Un prêtre du diocèse du Mans
Voici le temps liturgique le plus cher à mon cœur avec le temps pascal. Pour moi, tous deux n’ont pas véritablement de fin dans la mesure où ils nous ouvrent au « temps » divin révélé aux hommes par Jésus Fils de Dieu fait homme.
Les deux « notes » clés de l’Avent :
- il ouvre chaque nouvelle année chrétienne
- il est le temps liturgique et mystique de la triple Venue de Dieu-fait-homme
… et les deux sont intimement unis.
La France a la particularité de compter trois calendriers :
- civil, fiscal : du 1er janvier au 31 décembre
- scolaire, académique (et, par suite, familial) : l’année scolaire (à cause de la longue interruption que constituent nos « grandes vacances)
- religieux, chacun selon la religion propre ; chez les orthodoxes : du 1er septembre (prière pour la sauvegarde de la création) au 31 août ; chez les catholiques latins, anglicans et protestants : du 1er des 4 dimanches avant Noël au samedi de la 34è semaine du Temps ordinaire
Question légitime : pourquoi l’année liturgique chrétienne ne commence-t-elle pas par Noël ? ou par Pâques ?
Et pourquoi le calendrier chrétien n’est-il pas universel, commun à tous les baptisés du monde ?
Si l’année liturgique s’ouvrait avec la solennité de Noël, ne serait-ce pas conforme avec l’histoire du Salut ?
Le premier événement de l’incarnation de Dieu ancré dans l’histoire de l’univers n’est-il pas sa naissance à Bethléem ? A moins que tout commence chronologiquement par la conception, œuvre de l’Esprit Saint en Marie, identifiée avec le « fiat » de celle-ci lors de l’Annonciation du Sauveur ? A moins que tout ait commencé bien en amont avec les prophéties annonçant cette conception puis cette naissance ?
Mais, théologiquement, nous percevons que le mystère de Noël ne peut être déchiffré que dans le mystère pascal. Pas de naissance terrestre sans mort. Pas d’enfantement sans trajectoire jusqu’à l’âge adulte, sans responsabilité personnelle d’une existence singulière. Notre foi en Jésus Christ Dieu-fait-homme est portée par la Bonne Nouvelle ultime : « Il a vaincu la mort, Celui qui était né mortel ».
L’année liturgique devrait-elle donc s’ouvrir avec la solennité de Pâques ?
Pâques point de départ du chemin spirituel de tout baptisé, oui, comme nous le voyons par les baptêmes d’adultes, de préférence célébrés lors de la Sainte Nuit pascale. Mais dans l’économie d’une année ainsi conçue et vécue, nous percevons la difficulté : le point d’arrivée en serait la fin du Carême, la Passion du Christ, le vide du Samedi Saint. Carême et Pâques/temps pascal sont tellement liés entre eux… et le Carême avec toute sa charge pénitentielle, ascétique, de l’homme nouveau luttant avec le vieil homme…
Sans aucun doute Pâques est le centre et le cœur de la plénitude de la foi chrétienne, et commun à toutes les confessions chrétiennes. Mais quant à une année liturgique pascale…
La question se transforme : pourquoi a été décidé le temps de l’Avent comme début de l’année liturgique ?
L’Orthodoxie (à une date récente, je pense) célèbre un début d’année le 1er septembre par une prière pour la sauvegarde de la création, la source théologique en étant le Livre de la Genèse, premier livre de la Bible. Mais je ne vois pas de dynamisme particulier à une année liturgique dans les Églises orthodoxes. Elles célèbrent des fêtes réparties au fil des jours.
En fait, l’Avent a été une création de l’Église latine, il s’est développé indépendamment de l’aire géographique de l’est du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient. Nous qui en bénéficions, nous ne sommes malheureusement pas conscients qu’il est un trésor pour la foi auquel nous pouvons puiser et qui ne peut qu’enrichir la foi de l’Église universelle. Et il y a eu un inventeur liturgique du sens théologique de l’Avent : le pape st Grégoire le Grand, vers 590.
Quelle est l’originalité de ce temps comme ouverture d’année ? Le fait qu’il n’a aucun lien direct avec un événement historique singulier.
