le consommons.
Pour reconnaître le souverain domaine du Créateur sur notre être, nous lui offrons dans la prière une dîme de notre temps: « Ce temps précieux dont je suis si avare, je n’ai rien de plus précieux à t’offrir, et me voici devant toi et je le laisse couler goutte à goutte, inutile. Je le brûle, vide, vidé de tout pout toi; je suis confus de ne pas savoir mieux le remplir et  d’être  là,  tout  interdit,  vaguement ennuyé,  harcelé  par  ces  choses  que j’ai voulu écarter de cette heure pour te  les  donner  mais  qui  reviennent… Pardonne  ma  distraction,  ma  maladresse et mon ennui. Apprends-moi à dilapider mon temps avec magnificence en libation inutile. »
Evidemment, tout notre temps ne peut  être  ainsi  offert  en  sacrifice… Mais  durant  le  labeur  quotidien,  il faut aussi que la prière remplisse notre vie, courtes invocations, rosaire murmuré  ou  simplement  adhésion  de  la foi  à  la  Présence  qui  ne  nous  quitte  jamais.
Le temps offert à Dieu à travers le mille occupations quotidienns représente  le  sacrifice de communlon:  le Seigneur a accepté l’offrande de notre journée et il nous rend ce temps commenourriture  :  nous  en  usons  pour  gagner  notre  paix  et  pour  servir nos frères,  mais  nous  devons  le  remplir secrètement   de prière   incessante. » (Extrait du n° 2 des Cahiers sur l ‘oraison.)

DONNE-MOI, SEIGNEUR,  UN COEUR QUI ECOUTE
Le Seigneur parle en songe à Salomon: « Demande ce que tu veux que je te donne ». Et Salomon répond: « Un coeur qui écoute ». En hébreu: lébh stoméa. Et Dieu dit: « Voici que je fais ce que tu as dit: je te donne un coeur sage et intelligent ». Pour Dieu, savoir écouter, c’est donc toute la sagesse et l’intelligence…
« Donne-moi Seigneur un coeur qui écoute ». C’est une oraison excellente, que nous allions entendre un sermon, faire oraison, visiter un malade ou simplement chaque fois que nous avons à entrer en contact avec notre prochain. Et quand nous sommes seuls, cette demande peut devenir notre prière habituelle pour obtenir de rester attentifs au fond du coeur et sans cesse écoutant, en face du Seigneur. (« La Vie Spirituelle », 1955).

LES PETITS ENFANTS ET L’ORAISON
Avant l’ âge de raison, les enfant sont fréquemment sous l ’emprise de l’Esprit  Saint.  lls  sont  dans  la grâce neuve  de  leur baptême  et  Dieu  peut oeuvrer facilement en leur âme. Leur goût des choses de Dieu, leur compréhension,  l’ ouverture  de  leur  intelligence et de leur coeur sont infiniment plus  avancés dans  l ‘ordre surnaturel que  dans  l’ordre  naturel…  C’est  un âge  priviléglé pour l ‘ intimité  simple avec  le Seigneur : entre 5 et 7 ans, la majorité  des  enfants  sont capable d’oraison, l ‘aiment  et  s’y  trouvent bien.        S ‘ils  ne  prient  pas,  c ‘est  le  plus souvent la faute des grandes personnes. En général, elles pensent à « occuper »  l ‘enfant:  histoires, découpa-ges, coloriages, toute une accumulation de distractions pieuses pour s’ef-forcer de meubler le temps. ll faut au contraire désoccuper l’enfant, lui faire découvrir  la valeur du silence,  de la présence, de l ‘offrande, de la foi… La seule  chose  à  laquelle il  faut  faire attention, c ‘est à n’ employer que des mots  qu’ils  connaissent. Et alors  ils comprennent  très  bien et leur intuition des choses de Dieu va infiniment plus loin que  les mots.
A une petite fille de 5 ans et demi qui  me  disait: « Expliquez-moi le Saint-Esprit »,  j ‘ai  essayé  de  dire  le texte même de saint Paul, dans lequel il n’y a aucun mot qu’elle ne connaisse: « Dieu le Père a mis en nous l’Esprit de son Fils qui dit: Père ». Après un instant de réflexion, elle dit: « C’est beau ». Puis: « Encore ». Et je redis plusieurs fois le texte dont elle ne se lassait pas. Le soir, elle prolongea sa prière, disant: « J’écoutais pas avec mes oreilles, mais dans mon coeur, l’Esprit du Fils qui dit en moi: Père ».
Les petits enfants ne sont-ils pas nos maîtres en matière d’oraison?

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