Yves Hamant, universitaire catholique, se bat pour défendre les victimes de manipulations mentales commises à l’intérieur de divers mouvements d’Église. Non sans peine.
Cet entretien est paru le dimanche 29 mai dans Ouest-France.
Yves Hamant est professeur des universités, spécialiste de l’histoire russe contemporaine. Il enseigne à l’université Paris Ouest-Nanterre.
De quand date votre engagement ?
À travers un de mes proches, j’ai découvert les souffrances causées par de telles dérives. Il y a trois ans, j’ai jugé qu’il était de mon devoir d’intervenir. Ne souhaitant pas agir seul, deux amis et moi avons créé le collectif Appel de Lourdes 2013 (lire ci-dessous).
Quel est son objectif ?
Il s’agit notamment d’alerter les évêques des graves dérives sectaires qui touchent certaines communautés religieuses catholiques. Dans la lettre que nous leur avons adressée, le 25 octobre 2013, nous soulignions les dégâts inquantifiables provoqués par ces dérives.
Plus précisément ?
Il s’agit des conséquences. Des personnes démolies passent des années avant de pouvoir réintégrer la société, quand elles y arrivent, une fois quittée la communauté religieuse. Des dépressions, des suicides… Des familles entières ont été détruites, ou profondément affectées, par ces dérives.
Nous demandons que les évêques se tournent vers les victimes, entendent leur souffrance et y répondent. Trop souvent, elles se sont fait éconduire. Il faut que l’Église sorte de son silence, accepte de donner des informations et prenne des mesures.
Quels sont les mécanismes à l’œuvre ?
Il s’agit d’abus spirituels. Dans ces communautés, le fondateur, ou le (ou la) supérieur(e), manipule la conscience des membres en instrumentalisant leur relation à Dieu, en les réduisant à des objets. À la manière d’un gourou. Les communautés incriminées maintiennent leurs membres par le chantage affectif, le mensonge, la peur. Leur fonctionnement relève de la manipulation mentale par un recours systématique à la culpabilisation.
À combien estimez-vous le nombre de ces victimes ?
Aucune statistique disponible. Si l’on prend en compte les personnes qui ont quitté leur communauté parce qu’elles n’en pouvaient plus et se sont adressées à une association telle que l’Avref, l’Unadfi ou le CCMM et celles qui ne se font pas connaître, ce serait un nombre à quatre chiffres seulement pour la France.
Prenez l’exemple du scandale dénoncé par les journalistes de Spotlight aux États-Unis : à partir de quelques cas d’enfants abusés, ils finissent par en découvrir plus de 1 000.
Il n’est pas question ici de pédophilie ?
Les personnes dont nous parlons sont des adultes victimes de manipulations mentales. Plusieurs ont pu subir en plus des abus sexuels de la part des fondateurs mêmes de certaines de ces communautés : chez les Béatitudes, à Points-Cœur par exemple. Et ces communautés ont pu aussi abriter et protéger des pédophiles. Aujourd’hui, les religieux de la communauté Saint-Jean – les « petits gris » – sont sous les projecteurs.
Pourquoi l’Église a-t-elle autant de mal à prendre la mesure de ce problème?
Je crois que cela s’explique par un réflexe de défense de l’institution et la culture du secret. Les personnes mises en cause bénéficient de la part de l’Église, comme c’est normal, de la présomption d’innocence. Tandis qu’aux accusateurs on appliquerait plutôt la présomption de calomnie.
Qu’est-ce qui a changé depuis votre appel de 2013 ?
Il paraît que, justement, les évêques ont pris conscience du problème, mais ils ne me semblent pas prêts à assumer leur responsabilité, collectivement et individuellement. Et ils ne savent pas quoi faire, même de communautés dont ils comprennent qu’elles sont profondément corrompues. Coûte que coûte, on veut les sauver. On les laisse même continuer à recruter.
Quand on prend l’exemple des Légionnaires du Christ, qui existent toujours, comment imaginer que cette communauté puisse encore être saine après les crimes incroyables de leur fondateur, le père Maciel ?
