Le purgatoire ?

Le purgatoire dans le dessein de Dieu. Fr. Timothée Lagabrielle, o.p., Couvent de Toulouse. Revue Vives Flammes, n° 330, mars 2023, pp. 13-20.

L’existence du Purgatoire fait partie de ces points de la foi qui sont volontiers mis en doute. Pourtant, c’est bien la révélation biblique qui nous enseigne cette doctrine. L’idée d’une purification de certains défunts après leur mort en vue de l’entrée au Paradis se trouve déjà dans l’Ancien Testament. C’est notamment dans le deuxième livre des Maccabées que nous voyons Judas Maccabée faire offrir « un sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent délivrés de leur péché » (2M 12,45), et cette pratique est louée par la Sainte Ecriture ( cf. 2M 12,43-45). Si ces hommes étaient au Paradis ou en Enfer, ce sacrifice n’aurait aucun sens.

De même, Jésus y fait allusion :

Je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre !’Esprit ne sera pas remis. Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis; mais quiconque aura parlé contre !’Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l’autre. (Mt 12,31-32)

Il y a donc une remise des péchés, une étape de purification possible après la mort. L’existence du purgatoire est bien attestée, mais il reste encore à en comprendre le sens, à saisir pourquoi il plaît à Dieu que le Purgatoire existe. Pour cela, il va nous falloir remonter à des fondements des actes humains en commençant par comprendre que nous faisons le choix d’une fin ultime, même si ce choix n’est pas toujours cohérent dans toute notre vie. Nous verrons que ce choix de la fin ultime décide de notre sort final après notre mort, mais que les incohérences de notre vie peuvent nous demander des purifications avant de jouir du Ciel et que ces purifica­tions commencent déjà ici-bas.

Le choix de la fin ultime

À chaque action que nous faisons volontairement, nous pouvons répondre à la question: « Pourquoi fais­-tu cela? » Cette question très banale ouvre une immense profondeur de réponses. En effet, donner la raison immédiate d’une action invite à poser une autre ques­tion, à demander un autre Pourquoi pour avoir la raison de cette raison immédiate. Comme un enfant de 3 ou 4 ans qui enchaîne les Pourquoi ... ?, nous pouvons remonter d’une raison à la raison qui la commande (« – Pourquoi lis-tu Vives flammes? » « – Pour nourrir ma vie de foi. » « – Et pourquoi veux-tu nourrir ta vie de foi ? » etc.) jusqu’à arriver, plus ou moins rapidement, à dire notre fin ultime, c’est-à-dire le but qui dirige notre vie.

Nous avons forcément un seul but ultime de notre vie (en tout cas à un moment donné). Et, en dernière analyse, ce but ne peut être que Dieu ou une créature – en particulier moi-même. Je ne suis peut-être pas capable de le dire explicitement, mais ce but peut être Dieu lui-même (ce qui pourrait s’exprimer par « vouloir la vie avec Dieu », « vouloir le bien», etc.) ou bien je peux lui préférer autre chose, une (ou des) créature(s). Saint Augustin parle des deux amours : l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même ou l’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu. Il n’y a pas de troisième voie. Partout dans la Bible, nous trouvons cette opposition avec seulement deux voies : les tentations de Jésus n’ont pas de troisième choix, c’est Dieu ou le diable; saint Jean montre qu’il n’y a que le choix de Jésus ou son rejet; saint Paul parle de deux types de vie: comme des chré­tiens ou comme des païens.

Cette fin ultime que nous assignons à notre vie ne change pas sans cesse. Car notre vie a une certaine unité. Les vertus, par exemple, conservent une mémoire de nos actions et font que nos décisions s’accumulent, s’ influencent et construisent un type de logique de notre vie. Il peut y avoir des changements de fin ultime, mais même s’ils semblent brusques (comme une conversion radicale), ils sont préparés par des accumulations d’actes et de circonstances préparatoires jusqu’à une rupture.

