Nous entrons aujourd’hui dans une autre partie de l’Évangile de Matthieu : l’enseignement en paraboles, à commencer par la parabole du semeur. Autant Luc est plus élégant : « Le semeur sortit pour semer la semence » (Lc 8, 5), sous-entendez, la semence de la Parole, autant Matthieu reste plus agricole et basique en parlant des « grains » qui tombent ici ou là, dont il dit que c’est la « parole du Royaume ». La parabole n’est pas très optimiste : si dans trois cas sur quatre (75 %), le grain ne peut porter de fruit, c’est parce que l’homme est malade.
Le grain semé, puis enlevé, desséché, étouffé
L’être humain n’habite pas son propre cœur, il reste en périphérie de son cœur, « au bord du chemin » (13, 19), il ne saisit pas la Parole. Cela donne prise au « Mauvais » qui « survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur ». Il ne faut pas sous-estimer cette œuvre diabolique, l’avortement de la parole de vie.
Ou encore, le cœur est inconstant. Il reçoit la parole avec joie, mais c’est un enthousiasme momentané. « Il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment », il ne fait pas un travail sur lui-même pour prendre une décision durable, et donc « détresse ou persécution à cause de la Parole » empêchent la croissance.
Ou encore le cœur est partagé. Ce que Jésus appelle « les ronces » est nommé plus précisément : « le souci du monde et la séduction de la richesse », au fond, le matérialisme ambiant.
Dans les trois cas, Jésus nous dit que nous sommes superficiels : pas vraiment présents, pas décidés pour durer, pas mûrs pour faire des choix coûteux.
Le grain qui mûrit jusqu’à la moisson
La « bonne terre », le cœur bien disposé, c’est « celui qui entend la Parole et la comprend ». Entendre, être bien présent, et repousser le travail du Mauvais ;
comprendre avec le cœur et l’intelligence le coût à payer, c’est-à-dire
– s’engager dans la durée en acceptant que le chemin soit pavé de souffrances intérieures et d’oppositions extérieures
– consentir aux choix difficiles exigés par la suite du Christ, renoncer à courir après la réussite dans la société, renoncer à l’emprise du matérialisme…
On entend bien, à travers cet enseignement parabolique, la même chose que les choix de Jésus lors des tentations, ou encore la même chose que ce qu’il dit sur les exigences pour venir à sa suite. Les trois vœux religieux ne sont pas une invention de l’Église, mais la cristallisation de l’enseignement évangélique sur le Royaume de Dieu dans lequel nous cherchons à entrer.
Jésus annonce qu’il y aura une récolte, (de cent, soixante ou trente pour un). Mais le règne de Dieu, il faut bien l’admettre, ne s’établira qu’au travers de nombreux échecs
Pourquoi leur parles-tu en paraboles ?
On peut être frappé par un long développement situé en Matthieu entre la parabole et son interprétation. À la question posée par les disciples, la réponse de Jésus tient en trois points.
– Une distinction entre les disciples et les autres interlocuteurs : « A vous, il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. » Il faut se souvenir que l’enseignement en paraboles suit immédiatement le récit des polémiques avec les Pharisiens et avec ceux qui, comme eux, refuseront de reconnaître en Jésus le Messie de Dieu.
– Un constat : « Ils (ses opposants) regardent sans regarder, ils écoutent sans écouter ni comprendre. » Comme le prophète Isaïe, des siècles plus tôt, qui le disait de ses propres contemporains (Is 6, 9-10). De nombreuses fois, Jésus a fait ce constat : plus les auditeurs s’enferment dans leurs propres certitudes, plus ils deviennent imperméables à la Parole de Dieu. La parabole, c’est une pédagogie pour essayer de toucher ces cœurs endurcis.
– Un dicton : « A celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. » Voilà une formulation particulièrement abrupte du thème des deux voies, classique dans l’A.T. Si nous prenons la bonne direction (la bonne « voie »), chaque pas que nous faisons dans ce sens nous rapproche du but. Si, par malheur, nous choisissons la mauvaise direction, chaque pas fait dans ce sens nous éloigne du but.
« Vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent ! » (13, 16)