Henri d’Anselme : « Si l’on se nourrit de beauté, le mal nous devient insupportable »

Par Recueilli par Clémence Houdaille, le 7/12/2023 . Site de La Croix

Henri d’Anselme, 25 ans, effectue un tour de France des cathédrales qui doit s’achever à Noël. Au cours de ce périple, il a croisé au mois de juin à Annecy (Haute-Savoie) la trajectoire d’un homme agressant au couteau des bébés et est intervenu, avec d’autres, pour l’empêcher de continuer. Un an avant l’inauguration de Notre-Dame de Paris restaurée, il revient pour La Croix sur sa passion pour les cathédrales et ses motivations spirituelles.

La Croix : Depuis le 25 mars, vous effectuez un tour de France des cathédrales, en stop, en médiatisant cette aventure sur les réseaux sociaux. Comment est né ce projet ?

Henri d’Anselme : Faire un grand tour de France des cathédrales était pour moi un rêve de gamin. J’ai toujours été fasciné par la cathédrale de Chartres, vers laquelle je me rends en pèlerinage tous les ans, et aussi par Notre-Dame de Paris. Cette idée de tour de France des cathédrales répondait à un besoin personnel d’aventure, à une démarche de foi et de pèlerinage, mais aussi à l’envie de découvrir en profondeur la France, ses différentes régions.

J’y pensais sérieusement depuis le lycée, mais je n’imaginais pas que ça se ferait. Des personnes à qui j’en parlais m’avaient cassé dans mon élan. Une certaine pression du monde faisait qu’à la suite de mes études (une licence de philosophie et un master en management, NDLR) il fallait trouver un boulot, gagner sa vie… Ça restait une idée folle.

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L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, a été fondateur. En voyant l’émotion générale, la façon dont le monde entier était touché, je me suis alors dit que cette idée folle n’était peut-être pas si folle que ça. Cet événement marquait peut-être le retour des cathédrales. Puis, en juillet 2022, un rapport du Sénat sur l’état du patrimoine religieux en France tirait la sonnette d’alarme, expliquant que ce patrimoine était le plus menacé de France. Cela m’a fait réfléchir aussi. Je me suis alors dit que si je menais à bien mon projet, ça ne serait pas que pour moi, pour vivre mon aventure personnelle, mais pour transmettre quelque chose sur ce que j’allais découvrir.

Vous avez donc repoussé le début de votre vie professionnelle pour vous lancer dans cette aventure…

H. d’A. : J’ai travaillé quelque temps dans le bâtiment, sur un chantier de rénovation de monument historique, où j’ai découvert le monde des Compagnons du devoir. J’ai rencontré des personnes extraordinaires, qui m’ont encouragé. Cela m’a permis de gagner un peu d’argent pour acheter du matériel de randonnée et me lancer, le 25 mars, fête de l’Annonciation.

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Avec pour but d’effectuer ce tour de France en neuf mois, jusqu’à Noël. J’espère réussir à voir les 175 cathédrales que compte la France, au sens large, c’est-à-dire les cathédrales actuelles, les églises qui ont eu le titre de cathédrales par le passé, et les co-cathédrales.

Avez-vous senti que ce que vous partagiez sur les réseaux, sur l’histoire des cathédrales et sur votre démarche spirituelle de pèlerinage, intéressait ?

H. d’A. : Au départ, mes abonnés sur les réseaux sociaux étaient essentiellement mes amis et ma famille… Mais cela a très vite pris, et en deux mois et demi, j’avais 12 000 abonnés. Cela m’a conforté dans l’idée que les cathédrales parlent aux gens, les touchent. Leur beauté, et l’urgence à sauver cette beauté en péril, ne laisse pas les gens indifférents. L’élan autour de Notre-Dame de Paris l’a très bien symbolisé. Mais il n’y a pas que Notre-Dame ! En quelque sorte, mon tour de France sert à rendre justice aux autres cathédrales.

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Le spirituel irrigue tout. J’ai la foi, ma démarche est forcément irriguée par cela. Mais mon tour de France, c’est aussi l’aventure, la transmission, et la découverte de la beauté en tant que telle. Je suis forcément très porté par ma démarche de foi, elle me tient compagnie. Mais mon aventure, c’est aussi, et même en majorité, la rencontre des personnes, les voir s’enthousiasmer quand je leur raconte mes découvertes…

« Le simple fait d’assumer ma foi à l’antenne a touché des gens »

Le 8 juin, vous étiez de passage à Annecy (Haute-Savoie) au cours de votre tour de France, lorsque vous avez croisé la route d’Abdelmasih H., un demandeur d’asile syrien, qui a poignardé des bébés et des personnes âgées. Avec d’autres personnes, vous êtes intervenu pour l’empêcher de continuer ses actes. Avec le recul, comment analysez-vous votre présence à ce moment précis ?

