L’exemple du lépreux ou qu’est-ce qu’être guéri ?

(6° D. TO. B — Mc 1, 29-39) Nous terminons ce premier chapitre de Marc, alors que Jésus quitte Capharnaüm en disant : « Allons ailleurs, dans les villages voisins ». On ne sait plus très bien où l’on est, et c’est à ce moment qu’un lépreux survient et demande sa guérison. Une démarche ambiguë comme le récit de Marc se plaît à le souligner. Qui devient une réflexion sur l’accueil de la guérison…

La prière de l’homme seul

Déjà, nous avons suivi deux guérisons à Capharnaüm. Celle de l’homme à l’esprit impur au sein de la synagogue. Puis celle de la belle-mère de Simon, à la maison. Maintenant nous voilà à l’extérieur, plus loin, face à un homme qui sort de nulle part. Loin aussi est cet homme du fait de son impureté, loin de tout village et de toute synagogue. Alors que l’esprit impur était tout de même présent au sein du lieu de prière et de rassemblement, alors que la femme fiévreuse était en sa maison, entourée des siens, le lépreux demeure loin et seul : sa maladie le rendant intouchable et l’excluant de toute vie domestique, sociale et religieuse.

Une demande de réintégration

En ce premier siècle, le terme de lèpre correspond à toute maladie de peau. Et tout lépreux se voyait écarté du village jusqu’à guérison. Mesure de précaution bien compréhensible afin d’éviter une contamination. La Loi de Moïse prévoit ainsi : « Le lépreux atteint de ce mal portera ses vêtements déchirés et ses cheveux dénoués… il criera : « Impur Impur ! » Tant que durera son mal, il sera impur et, étant impur, il demeurera à part… » (Lv 13, 45-46).

En s’approchant, en tombant à genoux, l’homme fait appel à l’autorité religieuse de Jésus qui a le pouvoir de le sauver. C’est-à-dire de le purifier et de le réintégrer sur les lieux de son travail, à la maison, à la synagogue et au Temple. C’est une prière où il se remet à celui qu’il vient trouver : « si tu le veux » ; il a foi en lui : « tu peux ».

Écouter l’homélie

Jésus étendit la main, le toucha

Jésus est ému de compassion (litt. : pris aux tripes), il le guérit. Pas de douane pastorale, dirait le pape François. En le touchant, Jésus ne fait pas un acte médical de guérison, ni une gestuelle occulte, mais un geste qui vient chercher l’homme dans sa zone d’exclusion et l’en ramener. Et une fois encore, sa parole guérit et restaure.

Le récit du miracle dans les 3 évangiles nous dit que Jésus pose deux conditions qui peuvent sembler contradictoires. (1) Le secret, ne pas en parler ; Jésus veut ici amener l’homme à ne pas s’appuyer sur le merveilleux, l’ostentatoire. (2) Le rite de purification de Moïse, se montrer ; il ouvre l’homme à la finalité de sa guérison : le rétablissement officiel dans la communauté par l’examen ostensible du prêtre (Lv 14).

Mais Marc nous montre une attitude un peu dure Jésus qui « rudoie » (embrimaomaï, parler sévèrement), et « renvoie » le lépreux. La réaction de Jésus est inattendue. Mt 8 et Lc 5, qui reprendront cet épisode, omettront ces petits versets gênants. Pourquoi cette colère ? Pourquoi maintenant chasser le lépreux tels ces esprits impurs et démons ?

Une publicité intempestive

Quand Marc mentionne l’irritation surprenante de Jésus (presque de la colère), il veut nous obliger à mieux entendre la suite du récit. Celle-ci montre que l’homme fait tout le contraire de ce que Jésus lui a demandé : il parle publiquement du miracle et ne paraît pas se diriger vers le Temple. L’homme est guéri en surface, sur la peau, mais n’a pas su accueillir, en son cœur et avec foi, la parole de Jésus. Ici, l’homme est le portrait opposé de la belle-mère de Pierre. Celle-ci, à la suite de sa guérison, dans une humble discrétion, se mit en tenue de service. L’ancien lépreux fait tout l’inverse : il colporte l’événement et se met au service de sa propre gloire. Par là, il se montre enfermé dans sa demande telle qu’il l’a formulée, et sa guérison devient pour lui l’occasion de se faire le centre de toute une région, « de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais il se tenait en dehors dans des lieux déserts ». Quelle inversion !

Être guéri, c’est aussi accepter Jésus comme Seigneur

Nous avions déjà évoqué la question de la publicité à propos de la guérison « dans la maison d’André et de Pierre », publicité à bas bruit, toute tournée vers le service des malades et possédés. Ici, on a affaire à une publicité intempestive, à une sorte d’attitude déséquilibrée de quelqu’un qui brandit sa guérison comme un trophée, une guérison appropriée plus que reçue… L’action divine de libération de l’homme est suivie comme son ombre par la tentation humaine d’en jouir comme sa propriété. Cela devrait nous faire réfléchir sur une place trop grande donnée aux témoignages sensationnels dans les rassemblements d’Église. Et nous poser une autre question : la puissance médiatique pour évangéliser ne doit-elle pas être maniée avec précaution ? « « Évangéliser n’est pas faire du prosélytisme […] l’Église grandit non par le prosélytisme mais par l’attraction, le témoignage » (pape F.)