26° D. TO. B — (Mc 9, 38-48). « Qui est le plus grand ? » (v. 34). Telle est la discussion entre les disciples au moment où Jésus leur annonce sa Passion. Il reprend leur débat dissonant, en décrivant trois attitudes souhaitables pour déraciner l’esprit de domination. 1.L’humilité (désirer la petitesse) avec la figure de l’enfant. 2. La complémentarité (sortir de l’étroitesse) avec la figure de l’exorciste indépendant. 3. La combativité contre soi-même (rechercher la bassesse), de sorte à ne pas être une occasion de chute pour les petits.
La vraie grandeur du croyant n’est pas dêtre en surplomb
Tandis que Jésus a été le seul à « manifester » la puissance de Dieu pour guérir — et que les disciples ont échoué à faire de même (cf. l’échec de la guérison de l’enfant épileptique au retour de la Transfiguration, 9,18) —, Jean (l’un des Douze !) rapporte qu’un inconnu se sert du nom de Jésus pour expulser des démons. « Nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent ». Le « nous » employé manifeste qu’il y a une responsabilité collective. Le ton est de Jean affirmatif et péremptoire : il rapporte simplement à Jésus ce que le groupe a fait, sans douter du bien-fondé de leur action, et sans attendre de leçon de la part de Jésus.
Pour les libérer de cette mentalité exclusive (il y a nous et les autres), Jésus répond par un ordre au pluriel, « n’empêchez pas ». « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous ». Il laisse à entendre ceci : ce qui passe pour de la concurrence peut être transformé en coopération. En fait, tous travaillent à la même cause, sans qu’il y ait de plus grand ou de moins grand. Et la grâce active n’appartient pas à un cercle déterminé de ministères officiels. L’utilisation du nom de Jésus1 montre qu’il est porteur direct du pouvoir divin.
Il faut évidemment faire le rapprochement avec l’épisode de Nb 11, 26-30 (lu en 1è lecture). On y voit Josué demander à Moïse d’empêcher Eldad et Médad de prophétiser par l’Esprit, car ces deux personnages n’étaient pas présents lors du don de l’Esprit aux soixante-dix anciens. Moïse n’obtempère pas, rabroue Josué, et souhaiterait même que la prophétie fût plus répandue chez les Hébreux ! Ouf ! Jésus lui aussi élargit les perspectives : à l’agir miraculeux engendrant l’intolérance étriquée, il substitue l’aumône d’un simple verre d’eau, de la part de n’importe qui, signe de l’accueil universel.
Quitter le cercle de la mondanité pour entrer dans le règne de Dieu
La suite des paroles de Jésus aborde la vie interne de la communauté. Jésus pointe la responsabilité des apôtres et des responsables de communautés envers « ces petits qui croient ». Ce sont les plus fragiles dans la vie comme dans la foi, petits nouveaux récemment accueillis, ou ceux qui peinent encore à croire, comme ceux qui vivent leur quotidien pauvrement ou difficilement… Ils deviennent non les derniers, ceux dont on ne se soucie guère, mais ceux qui doivent être objet d’une attention particulière et primordiale.
Aucun des Douze, comme aucun responsable dans une communauté chrétienne, ne peut ni ne doit entraîner la chute, le scandale, de ces petits. Le discours insiste sur l’attention pastorale. Les trois métaphores de la main, du pied, de l’œil 2, ont un effet cumulatif, pour mieux insister sur l’importance d’une telle responsabilité qui implique tout l’homme. L’attitude apostolique nécessite une exemplarité de tout l’être, qui s’appuie sur le Christ dans sa Passion. Tout orgueil, mépris ou indifférence envers ces petits de la communauté, va à l’encontre du salut qu’offre le règne de Dieu.
C’est pourquoi il vaut mieux amputer pour sauver (émonder, Jn 15), vivre diminué plutôt que d’être condamné par son orgueil ou son ambition, qui mènent à la Géhenne, lieu de mort et de perdition 3. Il n’est guère glorieux, pour qui souhaite être le plus grand, de fréquenter ces petits ignorants, incultes, pauvres, malades, esclaves… Mais la Parole du Christ appelle les Douze à quitter ce cercle de la mondanité pour entrer dans le règne de Dieu et de son Messie.
Chacun sera salé au feu. Ayez du sel en vous-mêmes !
1Dans le christianisme patristique, l’usage du nom de Jésus – par des disciples ou des étrangers – est attesté par plusieurs auteurs. Irénée (Contre les hérésies II, 32,4-5); Eusèbe (Hist. Eccl. V, 7,3); Justin (Dialogue avec Tryphon, 30) ; Origène (Contre Celse 1,6; 1,38). Le témoignage d’Origène, mort en 253, pourrait-il faire allusion à des pratiques du type de celle dénoncée en Ac 19,13 ? C’est possible, et on imagine que l’usage du nom de Jésus a pu se perpétuer parmi quelques professionnels de la magie. « Le nom de Jésus était si puissant contre les démons, qu’il arrivait parfois que ce nom soit efficace même s’il était prononcé par des hommes mauvais » (Origène, Contre Celse, 1, 6).
2Si ton œil est pour toi une occasion de chute, « chasse-le », même terme grec que pour chasser les démons, v. 38.
3La Géhenne (ou Guei-Hinnom) est, à l’origine, une vallée au sud de Jérusalem. Elle est le lieu où le Premier Testament situe les cultes des idoles et des sacrifices des enfants (Le Tophèt 2R 23,10; Jr 31-32). Vallée maudite, le prophète Isaïe (Is 30,33 ; cf. 66,24) en fera le lieu du jugement de Dieu pour le roi d’Assyrie. Plus tard, la Géhenne évoquera ce séjour des morts (Shéol ou enfer) et la condamnation divine.