Les incohérences de nos vies

Notre vie a donc une certaine unité mais, cependant, nous ne sommes pas toujours cohérents. C’est un des signes de la faiblesse des créatures que nous sommes. Nous pouvons avoir une fin ultime mais ne pas toujours choisir ce qui va le plus directement dans le sens de cette fin. Nous ne sommes pas des êtres tout à fait unifiés et nous sommes capables d’illogismes. Nous pouvons faire des choix hors de la logique générale de notre vie sans rejeter entièrement cette logique.

C’est bien ce que nous constatons : les saints pèchent et de mauvaises personnes peuvent faire des actions bonnes. Le choix radical de Dieu n’implique pas que je choisis toujours Dieu et toujours ce qui est bon. En ayant Dieu comme fin ultime, je peux encore pécher véniellement.

Nous pouvons nous laisser attirer par d’autres choses que Dieu, des choses qui ralentissent notre marche vers Dieu, sans rejeter radicalement Dieu. Ce qui nous détourne de Dieu, ce sont des mauvais attachements. Nous pouvons être trop attachés à des créatures et c’est cela qui nous entraîne à les préférer ponctuellement à Dieu en péchant, même si cela reste véniel. Ces mauvais attachements ne vont pas rompre la relation d’amour avec Dieu, mais à l’heure de notre mort ils auront une influence. Voyons comment.

Comment se passe la mort?

La mort est la séparation de l’âme et du corps. À la mort, le corps séparé de l’âme cesse d’être un corps, il devient un cadavre et, plus ou moins vite selon les condi­tions extérieures, il va vers sa corruption. L’âme, elle, demeure puisqu’elle est immortelle mais, comme elle est faite pour être unie à un corps, cette séparation du corps va comme la figer dans l’état où elle se trouve. « La mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ (CEC n° 1021). »

La vie a servi à préparer cet instant où Dieu fait comme le point sur l’état de la vie, sur l’état auquel on est arrivé. C’est ce qu’on appelle le jugement particulier qui a lieu juste après la mort : « Les hommes ne meurent qu’une fois, après quoi il y a un jugement » (He 9, 27).

Attention à ne pas voir cela d’une façon trop effrayante. Ce n’est pas une partie de roulette russe avec un examen arbitraire qui décide de toute notre éterni­té. Il ne s’agit pas d’un concours universitaire ou d’une compétition sportive qui peut malheureusement tomber un jour où nous sommes en mauvaise santé et influencer toute une carrière. Le choix de notre fin ultime a une certaine constance et la mort va seulement fixer dans cet état qui a été préparé par tous les choix de la vie.

Comme nous l’avons dit, il y a alors deux possibili­tés : soit nous avons Dieu comme fin ultime, soit Dieu n’est pas notre fin ultime. Si notre fin ultime n’est pas Dieu, nous choisissons l’Enfer. Sinon, nous sommes destinés à jouir de la vie éternelle, du Paradis.

Mais, il y a alors une autre question qui se pose : sommes-nous assez prêts pour cela? Si nous avons des mauvais attachements, nous avons besoin d’une purifica­tion pour jouir du Paradis.

Le Purgatoire, pour ceux qui sont jugés dignes mais ne sont pas prêts

Le Catéchisme de l’Église Catholique enseigne :

Ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien qu’ assurés de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin d’obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel. (CEC 1030).

Il est donc question de préparation à la joie : si nous avons Dieu comme fin ultime, mais que nous ne sommes pas purifiés de mauvais attachements, en arrivant face à Dieu nous ne pourrions pas tout à fait goûter la joie du Ciel, car ces choses auxquelles nous sommes attachées nous manqueraient. Tant que nous sommes attachés à elles, le Ciel ne peut pas être une vraie joie et il y a à se purifier de ces attachements pour que voir Dieu soit une vraie fête.

