Journal La Croix l’Hebdo du 27 mai 2023
Patrick Bernard, fondateur du collectif La république des hypervoisins, à Paris
Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?
Je me lève parce que j’aime énormément ce que je fais. C’est même une « activité » qui m’a, d’une certaine façon, réconcilié avec moi-même. Je suis devenu « l’ami du quartier » ! Après avoir quitté mon métier de journaliste, où j’avais été amené à réfléchir à l’économie de la proximité, j’ai eu l’intuition d’appliquer sur le terrain ce que j’avais en tête, là où j’habitais, en l’occurrence le 14e arrondissement de Paris.
Je me suis dit que la convivialité a une valeur et c’est une valeur qui sommeille. Mon boulot va être de trouver les dispositifs, ce que j’appelle « l’ingénierie sociale », qui vont permettre de dynamiser cette convivialité pour produire de la richesse. La richesse, c’est le mieux vivre ensemble mais aussi l’amélioration des politiques publiques, avec toujours l’idée de placer l’habitant au centre. En avril 2017, j’ai donc créé, avec quelques personnes du quartier, le collectif La république des hypervoisins dont le slogan est : « Comment transformer un voisin qui dit bonjour cinq fois par jour en un hypervoisin qui dit bonjour 50 fois par jour. »
Au travail, ça se passe comment?
Ce que je fais n’est pas à proprement un travail et je suis d’ailleurs à la retraite depuis quelques mois. C’est du bénévolat. Mais si cette expérimentation venait à se répliquer, il ne faudrait surtout pas que les personnes soient bénévoles. Ma mission est de relier 5 000 habitants du matin au soir dans un territoire de vie défini pour pouvoir raconter une histoire et espérer que les gens nous suivent.
Concrètement, je suis beaucoup dans la rue. La clé du succès, c’est d’avoir du temps et de créer un climat de bienveillance. Nous faisons des réunions les samedis matin, des apéros les vendredis soir, nous préparons des événements divers et variés. Nous avons, par exemple, commencé par la végétalisation des rues parce que c’est l’activité la plus efficace pour créer du lien. Puis, nous avons organisé la « Table d’Aude » qui a réuni, à deux reprises, mille convives dans deux rues du quartier. Nous avons également mis en place des bornes pour transformer les biodéchets en compost et nous sommes en train de transformer la Place des droits de l’enfant, qui était à un carrefour, en place de village. C’est long, mais mener des gens à réfléchir pour modifier l’espace public, c’est quelque chose de nouveau.
Nous avons par ailleurs mis en place des commandes groupées auprès d’un pêcheur normand et créons des boucles WhatsApp comme Ma rue est solidaire. Enfin, nous avons le projet d’ouvrir une maison de santé. Les partenaires sont déjà là, il nous manque juste un local qui nous passe systématiquement sous le nez parce que les marchands de biens ont la mainmise sur tout le foncier. Ce projet montrera comment l’intelligence collective d’un quartier vient créer une nouvelle politique de santé à l’échelon du microlocal.
En qui avez-vous confiance ?
J’ai confiance dans l’extraordinaire richesse que constitue un écosystème humain. Mais en tant qu’« ami du quartier », mon propos n’est pas tant de chercher des gens en qui j’ai confiance que de savoir comment, dans ce que je fais, dans ce que je propose, je vais inspirer confiance.
Une scène qui vous a marqué récemment ?
Il y a quelques mois, une « hypervoisine » me demande ce qu’on peut faire pour aider un monsieur qu’elle voit dormir sur un banc depuis trois jours. Le lendemain, nous allons le voir et nous activons la chaîne des maraudes pour qu’il dorme dans un foyer. En discutant avec lui, nous découvrons qu’il habite le quartier mais n’ayant pas renouvelé son allocation handicapé, il a considéré qu’il n’avait plus les ressources pour payer son loyer et a quitté son appartement. Comme il ne voulait pas retourner chez lui, nous avons réussi à le convaincre d’aller à l’hôpital Sainte-Anne. Au bout d’un mois, il est sorti et a repris ses clés. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que la voisine m’a dit : « Avant les hypervoisins, je n’aurais peut-être pas fait attention lui. »
Quelque chose qui vous changerait la vie, là, tout de suite ?
La création d’une délégation de service public citoyenne ! C’est quelque chose qui pourrait non seulement me changer la vie en tant qu’hypervoisin, mais qui pourrait changer la vie de tous les citadins. De la même façon qu’on délègue le ramassage des poubelles à des entreprises privées, par exemple, on pourrait créer un nouveau cadre juridique dans lequel l’habitant serait une force de proposition et un acteur du changement.
Et pour demain, une idée pour changer le monde ?
J’aurai plutôt une idée pour changer la ville, qui passe par le microlocal. Je suis convaincu qu’il faut agir au plus petit échelon et que c’est la somme de ces petits échelons qui aboutiront à de grands desseins. C’est en changeant les comportements au quotidien qu’on va changer la ville et le monde.
Repères
Patrick Bernard, 63 ans, en famille recomposée avec trois enfants, aime à dire qu’il n’est pas seulement « l’ami du petit-déjeuner », mais « l’ami du quartier toute la journée ». C’est sans aucun doute le voisin que les habitants de cette partie du 14e arrondissement de Paris, entre la rue de la Tombe-Issoire et la porte d’Orléans, rencontrent le plus souvent. Et pour cause, c’est son « job » de créer du lien. Souriant, il promène sa bonhomie dans ce coin de la capitale, diffusant sa philosophie de « Bisounours radical ». Avec une grande idée : il faut de la bienveillance pour changer les comportements. Son projet, qui ne se résume pas à la Fête des voisins, organisée cette année le 2 juin, interpelle jusqu’à l’étranger, où plusieurs articles ont présenté son initiative. Son rêve, ce serait de modéliser cette expérimentation pour qu’elle puisse être répliquée et intégrée à une stratégie urbaine.