Miséricorde : le message de Paray-le-Monial (1675)

  1. Marguerite-Marie et le Sacré-Cœur

 Qui est Marguerite-Marie ?

Marguerite-Marie est née dans le village de Vérosvres en Bourgogne, en 1647. C’est une enfant « prévenue » par la grâce. Très tôt, poussée par un mouvement intérieur, elle se donne à Jésus. Après une petite enfance heureuse, elle perd son père à 8 ans. C’est alors que commence pour elle une vie de souffrance.

Mise en pension chez des religieuses de Charolles, elle n’y reste que deux ans en raison d’une maladie qui la tiendra alitée quatre ans. « On ne put », dit-elle, « jamais trouver aucun remède à mes maux, que de me vouer à la Sainte Vierge, lui promettant que si elle me guérissait je serais un jour une de ses filles… ».

Elle passe alors plusieurs années partagée entre les attraits du monde et l’appel du Seigneur à la vie religieuse. Durant cette période elle doit soutenir de grands combats vis-à-vis de sa famille, tandis que le Seigneur l’instruit dans le secret de son cœur et la forme à sa mission future.

Sa décision d’être religieuse étant prise, elle se présente au Monastère de la Visitation à Paray-le-Monial, où elle entend intérieurement Jésus lui dire : « C’est ici que je te veux ».

Son entrée au couvent est fixée au 20 juin 1671, elle reçoit l’habit religieux le 25 août suivant. Le 6 novembre 1672, Marguerite-Marie se donne définitivement au Seigneur par la profession religieuse.

Dès son entrée au Monastère, elle est l’objet de faveurs insignes de la part de Jésus. Il l’a destinée à une grande œuvre ; aussi avec la profusion de grâces viennent les incompréhensions, contradictions et les souffrances d’ordre spirituel ou physique.

Jeune encore, investie d’une mission providentielle authentifiée par le Père Claude La Colombière, Marguerite-Marie fait tout ce qui est en son pouvoir dans son Monastère pour transmettre le message reçu dans les grandes apparitions. Épuisée par la maladie et un amour qui la consume, elle meurt en 1690.

La fête demandée par Jésus est étendue à l’Église universelle en 1856. Marguerite-Marie est béatifiée en 1864 puis canonisée en 1920. Le Père La Colombière qui vécut et mourut comme un ardent apôtre du Cœur de Jésus, est béatifié en 1929 et canonisé en 1992.

 Les trois « grandes » apparitions du Cœur de Jésus

– Le 27 décembre 1673. Jésus fait reposer Marguerite-Marie fort longtemps sur sa poitrine. Il lui découvre les merveilles de son amour. Il la choisit pour répandre l’ardeur de cette « ardente charité » et sauver des âmes. Jésus plonge le cœur de Marguerite-Marie dans le sien, puis le lui rend tout embrasé : elle conservera toute sa vie une douleur au côté.

– Un premier vendredi de 1674. Jésus apparaît à Marguerite-Marie qui adore le Saint-Sacrement. Il lui montre ses plaies, brillant comme des soleils, et sa poitrine, comme une fournaise ardente. Il se plaint du peu de « retour d’amour » que lui témoignent les hommes, après tout ce qu’il a enduré pour les sauver. Il demande deux actes de réparation : la communion le premier vendredi de chaque mois ; l’Heure Sainte le jeudi soir, en union avec son agonie à Gethsémani.

– La « Grande Apparition » : juin 1675. « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. Mais ce qui m’est le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C’est pour cela que je te demande que le premier vendredi d’après l’octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là, et en lui faisant une réparation d’honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu’il a reçues pendant le temps qu’il a été exposé sur les autels. »

Jésus demande qu’une fête particulière, le vendredi après l’octave du Saint-Sacrement, soit instituée pour honorer son Cœur et réparer les outrages qu’il a reçus dans l’Eucharistie. Il promet des grâces abondantes à ceux qui lui rendront cet honneur ou feront qu’il lui soit rendu.