H. d’A. : C’est un peu un mystère. Je pense que j’étais conduit par la Providence. Je n’ai pas choisi d’être là à ce moment-là. Et je n’ai pas choisi d’agir… Enfin non, ce n’est pas vrai. Il y a une demi-seconde de volonté, puis j’ai agi instinctivement. Sur le coup, je n’avais pas du tout conscience de ce que j’avais fait. J’ai eu peur pour les autres, mais je pense que je n’ai pas eu conscience du danger pour moi. L’agresseur a crié « in the name of Jesus Christ ». Mais j’ai appris depuis qu’il se serait fait passer pour un chrétien d’Orient (1) pour tenter d’obtenir l’asile en Europe.

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Très vite, j’ai été submergé d’appels de journalistes. Au départ, je ne voulais pas répondre, je sentais la machine médiatique s’emballer. En discutant avec mes parents, avec mes amis, j’ai finalement accepté de répondre à des sollicitations. Et j’ai eu l’impression que le simple fait d’assumer ma foi à l’antenne a touché des gens. Tout est grâce.

Lors des interviews alors, vous avez tout de suite mis l’accent sur votre aventure autour des cathédrales, presque plus que sur ce qui s’était passé à Annecy. C’était une volonté délibérée ? Une manière de garder le contrôle ? De recentrer sur ce qui était important pour vous ?

H. d’A. : C’est une bonne question… Le message que j’ai voulu transmettre à ce moment-là, et encore aujourd’hui, c’est que si j’ai été capable de réagir de cette manière-là, tout le monde est capable de le faire, à condition de se nourrir de beau et de grand. Et c’est ce que nous apporte la fréquentation des cathédrales, si l’on relève la tête pour regarder leurs flèches. Si l’on se nourrit de grandeur et de beauté, le mal nous devient insupportable. Il ne faut pas s’habituer au mal, s’habituer à vivre avec.

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C’est un message d’espérance et de beauté, même s’il nous arrive d’assister à des choses horribles, comme ce fut le cas à Annecy. Et en tant que chrétiens, nous savons que le Christ est ressuscité ! Ces cathédrales témoignent de la victoire du Christ sur la mort.

Après avoir assisté à cette scène traumatisante, avez-vous pu bénéficier d’un accompagnement spécifique ?

H. d’A. : Oui, tout de suite. Il se trouve que ce jour-là, des membres de cellules de crise de soutien psychologique étaient en formation à Annecy. Toutes les personnes ayant assisté à la scène ont pu ainsi être prises en charge rapidement. J’ai aussi demandé de l’aide à ma famille, et j’ai pu être suivi pendant un mois par une psychologue spécialisée dans les traumas. Cela m’a permis d’évacuer ce que j’avais vécu.

Avez-vous gardé contact avec les autres personnes présentes ce jour-là?

H. d’A. : Je n’ai pas de nouvelles des enfants blessés, même si je sais qu’ils s’en sont sortis. Mais je suis resté en contact notamment avec Lilian, l’un de ceux qui sont intervenus, nous échangeons régulièrement.

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Vous avez été surnommé « le héros au sac à dos », puisque c’est ainsi que tout le monde vous a vu sur les vidéos, vous opposant à l’assaillant grâce à cet attribut de votre périple. C’est d’héroïsme qu’il s’agit ?

H. d’A. : Pour moi, l’héroïsme est une disposition intérieure d’abandon et de détermination. On peut être des héros au quotidien… Faire son lit le matin peut être un acte héroïque. L’héroïsme, c’est la recherche dans tous les actes de notre vie d’un idéal qui nous transcende.

Après le 8 juin, vous avez pu reprendre votre route comme si de rien n’était ?

H. d’A. : Beaucoup de mes proches voulaient que j’arrête ne serait-ce que quelque temps. Mais c’était hors de question ! Au contraire, ma route prenait tout son sens. Je suis reparti, en stop. J’ai repris comme avant, mais avec plus de pression, car j’étais plus suivi sur les réseaux sociaux. Avec en plus cette chose bizarre à gérer d’être reconnu et sollicité, alors qu’avant c’était moi qui sollicitais de l’aide, un logement… Ça n’a pas été simple, même si de fait mon parcours est facilité.