Et le pape François ?
Il a clairement décrit l’abus spirituel : « Manipuler les consciences, un lavage du cerveau théologal, qui, au final, conduit à une rencontre avec le Christ purement nominale, pas avec la personne du Christ vivant. Dans la rencontre d’une personne avec le Christ, il y a le Christ et la personne ! Ce n’est pas ce que veut l’ingénieur spirituel qui cherche à manipuler. »
François appelle à « s’instruire à partir des victimes », mais, au Mexique, il n’a pas rencontré de victimes de Maciel. Et s’agissant de pédophilie, il n’a pas reçu les victimes lyonnaises.
Comment prévenir alors ces dérives ?
Il est indispensable de redire à tous les responsables de communautés et mouvements religieux les règles et les précautions qui s’imposent en matière d’accompagnement spirituel, d’autorité et d’obéissance de leurs membres. Des statuts doivent être révisés. Il faut rappeler à chaque évêque qu’il est responsable de ce qui se passe dans son diocèse.
Malheureusement, les enquêteurs, quand une enquête canonique est diligentée, sont souvent tout seuls et manquent de moyens. Pour que la hiérarchie bouge vraiment, faudrait-il qu’éclate en ce domaine un énorme scandale s’ajoutant aux affaires de pédophilie secouant l’Église aujourd’hui ?
Restez-vous fidèle à l’Église ?
Je pense agir en tant que baptisé, en tant que membre de l’Église. J’étais proche du cardinal Lustiger et j’ai eu l’occasion de rencontrer Jean Paul II à plusieurs reprises.
Pour aller plus loin
Les dérives sectaires ? La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) les définit ainsi : « Il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion. […] Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé […] de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique […] »
L’Appel de Lourdes ? Il a été lancé, en octobre 2013, à destination de l’épiscopat français par Yves Hamant, Xavier Léger, ancien Légionnaire du Christ, et Aymeri Suarez-Pazos, ancien membre de l’Opus Dei.
Le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Pontier, répond, le 7 novembre 2013 : « Nous souhaitons continuer à agir pour que des situations se clarifient, pour que la vérité puisse apparaître lorsque c’est nécessaire… »
L’Avref ? L’Association d’aide aux victimes de mouvements religieux en Europe et à leurs familles regroupe, depuis plus de 18 ans, des victimes d’abus, d’anciens membres de communautés ainsi que des parents et des proches. Elle a pour objectifs de prévenir, informer, aider les victimes et de lutter contre ces dérives.
L’Avref publie plusieurs « livres noirs » avec des témoignages accablants sur les Travailleuses missionnaires, la communauté Saint-Jean… sur son site.Cliquer ici
L’envers du décor ? Ce collectif s’inquiète de voir se développer depuis quelques années, au sein même de l’Église catholique, des dysfonctionnements graves qui n’ont pas été suffisamment pris au sérieux jusqu’à présent par la hiérarchie de l’Église. Cliquer ici
Félicitations à Ouest France pour avoir le courage de rendre publique l’action de ces pionniers. Un évêque catholique possédant la plénitude des pouvoirs dans un diocèse, cela leur donne concrètement l’avantage de réunir en un seul homme les trois singes du secret de la sagesse : on ne veut pas voir, on ne veut pas entendre, on ne veut rien dire ! Tant que les responsables de l’Eglise catholique se comporteront comme des préfets dépendants d’un pouvoir central qu’ils n’osent ni prévenir ni contrarier, on assistera au massacre des fidèles dont ils ont pourtant reçu la charge. C’est grâce à des baptisés responsables comme M. Hamant, qui doit certainement beaucoup agacer ces messieurs mitrés qui ne se parlent qu’entre eux (et encore), qu’on va pouvoir commencer à sortir un peu de cette omerta qui tue à petit feu dans notre pays l’Eglise catholique. Mais fidèles au sage singe qui est en eux, les évêques ne voient pas …
Écrit par : Barracuda | 29 mai 2016