 Le Cœur de Jésus, symbole et instrument de la miséricorde [1]

La miséricorde est au centre du message confié par Jésus à sainte Marguerite-Marie. Être miséricordieux, c’est avoir un cœur affecté de tristesse à la vue de la misère d’autrui comme s’il s’agissait de la sienne propre. L’effet de la miséricorde est d’écarter autant que possible cette misère du prochain. Ainsi, Dieu est-Il pris de pitié pour les hommes en voyant les maux que le péché a introduits dans le monde. Et, bien qu’offensé par nos fautes, Il nous offre inlassablement la grâce du repentir et de son pardon. La miséricorde est Sa caractéristique propre. « Se montrer miséricordieux, est regardé comme le propre de Dieu, et c’est là surtout que se manifeste sa toute-puissance » (St Thomas d’Aquin).

Le Cœur de Jésus, transpercé au Calvaire par la lance du soldat, est le symbole et l’instrument de cette miséricorde. Il en jaillit du sang et de l’eau (Jn 19, 34), images des sacrements de l’Eucharistie et du Baptême, qui purifient les âmes et leur ouvrent le chemin du salut. Le Baptême, symbolisé par l’eau, nous lave de tout péché. L’Eucharistie, figurée par le sang, nous applique les mérites de la Passion du Christ ; elle nourrit également nos âmes, par la communion.

Jésus a choisi sœur Marguerite-Marie pour rappeler ces mystères aux hommes. Il lui dit : « Je veux leur manifester les richesses de mon Cœur, et leur donner de nouvelles grâces pour les tirer de l’abîme du feu éternel vers lequel les précipitent les péchés mortels. Pour accomplir cela, c’est toi que j’ai choisie justement à cause de ta faiblesse et de ton ignorance. Ainsi on verra bien que tout vient de moi ».

L’ingratitude et l’oubli des hommes devant la miséricorde divine blessent le Cœur de Jésus, comme en témoigne la couronne d’épines qui l’encerclait lors de la première apparition. Jésus s’en est plaint à la sainte : « En reconnaissance (de mon amour) je ne reçois de la plupart qu’ingratitudes, irrévérences, sacrilèges, froideurs et mépris ».

Et encore : « Regarde comme les pécheurs me traitent… Ils n’ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien… Mais, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leurs ingratitudes. Participe aux amertumes de mon Cœur ».

« Si tu savais, dit Jésus à sœur Marguerite-Marie, combien je suis altéré de me faire aimer des hommes, tu n’épargnerais rien pour cela. J’ai soif, je brûle du désir d’être aimé ! »

Un moyen privilégié de manifester notre amour pour Jésus est de l’honorer dans la Très Sainte Eucharistie, le « Sacrement de son Amour ». « J’ai une soif ardente, confiait Jésus à ste M.-M., d’être honoré et aimé des hommes dans le Très Saint-Sacrement et je ne trouve presque personne qui s’efforce, selon mon désir, de me désaltérer, en usant envers moi de quelque retour ». Jésus désire en particulier que les chrétiens le reçoivent dans la communion en esprit de réparation.

 

  1. Une analyse du message de Paray-le-Monial [2]

 La découverte progressive du Cœur du Christ

Quand le Christ meurt sur la Croix, son Cœur est percé et il en coule du sang et de l’eau (Jn 19, 31-37). Les plus anciens théologiens chrétiens, les Pères de l’Église, ont pensé que cet événement avait un sens précis, mais lequel ? Ils ont donc contemplé la plaie du côté, et se sont interrogés sur ce que le Christ voulait nous dire par là. Puis, le temps passant, on s’aperçoit qu’il y eut comme un désir chez les Chrétiens, non seulement de regarder la plaie de l’extérieur mais d’entrer, en quelque sorte, dans le côté même de Jésus, de parvenir à son Cœur. C’est comme si le mystère de l’amour de Jésus n’avait pas encore été entièrement compris.

