Une homélie du P. Alexandre Men
Alexandre Men est né en 1935 d’un père juif non croyant, ingénieur. Sa mère, juive également, se convertit au christianisme et est baptisée dans l’Église orthodoxe en même temps que son fils, quelques mois après la naissance de celui-ci. Après avoir terminé ses études à l’école de Moscou en 1953, il entre à l’Institut de chasse d’Irkoutsk. Il est ordonné prêtre.
Il a été le premier prêtre autorisé à enseigner la religion dans un lycée de l’état soviétique. Il a écrit dans la clandestinité de nombreux livres qui sont une véritable catéchèse pour un monde déchristianisé. Le 9 septembre 1990, il est tué à coups de hache par des inconnus alors qu’il se rendait à son église. Il avait cinquante-cinq ans.
Bibliste éminent, Alexandre Men commence dans les années soixante à rédiger une histoire des religions en plusieurs volumes. Puis il dirige la réalisation d’une encyclopédie biblique et il écrit divers livres de vulgarisation sur l’Écriture sainte ainsi que sur l’Église et la liturgie orthodoxes. Enfin il compose une biographie de Jésus, Jésus, le Maître de Nazareth, qui portera à la foi des milliers de Soviétiques. Ces ouvrages circulent d’abord clandestinement, écrits à la main ou à la machine. Puis ils sont rédigés en langue russe à Bruxelles et rejoignent l’Union soviétique par les voies les plus inattendues.
Le père Alexandre est ouvert à une vraie fraternité avec toutes les autres religions chrétiennes, avec le judaïsme et les autres grandes religions. Déjà sous le régime communiste, il établit des relations d’amitié profonde avec des communautés à caractère œcuménique et spirituel venues d’Europe occidentale : la Communauté des Béatitudes, la Communauté de Taizé, le Mouvement des Focolari, Communion et Libération, la Communauté de l’Emmanuel, les Petites Sœurs de Foucauld,Jean Vanier, Jeunesse-Lumière du père Daniel-Ange.
À l’aube de la perestroïka, il est le premier prêtre orthodoxe à franchir le seuil d’un Lycée d’État pour y donner des cours de religion. En dialogue ouvert avec le monde laïc et athée, il est invité de plus en plus souvent, par l’Union des cinéastes, des artistes, des écrivains, etc, à participer à des conférences et des débats ou tout simplement à « parler de Dieu ». Au cours des dernières années de sa vie, il intervient plusieurs fois par semaine dans des cinémas, des écoles, des universités, àMoscou et dans tout le pays, et même à la télévision d’état.
La Prière pour autrui est la plus élevée
La guérison du serviteur du centurion (Mt 8, 5-13)
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Aujourd’hui, nous avons entendu l’histoire du centurion, cet officier romain venu demander au Seigneur la guérison de son serviteur préféré qui était gravement malade. Le Seigneur lui répondit : « Je viendrai chez toi et je guérirai ton serviteur. »
Mais l’officier lui dit : « Mon Seigneur, je donne des ordres à mes soldats et ils les exécutent. Toi-même, dis seulement un ordre et la maladie le quittera. » Telle était sa foi dans la puissance de guérison du Sauveur. Le Christ s’en émerveilla et lui dit : « Va, qu’il en soit selon ta foi. » Et sur le chemin du retour, le centurion apprit que son serviteur était guéri.
Chaque fois que, dans l’Évangile, quelqu’un fait appel au Seigneur, il s’agit d’une prière. Car la prière est une façon de s’adresser au Seigneur. Qui s’adressait au Christ et comment? Très souvent, c’étaient des personnes souffrantes, malades, chargées d’afflictions et de maux. Souvent aussi, c’étaient des personnes qui priaient pour les autres.