Pour comprendre cette situation, il suffit d’énon­cer une définition de la Béatitude : « Le Ciel c’est voir Dieu. » Si notre réaction est de penser: « C’est tout!? », cela montre qu’il y a d’autres choses auxquelles nous sommes attachés qui font de l’ombre à Dieu et qu’il nous faut passer par un certain détachement. Nous avons à nous purifier pour avoir le vrai bonheur, pour atteindre le Paradis, c’est-à-dire pour être heureux de recevoir Dieu. Tant que nous ne sommes pas purifié de ces attachements désordonnés, la relation avec Dieu ne nous comble pas. Mais l’arrachement de ces attachements est douloureux, puisque c’est une part de nous-même qui est arrachée.

Pour se représenter cette étape de purification, plusieurs images peuvent être prises. Il y a celle de la bûche dont il faut faire suinter toute l’humidité avant qu’elle puisse s’enflammer. On associe surtout le Purgatoire à l’image du feu qui purifie. C’est une image biblique (Cf. 1 Co 3,15; 1 P 1,7) qui rappelle notamment le feu du creuset où l’or est purifié des impuretés.

La purification commence ici-bas

Cette purification est bonne et désirable. Dieu la veut pour nous, non seulement après notre mort, mais dès maintenant.

Nous pourrions avoir l’image de la vie chrétienne comme une vie d’efforts pour acquérir des choses : acquérir des bonnes habitudes, des vertus … Il s’agirait alors d’ajouter des choses à notre vie présente (du temps de prière, des actes de charité …) pour être plus saints. Dans cette optique, nous pouvons considérer le juge­ment comme l’examen de notre vie à l’heure de notre mort pour voir si nous avons assez acquis.

Ce n’est pas tout à fait faux, bien sûr, mais c’est une image insuffisante. La vie chrétienne est plutôt un dépouillement, une simplification. Il ne s’agit pas d’acquérir, d’ajouter, mais de perdre, de purifier. Dans la vie chrétienne, notre travail n’est pas tant de grandir, de devenir plus fort, mais de faire de la place pour que Dieu y entre, de laisser Dieu prendre les commandes, de laisser Dieu prendre toute la place. Il y a bien un effort à faire, mais un effort pour se disposer à recevoir plutôt qu’un effort pour prendre. Le jugement n’est pas qu’à la fin de la vie. À chaque instant de notre vie le jugement se passe puisqu’à chaque instant de notre vie se pose la question: « Est-ce que j’accepte et j’accueille la vie éter­nelle que Dieu me donne? Est-ce que je laisse la grâce agir dans ma vie ? »

Ce dépouillement, ici-bas comme au Purgatoire, passe notamment par des souffrances purgatives. Ce sont, par exemple :

– La souffrance éprouvée en voyant la distance qu’il y a entre Dieu et nous, c’est-à-dire la souffrance de découvrir son péché. C’est en voyant l’amour de Dieu que nous comprenons vraiment ce qu’est l’amour. Simon Pierre dit à Jésus qui vient de révéler sa sainteté par un miracle : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur ! » (Lc 5,8), de même qu’Isaïe ayant une vision de Dieu s’écrie : « Malheur à moi, je suis perdu! car je suis un homme aux lèvres impures ! » (Is 6,5). Le pécheur qui sent la différence avec la sain­teté de Dieu éprouve la contrition.

– Puis la souffrance de voir par quels moyens nous devons passer pour atteindre Dieu, car il nous coûte d’accepter de devoir dépendre de Dieu.

– Et aussi, la souffrance pour mettre en œuvre ces moyens.

Cela montre bien la continuité entre le Purgatoire et notre vie présente. Sans doute, il y a une grande différence puisqu’après la mort, il n’est plus possible de choisir Dieu si on l’a rejeté ici-bas. Mais le reste est très semblable. Le Purgatoire permet d’achever les puri­fications qui pourraient manquer dans notre vie ici-bas. C’est pour cela qu’il est voulu par Dieu, que c’est un moyen de salut et qu’il est bon que cette période transi­toire existe pour les âmes qui en ont besoin.