C’est d’abord au Moyen-Âge que l’amour du Cœur de Jésus s’est développé, chez un grand nombre de gens, mais spécialement dans un monastère de bénédictines allemandes, en Saxe, à Helfta. Là ont vécu en particulier deux grandes saintes : Mechtilde de Hackeborn (+ 1298) et Gertrude la Grande (+ 1301). Au milieu de beaucoup d’autres mystiques, elles ont eu une vie tout entière centrée sur la connaissance du Cœur du Christ. C’est comme si celui-ci les avait initiées à son secret d’amour. Par la suite, au XVII° siècle, en France, l’amour du Cœur de Jésus s’est considérablement développé, en particulier chez saint Jean Eudes (+ 1680), qui est un très grand théologien. Mais c’est surtout grâce aux apparitions de Paray-le-Monial (1675) que le culte au Cœur du Christ devait prendre une extension mondiale.

Le message de Paray-le-Monial

Marguerite-Marie est en prières dans la chapelle de la Visitation, devant le Saint-Sacrement exposé. L’hostie « s’efface », en quelque sorte, et le Christ apparaît avec son corps, comme les apôtres l’ont connu. Notons d’abord l’importance de l’Incarnation et de l’Eucharistie dans ce qui va suivre. Le Christ donne à la sainte un message en trois parties.

# La première partie, c’est une déclaration d’amour tout à fait dans la tonalité de l’Évangile de saint Jean : « Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser, et se consumer, pour leur témoigner son amour ».

# La deuxième partie du message est une plainte : « Mais de la plupart des hommes je ne reçois que des ingratitudes et des irrévérences », et « ce qui m’est le plus sensible, c’est qu’il en est ainsi dans le sacrement de mon amour » (l’Eucharistie).

# Dans la troisième partie du message, le Christ dit à Marguerite Marie : « Veux-tu me faire ce plaisir de suppléer à leurs indifférences ? » C’est une demande d’amitié. Penchons-nous sur ces trois parties du message.

La déclaration d’amour : Nous autres, les hommes, nous avons de l’amour dans le cœur, mais aussi du désamour. Le but de la vie chrétienne, ce serait d’avoir de moins en moins de désamour pour avoir de plus en plus d’amour. La sainteté, c’est ne vouloir vivre que pour l’amour et vivre dans l’amour […]. Le grand secret du Christianisme, c’est que Dieu est Amour. Ce qui est fondamental dans notre foi, ce qui nous fait vivre, c’est de savoir cela. Comme dit saint Paul, « j’aurais la foi à transporter les montagnes, je livrerais mon corps aux flammes, je ferais des miracles, si je n’ai pas la charité cela ne servira à rien » (1 Co 13). Il faut toujours revenir à l’amour, c’est ce que le Christ rappelle à Marguerite Marie.

La plainte : Or, aussitôt après, le Christ se plaint. Il se plaint que les gens soient indifférents, ingrats, en particulier par rapport au sacrement de son amour qui est l’Eucharistie. Cela, nous pouvons malheureusement le vérifier en nous posant de simples questions : ce que je vois de l’humanité est-il fondé sur l’amour ? Les hommes sont-ils conscients que l’amour de Dieu et l’amour des autres est le centre même de la vie ? Et moi-même, en suis-je bien conscient ?