Son premier miracle, le Seigneur l’a accompli à la demande de Marie à Cana, en Galilée. La Vierge Marie l’a prié d’aider des amis ou des proches qui les avaient invités à leur noce, quand le vin a manqué. On peut considérer cette demande comme la première prière d’intercession de la Mère de Dieu. Souvenez-vous du paralytique amené à Jésus, de la demande de guérison formulée par ses amis qui le descendirent à travers le toit d’une maison ; l’Évangile dit que Jésus, voyant leur foi, le guérit (Mt 9,1-12). Rappelez-vous également la femme syro-phénicienne qui suppliait le Christ de guérir sa fille (Mt 15,22-28), de ce malheureux père qui lui avait amené son fils souffrant d’épilepsie et qui disait : « Je crois, Seigneur, viens en aide à mon peu de foi » (Mt 17,14-18).
Il faut considérer avec beaucoup d’attention ces prières pour les autres. Ce n’est pas une prière pour mon propre malheur, mes propres besoins, ma propre maladie, mais une prière pour les afflictions d’autrui. Cette prière est toujours exaucée, car en elle notre amour-propre recule et notre bonne attitude envers les autres ressort. C’est pourquoi la prière pour autrui est souvent plus haute, plus chère aux yeux du Seigneur que la prière seulement pour soi-même.
Bien sûr, vous pouvez demander : « Pourquoi le Seigneur ne peut-il exaucer ceux qui prient pour eux-mêmes? Pourquoi faut-il absolument que quelqu’un intervienne pour nous? Ne sommes-nous pas tous les mêmes pécheurs? » Pourtant, quand vous venez à l’église ou que vous commencez à prier, que votre cœur a mal pour un autre et que vous apportez votre pensée souffrante à l’autel de Dieu, à ce moment-là vous vous élevez vers cet autel et votre âme vole vers le Seigneur. Non seulement votre âme s’élève, mais, malgré la distance, elle peut élever aussi la personne pour laquelle vous priez; on peut même dire que vous êtes tous deux non plus sur terre, mais comme détachés d’elle. Alors toutes nos lois terrestres reculent, toutes nos contingences, la maladie, les tentations, tout un contexte redoutable.
Chaque personne qui prie pour ses amis et ses proches sait combien la prière est puissante. Chacun sait que parfois on peut sentir la prière des autres sur soi. Vous vous souvenez sans doute de ce célèbre poème de guerres, mis en musique et intitulé « Attends-moi » [poème de Constantin Simonov]. Dans ce poème, un homme parti à la guerre dit : « Par ton attente, tu m’as sauvé. » En fait, ce n’était pas simplement une attente, c’était une prière, même inconsciente, pour un homme qui combattait pour la patrie. Beaucoup de personnes, incapables de prier, s’élevaient vers Dieu par le cœur et le Seigneur les exauçait.
Voilà pourquoi, chaque jour, lorsque nous sommes devant Dieu, il nous faut prier pour que sa volonté soit faite, puis prier pour les autres, prier sans nous lasser, sans nous arrêter, sans paresser, car il n’y a pas de plus grand amour que celui qui passe par la prière. C’est par la prière que l’Église tient, s’appuyant sur la foi et la charité des êtres. Si nous prions les uns pour les autres, nous sommes étroitement liés, frères et sœurs entre nous, car ce n’est pas nos infirmités humaines, mais la puissance de Dieu qui est à l’œuvre.
Si vous constatez que vous n’êtes pas capables d’aider une personne par l’action ou la parole, d’éloigner son malheur, de la guérir, souvenez-vous toujours que nous avons le Seigneur ainsi que le ferme et fort appui de la prière. Mettez cela en pratique, vérifiez-le, priez avec ardeur et force pour ceux qui vous sont chers ; vous verrez que votre prière, si faible soit-elle, est efficace, car la puissance de Dieu se manifeste en elle.
Par la prière, nous comprendrons que c’est de notre faute si le Seigneur nous semble lointain. Si nous l’invoquons, en priant pour nos proches, il sera toujours avec nous, nous le sentirons toujours. Le Christ a dit lui-même : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20) et « Ce que vous demanderez au Père en mon nom vous sera accordé » (Jn 14, 13). Prions, priez tous pour vos amis, vos proches, et vous connaîtrez l’amour de Dieu. Amen.
Extrait du livre d’Alexandre Men,
Le Christianisme ne fait que commencer,