Nous n’y commémorons rien parce que l’Avent est le temps de tous les temps. « Adventus », c’est-à-dire « venue ». Quand les orthodoxes et les catholiques des patriarcats orientaux se préparent spirituellement à la Nativité-Épiphanie du Seigneur, les autres chrétiens sont appelés à accueillir en une seule la triple Venue de Jésus Christ : il est venu, il viendra, il vient.
Un signe de cela : orthodoxes et catholiques des patriarcats orientaux observent un temps de 40 jours de prière et de jeûne avant la solennité de Noël pour s’y préparer, par analogie avec le Carême, préparation à Pâques. De fait, ce temps est appelé « Carême de Noël ». Il court donc du 15 novembre au 24 décembre. Savons-nous que, sans le pape Grégoire, les latins auraient peut-être fini par imiter les chrétiens de Gaule qui, sous l’impulsion d’un évêque de Tours, à la fin du Ve s., observaient à partir du 11 novembre un « Carême de la saint Martin » ?
Saisissons toute la différence : chez nous, catholiques du patriarcat latin, anglicans et protestants, l’Avent n’est pas du tout un temps préparatoire à Noël.
Il ne saurait être vécu comme un compte à rebours chronologique, ce qu’il est dans sa version profanée. Vivre l’Avent, c’est vivre le mystère du temps selon le cœur de Dieu Trinité et par sa révélation qui est la personne de Jésus, autrement dit le mystère de « notre » temps. Quand l’homme s’avère incapable de le percer et de le maîtriser parce qu’il ne peut venir à lui, notre Créateur et Sauveur dit : « Je suis Celui qui vient », qui vient à toi, à vous, à tous.
« Il est venu »
Dans la personne de Jésus, à jamais Dieu s’est uni à l’homme en assumant notre nature (Noël) et a réuni à lui l’humanité par sa victoire de la Croix (Pâques). L’accueil dans nos cœurs et nos vies de Dieu qui est venu doit donc être celui de baptisés et confirmés portés par la foi en Jésus de Nazareth mort et ressuscité puisque c’est Pâques qui donne tout son sens à Noël.
« il viendra »
Si « tout est accompli » (Jn 19, 30) par Jésus sur la Croix, pourquoi ce : « Il est bon pour vous que je m’en aille » (Jn 16, 7) et « je reviendrai vous prendre avec moi » (Jn 14, 3) ? Parce que Dieu veut que la venue « une fois pour toutes » (He 7, 27) de son Fils en une personne humaine individuelle porte ses fruits dans son accueil personnel par chaque individu à travers les siècles. A l’apôtre Jude qui lui demandait : « Pourquoi ne te manifestes-tu pas au monde ? », autrement dit : Pourquoi pas une apparition mondiale en simultané ?, Jésus répond : « Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui » (Jn 14, 22-23). Et puis il est venu dans l’humilité de notre nature mortelle et s’en est ainsi remis aux hommes pour être librement reconnu par de fragiles actes de foi. Mais sa venue dans la gloire signera la fin de tout doute. Dit par saint Paul : « Actuellement, nous voyons dans un miroir et de façon confuse ; mais ce Jour-là, ce sera face à face » (1 Co 13, 12).
« Oui, je viens bientôt » (Ap 22, 20)
Il viendra. Ce futur grammatical risque d’entraîner les croyants à trois impasses : l’angoisse, l’insouciance, le déni.
- L’angoisse vient de l’interprétation du mot de Jésus : « Tenez-vous prêts car c’est à l’heure que vous ignorez que le Fils de l’homme va venir » (Mt 24, 44) comme la menace d’une venue qui serait avant tout punitive.
- L’insouciance revient à fuir ce qui, dans l’avertissement, devrait plutôt stimuler notre responsabilité propre : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger (car) c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 35.40).
- Le déni a son visage moderne dans l’idéologie du progrès supposé continu de l’humanité, qui vide de sens toute venue de Dieu. Mais elle fait naufrage.
La méditation des textes bibliques de l’Avent peut, au contraire, fortifier chacun. Loin d’être une promesse utopique, l’annonce : « Je viens bientôt » commence de se vérifier dans tout amour donné et partagé maintenant. Alors ce temps peut ouvrir nos yeux, nos mains et notre cœur à l’aujourd’hui de Dieu.
L’Avent : école pour oser notre quotidien comme un déjà-là de l’amour divin vainqueur de tout mal.