Cana, un dialogue tout en nuances
* Quoi entre toi et moi ? Un rejet… — À une exception près, l’expression qu’emploie Jésus à Cana ne se trouve ailleurs dans les Évangiles que sur les lèvres des démoniaques, au moment où le Fils de Dieu en expulse précisément les démons. France Quéré en fait la nette remarque : « Cette expression bizarre n’est, dans l’Évangile, employée que par les démons. C’est un cri de protestation ! » Mise dans la bouche de Jésus, cette expression est très paradoxale !
Nous devrions traduire finalement ce Quoi entre toi et moi par des mots qui donnent à l’expression le maximum de force : « De quoi te mêles-tu ? » — c’est ainsi que traduit la TOB pour tous les cas des Synoptiques.
L’emploi de cette expression par Jésus possède une petite sonorité de rejet. N’oublions pas : c’est de l’Heure (la Passion) dont il est question, comme il va le dire ensuite. À travers la demande de Marie, Jésus voit très loin, car il doit entrer, en lutte ouverte avec l’ennemi de tout le genre humain : le Diable. Marie vient solliciter Jésus ; mais Jésus entend rester maître de la réalisation de sa mission ; ou plus exactement, il entend rester pleinement obéissant à son Père… Quel mystère !
* Quoi entre toi et moi ? Une divergence… — Allons plus loin dans la réflexion. Cette traduction littérale Quoi entre toi et moi ? rend le grec « ti emoi kai soi », formule sémitique qui n’a guère d’équivalent dans les langues européennes et dont le sens dépend du ton, du geste qui l’accompagne.
Dans la Bible, cette formule, « ma li walak », propre au langage diplomatique, met en question le lien qui existe entre deux partenaires, soit pour indiquer une rupture, soit pour attirer l’attention de l’interlocuteur sur un point de divergence.
La formule, à elle seule, ne permet pas de préciser. Sa tournure interrogative, telle une question rhétorique, n’appelle pas de réponse, mais ouvre à la réflexion. Ici, elle implique que Jésus ne se tient pas au même niveau que sa mère.
Comme la traduction littérale reste inadéquate, ne pourrait-on risquer une tournure comme celle-ci : « Mon souci est-il le tien ? » Quel est le souci de Jésus, la phrase qui suit l’indique : il s’agit de l’« heure ».
* Le sens du titre « Femme » — Ce titre évoque quelque chose qui dépasse le simple niveau des relations familiales, tout en ne les méconnaissant pas. Avec ce nom de Femme, Marie depuis ce moment, ne sera plus seulement la Mère de Jésus, mais la « Femme-Mère » qui devra assumer un rôle spécifique dans l’œuvre messianique du Fils : représenter le peuple de l’alliance dans une attitude d’ouverture et de disponibilité à la parole de Dieu. Elle est la « Mère-Sion » (Ps 87, 5 ; cf. Is 2, 2-5 ; Mi 4, 1-3 ; Za 8, 20-23), la nouvelle Jérusalem qui réunit ses fils pour la construction du nouveau Peuple de Dieu (cf. Is 51, 18. 20 ; 66, 8), le nouvel Israël dans sa situation eschatologique.
A Cana, dans la requête de Marie relative au vin nuptial, Jésus voit tout Israël arrivé à la plénitude des temps qui se tourne vers lui avec confiance en son ministère messianique.
Le mot ne pouvait être mieux choisi pour donner à entendre la fonction d’Épouse départie à Marie. Comme Épouse, elle est la première collaboratrice du Christ. En tant qu’Épouse du Christ elle devient véritablement une aide semblable à lui (Gn 2, 19). À Cana, elle l’aide à préparer le vin, à dresser la table du banquet et elle dépêche les gens de la maison (Pr 9, 1-5). Déjà à l’heure du signe, Jean nous montre la Vierge-Épouse intégrée au plus profond dans le plan rédempteur.
* Une invitation à une prise de conscience nouvelle — En sa mère, Jésus voit désormais la « Femme », c’est-à-dire non plus seulement l’Israël qui lui a donné le jour, mais Sion qui attend et espère le temps du salut définitif. En effet, par cette appellation, Jésus invite à une prise de conscience nouvelle. C’est ce que le texte met en évidence, du fait que le vocatif « Femme » appartient non pas à la phrase précédente, mais à celle qui vient après : « Femme, n’est-elle pas encore arrivée, mon heure ? »
* Mon Heure — Chez Jean, l’heure finale s’accomplit lors de la glorification de Jésus sur la Croix. Telle est l’« heure de Jésus », celle de son retour au Père (13, 1), celle qu’il a acceptée pleinement (12, 27) tout en demandant à son Père de la traverser sain et sauf, celle enfin où ses disciples le laisseront seul (16, 32). Elle est fixée par le Père et c’est en fonction d’elle que Jésus ordonne son activité entière, car en elle culminera sa mission.
* N’est-elle pas encore arrivée, mon Heure ? — Cette parole, ici traduite selon l’ordre des mots grecs présente littérairement une obscurité. Le grec oupo ékei hé hora mou peut être entendu ou bien comme une assertion négative : « Mon heure n’est pas encore arrivée », ou bien comme une phrase interrogative : « Mon heure n’est-elle pas encore arrivée ? ». Les anciens manuscrits ne comportant pas de ponctuation, le choix dépend de l’interprétation du contexte. La tournure interrogative permet fort bien d’enchaîner la réaction immédiate de Marie avec la réponse entendue.
