Heureux ceux qui croient sans avoir vu

(2° Dim. Pâques B — Jn 20, 19-31) Il y a beaucoup à recevoir de ce passage de Saint Jean. La retranscription de l’apparition de Jésus aux Onze est très différente de Luc et Matthieu. Jean compose un récit original centré sur la FOI en Jésus ressuscité. L’absence volontaire de Thomas, peut-être le seul qui soit assez libre pour ne pas rester enfermé et se promener dans les rues de Jérusalem, sert de prétexte à cette mise en relief de la double réaction de Thomas à laquelle je limite cette méditation.

Un refus : non, je ne croirai pas !

Thomas le disciple avait été capable de convaincre ses compagnons de suivre Jésus en Judée pour aller rendre visite à Lazare : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » (Jn 11,16). Il y a chez Thomas une sorte de fidélité aveugle. Mais voici qu’il manifeste un refroidissement retentissant envers le maître et ses compagnons : il est le grand absent du premier rassemblement post-pascal. Qu’est-il donc arrivé à Thomas ? Le choc de la mort de Jésus, produit dans un coeur assoiffé d’absolu ? Peut-être… Un tempérament hypersensible capable d’entrer en ébullition par enthousiasme, comme aussi de s’enfermer dans un mutisme déçu et boudeur ? Peut-être…

En tout cas le résultat est là : « Si je ne vois pas… si je ne touche pas… non, je ne croirai pas.…» « En aucun cas, je ne croirai ». Sa réplique a quelque chose de violent, d’inconvenant, elle marque le refus de croire plus encore que le doute. L’idée de la Résurrection définitive de Jésus est donc inconcevable pour Thomas. Certains pensent qu’il était proche des Sadducéens, et donc enraciné dans cette attitude. Où il est loin d’être seul.

Thomas a des ancêtres et une descendance

Précédemment dans le même Évangile de Jean, Jésus lui-même critique ceux qui ne peuvent pas croire sans signes visuels. La demande de Thomas : « Si je ne vois pas… je ne croirai pas » (Jn 20, 25) est précisément l’écho verbal de la réprimande de Jésus : « Si vous ne voyez pas… vous ne croirez pas » (Jn 4, 48). Car les pharisiens et leurs semblables, ironiquement ou sérieusement, demandent sans cesse à Jésus un signe visible1. Même devant Jésus en croix, ils se moquent : « Qu’il descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions ! » (Mc 15, 32).

« Moi, je ne crois que ce que je vois ! », dit la descendance nombreuse de Thomas qui s’enferme dans une connaissance purement matérialiste dite scientifique. Et Jésus vient la bousculer par cette remarque ironique, moins blessante que désappointée:  « Parce que tu m’as vu, tu crois »… Quelle pitié ! J’attendais plus de toi…

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Un gros rattrapage : mon Seigneur et mon Dieu !

C’est bien pourquoi Jésus rabroue Thomas avec fermeté. « Cesse d’être incrédule, sois croyant. Réagis en croyant !   Il fait aussi le même reproche aux disciples d’Emmaüs (Lc 24, 25). Globalement, les chapitres qui terminent les Évangiles ne masquent pas l’incrédulité des apôtres.

On peut gloser tant qu’on voudra sur le revirement total de Thomas et son adhésion à la résurrection : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28). Ce n’est qu’un rattrapage. Car désormais l’acte de foi repose sur les paroles de témoignage des apôtres. La « finale » de Marc la souligne même lourdement, et l’analyse finement : «  l leur reprocha leur manque de foi et la dureté de leurs cœurs parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient contemplé ressuscité » (Mc 16,14).

L’acte de foi véritable

La parole de Jésus qui clôture l’épisode, « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », n’est pas une condamnation de nos doutes légitimes, ni a fortiori une invitation à la crédulité. C’est une invitation à ne pas rester enfermés dans nos doutes. Il y a des doutes féconds qui invitent à aller toujours plus loin dans la compréhension du mystère de Dieu   ces doutes sont des tremplins, des étapes pour creuser davantage notre foi. Il y a aussi des doutes stériles qui empêchent d’avancer dans la foi   «  puisque je ne peux pas comprendre, je laisse ma foi de côté »  .

Mais l’acte de foi véritable est dépouillé, nu, obscur ; il accepte de ne pas s’appuyer sur une satisfaction des sens, sur des ressentis. L’acte de foi véritable est pro-actif : je veux croire. L’acte de foi véritable est raisonné : je crois sur le témoignage des Apôtres, unanimes pour dire qu’ils ont vu le Christ ressuscité.

« La victoire remportée sur le monde, c’est notre foi » (1 Jn 4,4).

1Mc 8, 11-12; Lc 11, 16.29- 32; Mt 12, 38-42; 16, 1-4.