« Il faut reconstruire nos cathédrales intérieures »

Vous allez arriver au terme de votre aventure à Noël, après neuf mois à sillonner la France. Et après, que comptez-vous faire ?

H. d’A. : J’ai un projet de livre, d’autres projets audiovisuels qui verront sans doute le jour dans les prochains mois. Ce qui est certain, c’est que je veux continuer à me mettre au service des cathédrales, mais pas seulement, au service aussi de la transmission de ce qu’il y a de beau dans notre pays. Car parler de beauté, la montrer et la partager crée une unité. En regardant notre pays, on ne peut que constater des divisions. Pour moi, l’unité passe par la beauté. C’est à partir de cela qu’on pourra construire quelque chose.

Dans tout juste un an, le 8 décembre 2024, Notre-Dame de Paris, restaurée, sera inaugurée. Vous avez d’ailleurs demandé à Emmanuel Macron, lorsque vous l’avez rencontré à Annecy en juin, de pouvoir être présent à cette inauguration, comme un point d’orgue à votre tour de France des cathédrales. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

H. d’A. : Peut-être que finalement l’incendie qui a touché Notre-Dame est une grâce. La restaurer n’aurait pas suffi, il fallait la reconstruire. C’est peut-être aussi le signe qu’il faut reconstruire nos cathédrales intérieures. C’est très étonnant de voir à quel point cela a touché la terre entière.

Ce qui s’est passé est au-delà du bâtiment, ça touche à l’âme de notre pays et sa vocation. Jean-Paul II nous invitait à voir les signes des temps. Dans un pays déchristianisé comme le nôtre, nous avons des signes d’un retour à la spiritualité et à la foi, et je pense que l’élan autour de Notre-Dame en est un.

(1) L’enquête sur Abdalmasih H. se poursuit pour «tentatives d’assassinats», le Parquet national antiterroriste ne s’étant pas saisi de l’affaire. Dans une interview au Figaro, jeudi 7 décembre, la procureure de la République d’Annecy affirmait que le mis en cause est «de confession chrétienne».

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Dans un an, Notre-Dame rendue au culte

Le 8 décembre 2024. C’est la date prévue pour la réouverture au culte de Notre-Dame de Paris, après cinq ans d’un chantier pharaonique engendré par l’incendie qui a ravagé la cathédrale parisienne, le 15 avril 2019.

Cette date n’a pas été choisie au hasard : solennité de l’Immaculée Conception dans le calendrier liturgique, le 8 décembre est aussi la fête du chapitre de la cathédrale de Paris, c’est-à-dire de l’ensemble des chanoines qui ont pour charge d’assurer la permanence de la prière et de la liturgie à Notre-Dame.

Ces chanoines, au nombre de 20 titulaires (auxquels s’ajoutent des chanoines honoraires), sont nommés par l’archevêque, après consultation du chapitre.

Cette institution du chapitre existe dans toutes les cathédrales. Celui de Notre-Dame de Paris remonte à l’année 1163, date de début de la construction de l’édifice.

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Des réseaux sociaux aux documentaires

Le « Quasimodo de toutes les cathédrales », comme Henri d’Anselme se définit sur son profil Instagram, a vu la fréquentation de ses réseaux sociaux exploser depuis le 8 juin 2023, date à laquelle sa route a croisé celle de l’assaillant d’Annecy, auquel il s’est opposé. L’ancien étudiant en philosophie et en école de commerce est passé de 12 000 abonnés sur sa page Instagram « Le chant des cathédrales », sur laquelle il partage, vidéos à l’appui, ses découvertes, à 146 000 abonnés en décembre 2023.

Le jeune homme de 25 ans s’est vu aussi solliciter par de nombreux médias. Après une chronique hebdomadaire dans Valeurs actuelles au cours de l’été, c’est sur C8 qu’il va partager son aventure, dans une série de quatre documentaires de cinquante-deux minutes, diffusés à partir du mois de janvier. « J’ai choisi d’accepter la proposition du groupe Canal car ils m’ont garanti une totale liberté dans ce que j’allais faire, explique-t-il. Dans ce documentaire, je parlerai de la visite des cathédrales et de la vie qu’il y a autour de cette aventure, l’accueil chez l’habitant, les rencontres avec des artisans, l’apprentissage de savoir-faire manuels… »

Recueilli par Clémence Houdaille