Jésus n’hésite pas à s’engager, maintenant que la situation montre que l’heure est venue pour lui d’entrer dans sa voie de service. Face à Israël démuni, Jésus est provoqué à consentir. La forme interrogative implique qu’il est impensable pour lui de se soustraire à sa mission. De toute manière, la réponse de Jésus dévoile un horizon plus ou moins proche. « Mon heure » désigne bien l’ouverture du ministère, qui sera la manifestation de la gloire par le prototype des signes ; elle peut viser aussi au-delà, jusqu’à l’heure de la Croix qui sera celle du retour dans la gloire du Père.
Extrait de La Petite École Biblique n° 59 — https://petiteecolebiblique.fr/59-les-noces-de-cana/
Paroles du pape François avant l’Angelus : quelle différence entre un miracle et un signe ?
Chers frères et sœurs, bonjour !
L’Évangile de la liturgie de ce jour raconte l’épisode des noces de Cana, où Jésus transforme l’eau en vin pour la joie des mariés. Et il conclut ainsi : « Ce fut le début des signes que Jésus accomplit ; il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». (Jn 2, 11). Nous remarquons que l’évangéliste Jean ne parle pas de miracle, c’est-à-dire d’un événement puissant et extraordinaire qui suscite l’émerveillement. Il écrit qu’à Cana, un signe se produit suscitant la foi des disciples. Nous pouvons alors nous demander : qu’est-ce qu’un « signe » selon l’Évangile ?
Un signe est une indication qui révèle l’amour de Dieu, c’est-à-dire qu’il n’attire pas l’attention sur la puissance du geste, mais sur l’amour qui l’a provoqué. Il nous enseigne quelque chose de l’amour de Dieu, qui est toujours proche, tendre et compatissant. Le premier signe se produit alors que deux jeunes mariés sont en difficulté le jour le plus important de leur vie. Au milieu du festin, il manque un élément essentiel, le vin, et la joie risque de s’éteindre au milieu des critiques et du mécontentement des invités. Imaginez comment une fête de mariage peut se dérouler avec seulement de l’eau ! C’est terrible, la mauvaise impression que donneront les mariés !
C’est la Vierge qui constate le problème et le signale discrètement à Jésus. Et Il intervient sans clameur, presque sans le faire voir. Tout se passe discrètement, « dans les coulisses » : Jésus dit aux serviteurs de remplir les jarres d’eau, et celle-ci devient du vin. C’est ainsi que Dieu agit, de façon proche, avec discrétion. Les disciples de Jésus le voient : ils voient que, grâce à Lui, les noces sont devenues encore plus belles. Et ils voient aussi la manière d’agir de Jésus, ce service de manière cachée – voilà comment est Jésus : il nous aide, il nous sert de manière cachée, à ce moment-là – au point que les compliments pour le bon vin vont ensuite à l’époux, personne ne le remarque, seulement les serviteurs. Ainsi, la semence de la foi commence à se développer en eux, c’est-à-dire qu’ils croient que Dieu est présent en Jésus, l’amour de Dieu.
Il est beau de penser que le premier signe que Jésus accomplit n’est pas une guérison extraordinaire ou un miracle dans le temple de Jérusalem, mais un geste qui répond à un besoin simple et concret des gens ordinaires, un geste domestique, un miracle, disons, « sur la pointe des pieds », discret, silencieux. Il est prêt à nous aider, à nous relever. Et ainsi, si nous sommes attentifs à ces « signes », nous sommes conquis par son amour et devenons ses disciples.
Mais il y a un autre trait distinctif du signe de Cana. En général, le vin donné à la fin de la fête était le moins bon ; c’est aussi la façon de faire aujourd’hui et, à ce moment-là, les gens ne distinguent pas très bien s’il s’agit d’un bon vin ou d’un vin légèrement dilué. Jésus, au contraire, s’assure que le festin se termine avec le meilleur vin. Symboliquement, cela nous dit que Dieu veut le meilleur pour nous, il veut que nous soyons heureux. Il ne fixe aucune limite et ne demande aucun intérêt de notre part. Dans le signe de Jésus, il n’y a pas de place pour les arrière-pensées, pour les exigences du couple. Non, la joie que Jésus laisse dans nos cœurs est une joie pleine et désintéressée. Ce n’est pas une joie édulcorée !
Je vous propose donc un exercice qui peut nous faire beaucoup de bien. Essayons aujourd’hui de fouiller dans nos souvenirs à la recherche des signes que le Seigneur a opérés dans ma vie. Chaque personne devrait dire : dans ma vie, quels signes le Seigneur a-t-il accomplis ? Quels indices de sa présence ? Les signes qu’il a faits pour nous montrer qu’il nous aime ; pensons à ce moment difficile où Dieu m’a fait expérimenter son amour… Et demandons-nous : avec quels signes discrets et attentionnés m’a-t-il fait sentir sa tendresse ? Quand ai-je senti le Seigneur le plus proche de moi, quand ai-je senti sa tendresse, sa compassion ? Chacun d’entre nous, dans son histoire, a connu de tels moments. Allons chercher ces signes, rappelons-nous. Comment ai-je découvert sa proximité ? Comment une grande joie est-elle restée dans mon cœur ? Revivons les moments où nous avons fait l’expérience de sa présence et de l’intercession de Marie. Qu’elle, la Mère qui, comme à Cana est toujours attentive, nous aide à garder précieusement les signes de Dieu dans nos vies.