Le récit biblique de la Genèse n’est ni un reportage ni un texte historique; c’est une réflexion de sages sur les grandes questions que l’homme se pose sur la vie, la mort, ses origines. L’homme se découvre pécheur; il contemple l’écart existant entre le plan de Dieu: « Faisons l’homme à notre image et ressemblance » (Gn 1,26) et le « mystère du mal », physique et moral, qui l’enserre de toutes parts. C’est ce mystère de péché et ses causes profondes qu’il essaie d’exprimer en images, et que nous allons lire en Genèse 2-3.
L’homme est créé par Dieu dans un dialogue d’amour avec lui.
Le récit de la création de l’homme, rédigé environ dix siècles avant Jésus-Christ, est issu de la réflexion des sages d’Israël. Il met en scène Dieu qui fait sortir « l’homme » de « l’humus », « Adam » de la « adamah » (= la terre, l’humus). Dieu modèle l’homme; il lui insuffle la vie. L’homme est un vivant en communion avec son créateur. Dieu lui confie la création. « L’arbre de vie » au milieu du jardin est le signe de l’immortalité qu’il lui donne
Dieu met à l’épreuve la liberté de l’homme en lui demandant de ne pas manger de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal »; c’est-à-dire de rester à sa place de créature, en acceptant de dépendre du créateur qui seul définit le bien et le mal. « Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort ».
L’homme s’est trouvé en face d’un choix: vivre en communion d’amour avec son créateur ou se séparer de lui en prétendant prendre son indépendance Ce choix était « incontournable ». Dieu est Amour; en créant des êtres libres, il ne peut pas leur imposer de l’aimer; Adam et Eve doivent donc choisir librement la dépendance d’amour envers leur créateur.
L’homme et la femme, au commencement, ont fait le choix de l’indépendance, et y engagent toute l’humanité. Ils l’ont fait sous l’emprise de celui que la Genèse appelle le serpent, que Jésus nomme Satan. Il s’agit d’un ange déchu, qui a lui-même dressé orgueilleusement sa liberté contre Dieu.
Le péché originel
Ce mauvais usage de la liberté a provoqué ce que l’on appelle habituellement « la chute » d’Adam et Eve. On y distingue trois étapes.
1. L’entrée dans l’illusion ou l’enténèbrement.
Si le serpent s’introduit dans le jardin où Dieu a placé l’homme, c’est peut-être que celui-ci ne l’a pas bien gardé. Si le Mal pénètre mon coeur, c’est sans doute que je ne l’ai pas gardé jalousement tourné vers Dieu.
Le serpent parle à la femme, en déformant la Parole de Dieu: « Alors Dieu a dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin? ». C’est sa tactique habituelle. « Il n’y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge » dit Jésus (Jn 8,44).
Lorsque la chanson du Mal monte à notre esprit, le refus de l’écouter doit être le premier mouvement de notre coeur. C’est pourquoi, l’une des phrases les plus dramatiques de toute la Bible est celle-ci: « La femme répondit au serpent ». Elle interrompt le dialogue avec Dieu et dialogue avec le Mal. C’est le début de la chute. « La suggestion frappe à la porte, comme un colporteur qui propose sa marchandise. Si on le laisse entrer, il commence son boniment, et il est difficile de se débarrasser de lui, même si on se rend compte que sa marchandise ne vaut rien. Le consentement s’ensuit, et finalement l’achat, souvent à contre-coeur. On s’est laissé égarer par un envoyé du Malin » (T. Colliander, Le chemin des ascètes, p.58). Eve énonce l’alliance, le contrat proposé par Dieu: « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort ».
Mais parce qu’elle a commencé à dialoguer avec le Mal, elle se laisse embobiner par ses mensonges: « Pas du tout! Vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme de dieux, qui connaissent le bien et le mal »… Devenir comme Dieu, être la source de sa propre vie, ne dépendre de personne, et surtout pas de Dieu…
L’enténèbrement de l’esprit transforme le regard. La femme voit la vie comme la mort et la mort comme la vie. « La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, désirable pour acquérir le discernement ». Elle regarde l’arbre avec les yeux du serpent. Elle a quitté le point de vue de Dieu, et le regarde de son point de vue à elle, faussé par la suggestion du mensonge. Aujourd’hui, l’homme se dit couramment qu’il peut regarder le monde sans Dieu.
