Le dernier dimanche de chaque mois, à 21h30, KTO retransmettra les vêpres de l’abbaye bénédictine du Cœur Immaculé de Marie, à Keur Moussa, au Sénégal. À l’occasion de la première, ce 30 octobre, KTOmag est allé à la rencontre du père Olivier-Marie Sarr, son père Abbé.
Comment une abbaye bénédictine a-t-elle été fondée au Sénégal ?
À la demande de Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991), alors archevêque de Dakar, le monastère bénédictin de Keur Moussa a été fondé en 1963 par l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes, en France dans la Sarthe.
Dom Philippe Champetier de Ribes (1920-2006), Prieur fondateur, a été le premier abbé de notre communauté de 1984 à 2000. Son successeur fut dom Ange-Marie Niouky (1947-) qui a renoncé à sa charge abbatiale en 2018. Et c’est le 19 janvier 2019 que j’ai été élu troisième abbé de Keur Moussa.
En 2003, l’abbaye de Keur Moussa a fondé le monastère Saint- Joseph de Séguéya, en Guinée Conakry, près de la ville de Kindia.
Quel est aujourd’hui son rôle dans le tissu religieux du pays ?
Nous n’avons pas spécialement le souci d’avoir un rôle, ni d’être reconnus. On se contente de vivre notre vie monastique telle qu’elle nous a été transmise par les Pères du désert, notre bienheureux Père saint Benoît, notre tradition solesmienne et celle que nos fondateurs nous ont laissée. Cette tradition se résume en trois réalités qui sont spécifiquement ecclésiales : la doctrine, la liturgie et la vie fraternelle. Vie fraternelle en communauté et hors de la communauté comme l’accueil des hôtes, l’écoute, sans oublier, nos relations au quotidien avec nos voisins musulmans avec qui nous travaillons.
Évidemment, notre communauté est très intégrée dans l’Église locale diocésaine et nationale. Nous sommes soucieux d’accueillir leurs demandes de prières, de partager leurs soucis et d’accueillir leurs prêtres qui ont besoin de repos.
Nous avons été fondés durant le concile Vatican II.
C’est au numéro 119 de la Constitution sur la liturgie, en effet, que nous étions invités à une ouverture aux trésors culturels du pays, tout en respectant les vérités de notre foi que nous chantons. Nous avons été très attentifs à respecter cette vérité lors de notre souci d ‘inculturation de notre liturgie, pour que la foi célébrée soit vraiment une foi incarnée. F. Dominique Catta a été le maître d’œuvre de ce laborieux travail d’écoute dans l’obéissance à l’Église. Sous son impulsion, des instruments locaux accompagnent notre psalmodie, lui donnant un cachet bien particulier.
Le plus connu est la kora ou harpe africaine. C’est en 1974 que l’abbaye a créé l’atelier de lutherie du monastère destiné à fabriquer et à moderniser des koras grâce au génie et à la passion du P. LucMarie Bayle. Depuis lors, la kora s’est établie comme le premier instrument de référence dans notre vie liturgique grâce à sa noblesse, à la douceur et la profondeur de sa sonorité et de sa belle structure d’instrument à 21 cordes, parfaitement adapté à l’accompagnement des psaumes. La composition des tons s’inspire essentiellement du chant grégorien et de la musique africaine qui ont au moins trois points communs : faire chanter la parole, élever le cœur et nourrir la vie spirituelle.
Vous comparez l’abbaye aux fondations du Moyen Âge, centre d’attraction et de vie locale, centre d’innovation aussi …
Lorsque les 9 moines de Solesmes sont arrivés, ils ont choisi comme devise du monastère, un texte du Psaume 64,13 (Vulgate) : « les oasis du désert refleuriront »; ils étaient alors certainement conscients du désert physique d’une végétation rare. Ils ont fait refleurir ce désert en contribuant au développement de la biodiversité et de l’écosystème du lieu avec l’implantation de plusieurs espèces forestières, médicinales, nourricières et en fournissant de l’eau aux populations environnantes. Parallèlement à cet effort écologique et social, une ferme a été lancée avec une unité de fabrication de fromages de chèvre.
Dès les premiers mois de leur installation, les moines ont commencé à recevoir de nombreux malades si bien que le frère infirmier était débordé. C’est ainsi que Dom de Ribes a fait appel, en 1965, à une Congrégation de religieuses françaises (les Servantes des pauvres), pour prendre en charge le dispensaire qu’elles ont érigé sur le domaine du monastère. Aujourd’hui, cette unité de soins, composée d’un labo et d’une pharmacie, accueille 200 malades par jour en moyenne pour des consultations.
L’éducation a été également un besoin primaire dans ce désert appelé à fleurir. Lors de notre installation, aucune école n’était encore ouverte dans un périmètre de 30 kilomètres. Aussi, les moines ont jugé bon de construire, en 19651 une école primaire et, en 1972, une école agricole.
Enfin, en matière d’éducation, le monastère est en train de projeter l’ouverture d’un complexe scolaire alliant enseignement général, formation technique et professionnelle et formation en agroécologie en lien avec la Direction de l’Enseignement catholique de Thiès. Notre ambition est d’offrir à chaque élève l’opportunité d’étudier et de développer une conscience écologique forte en l’intéressant aux métiers verts comme l’assainissement de l’eau, le traitement des déchets … L’abbaye est devenue un biotope apprécié des spécialistes qui constatent qu’une faune et une flore disparues ailleurs sont très présentes sur notre domaine.
Enfin, pour une optimisation de la chaîne de valeur, les fruits de notre verger sont transformés par notre structure agroalimentaire. Nous travaillons beaucoup pour le séchage des fruits, ce qui permet leur conservation et la vente.
KTO vous remercie vivement, ainsi que votre communauté d’avoir accepté ses caméras ! Que souhaitez-vous dire aux téléspectateurs qui attendent avec impatience de pouvoir prier avec vous, et à ceux qui ne vous connaissent pas encore?
C’est à travers ses cassettes, CD et les plateformes de téléchargement que Keur Moussa a pu toucher de centaines de milliers de personnes éparpillées dans le monde. Au moment où nous allons enregistrer deux nouveaux CD, à l’occasion de nos 60 ans d’existence, les retransmissions à venir de KTO constituent pour nous une continuité dans cette œuvre d’évangélisation à travers la musique sacrée. Alors, en ces temps troubles pour notre humanité, je veux, avec toute ma communauté, souhaiter à tous les téléspectateurs de vivre pleinement, selon ma devise abbatiale : « les joies de la paix ». La paix du cœur, la paix des consciences, dans les familles, les communautés. La paix pour ceux et celles qui souffrent, pour les personnes avancées en âges et pour ceux et celles qui sont loin de l’Église. La paix est le premier mot de Jésus adressé aux siens après sa résurrection:« Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix (Jn 14,27) … et le désert des cœurs fleurira».