« Elle prit de son fruit et mangea; elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il mangea ». Le dialogue avec le serpent les a fait entrer dans l’illusion de devenir Dieu; les ténèbres de l’esprit ont provoqué une transformation du regard; c’est alors que l’acte lui-même (prendre, ravir l’égalité à Dieu) est une conséquence logique.
« Alors, leurs yeux à tous deux s’ouvrirent, et ils connurent qu’ils étaient nus ». L’homme vivait en amitié avec Dieu. « Il a perdu le fondement de cette amitié, de cette alliance. Il a perdu la grâce de la participation à la vie de Dieu » (Jean-Paul II, 24/9/86).
2. L’ignorance de l’amour de Dieu.
« L’homme et la femme se cachèrent devant Yahvé Dieu ». L’homme se cache devant la lumière de Dieu. Il ne veut pas se reconnaître tel qu’il est. Quand Dieu s’approche de l’homme, celui-ci perçoit sa distance avec Dieu.
« Dieu appela l’homme: Où es-tu? ». Où es-tu par rapport à moi? Ce cri de Dieu traverse toute l’histoire; c’est sa tentative sans cesse répétée pour faire revenir l’homme à lui. Car l’homme a interrompu le dialogue d’amour; il a érigé sa liberté contre Dieu. Et l’amour a fait place à la peur…
3. L’endurcissement du coeur.
« Tu as donc mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger! L’homme répondit: C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre et j’ai mangé. Yahvé Dieu dit à la femme: Qu’as-tu fait là? et la femme répondit: C’est le serpent qui m’a séduite et j’ai mangé ». Au lieu de reconnaître sa responsabilité, on rejette la faute sur l’autre. Cela signifie qu’on ne se repent pas. Et c’est là que la chute trouve son accomplissement: quand on ne demande pas pardon.
Terribles conséquences du péché originel pour tous les hommes.
En se séparant de Dieu, voici que l’homme s’est détourné de la vie glorieuse que Dieu lui promettait. Les dramatiques conséquences en sont énumérées:* ignorance de l’amour de Dieu: l’homme a peur de Dieu; il perd l’esprit de fils et la connaissance de l’amour paternel de Dieu. Il va même vivre dans l’ignorance totale de sa présence.
* vulnérabilité à l’action du Mal. Satan, ange déchu, est maudit; son action contre l’homme sera de tenter de le réduire à l’horizontalité: (Dieu dit au serpent: « Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie » Gn 3,14).
* asservissement et souffrance là où il y avait uniquement un don de Dieu, et une domination de l’homme et de la femme sur la création:
– le don de la vie comportera la souffrance (« Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils » Gn 3,16);
– comme aussi le travail « (Maudit soit le sol à cause de toi! A force de peines tu en tirera subsistance… A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain » Gn 3,17-19)
* égoïsme dans la relation conjugale par l’éveil de la convoitise (« Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi » Gn 3,16).
* dislocation de la personne par la mort corporelle (“Tu es poussière et tu retourneras en poussière” Gn 3,19).
Jésus le nouvel Adam
Au coeur de ce tableau tragique, l’homme garde une espérance pour sa liberté. La descendance de la femme écrasera la tête du serpent: « Dieu dit au serpent: Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre sa descendance et la tienne. Elle t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon » (Gn 3,15). C’est l’annonce de la venue et de la victoire de Jésus. En lui seul se trouve la guérison du péché.
La source de cette guérison se trouve dans le sacrement du baptême donné par l’Eglise. Et si nous relisons à l’envers le récit de la Genèse, nous y découvrons en transparence les étapes de cette guérison.
– Jésus a pris sur lui le péché du monde. Il nous apprend à nous reconnaître responsable de notre propre péché, à demander pardon, plutôt que de rejeter la faute sur autrui.
– Jésus a manifesté l’amour, la miséricorde du Père. Il nous libère de la peur de Dieu en nous donnant de recevoir son pardon dans les sacrements de baptême et de réconciliation. En lui nous sommes fils.
– Jésus est venu nous attirer au Père. « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père » (Jn 14,6-7). Il nous apprend à accueillir sa vie: son corps et son sang (le fruit de l’arbre de vie). Nous pouvons alors regarder toutes choses avec le regard de Dieu. Et le dialogue d’amour est renoué avec le Père.
D.A. Imprimer ce texte en format fiche A4 (voir aussi l’onglet « Fiches », n° 106)