L’appel à l’amitié : Dans le message de Paray, il est très frappant de voir l’importance de la part d’amitié. Le Christ demande à Marguerite Marie d’être son amie. De saint Claude La Colombière, confesseur de Marguerite-Marie, il dira qu’il est « son fidèle serviteur et parfait ami. » Il dit à Marguerite-Marie qu’en étant son amie, elle suppléera à de nombreux péchés. Comment cela est-il possible ? Comment pouvons-nous être les amis du Christ et pourquoi cela « supplée-t-il ? »

Le mystère de Gethsémani

La réponse a été donnée par Jésus lui-même quand il a établi un lien entre les messages de Paray et son agonie à Gethsémani. En effet, dans le message de Paray-le-Monial, le Christ a demandé à Marguerite Marie, tous les jeudis soir, de passer une heure avec lui, entre 23 h et minuit, pour l’accompagner dans ses « mortelles tristesses » qu’il a eues au moment de sa Passion. C’est ce que nous appelons l’Heure Sainte. Il a fait par ailleurs une confidence à Marguerite Marie sur ce qu’il a ressenti à ce moment-là dans sa Passion.

Relisons ici une partie du texte des Évangiles :

« Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani et il dit aux disciples : « Restez ici tandis que je m’en irai prier là-bas. » Et prenant avec lui Pierre, Jacques et Jean, il commença à ressentir tristesse et angoisse. Il leur dit : « Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez avec moi. » Il vient par trois fois vers les disciples et les trouve en train de dormir. « Voici toute proche l’heure où le Fils de l’Homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous, allons. »

[…] Que s’est-il passé à Gethsémani ? Que pouvons-nous en saisir ? Revenons en arrière dans la vie du Christ. Celui-ci, au moment d’entrer dans sa vie publique, après avoir passé un temps chez Jean-Baptiste, après avoir reçu la puissance de l’Esprit Saint au moment du baptême du Jourdain, va dans le désert où il est tenté par Satan. Or l’Évangile explique que le diable, vaincu, « s’éloigna de lui jusqu’à l’heure favorable. » Autrement dit, la tentation reviendra. Cette heure favorable, c’est Gethsémani. Sur quoi le diable va-t-il tenter Jésus ? Sans doute sur la peur physique de la souffrance et de la mort, mais plus encore sur l’inutilité de sa souffrance.

C’est ce que le Christ a confié à Marguerite Marie. Il lui a dit que l’agonie de Gethsémani était le moment où il avait le plus souffert car il a cru que sa Passion ne servirait à rien. Comment se manifeste la tentation pour Jésus ? Le diable c’est le tentateur, le menteur. Jésus est Dieu, mais il est homme. Dans son humanité, il a une imagination comme nous. Le démon va alors envahir l’imagination, la sensibilité, de Jésus. Il lui suggère : « Tu vas donner ta vie pour les hommes : cela ne va servira à rien, c’est inutile. Tu n’as affaire qu’à des ingrats et à des indifférents. Ils ne te seront pas reconnaissants de ton sacrifice. Si tu ne me crois pas, vas voir Pierre, Jacques et Jean que tu as amenés avec toi. Tu les as amenés pour te soutenir et ils dorment. » Le Christ, dans ce moment d’agonie, aurait eu besoin d’être assisté par Pierre Jacques et Jean, et il ne l’a pas été. À ce moment-là, ils l’ont abandonné.

Un appel à l’amour

Un autre élément qui est très important à comprendre, c’est que le Christ étant parfaitement homme, est sensible à l’amour […]. Il est très frappant de voir dans les Évangiles que Jésus veut être aimé de ses apôtres. […] : « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis ». […] Tout le Cœur de Jésus, tout l’amour du Cœur de Jésus est prioritairement un amour d’amitié et de fraternité.

Mais le Christ a besoin aussi d’avoir le retour d’affection que tout être humain demande, il veut être aimé des hommes. Il donne son affection et demande ce retour d’affection qu’on appelle en latin la redamatio : le retour d’amour. À Gethsémani, il n’a pas eu ce retour d’amour, il s’est trouvé abandonné au moment même où il avait le plus besoin d’être aimé.

[…] Quand l’ange est venu consoler Jésus, il lui a montré cette acceptation de l’amitié que feraient beaucoup d’hommes. ll lui a montré qu’il y aurait une redamatio, un retour d’amour. Et cela a donné au Christ la force d’aller aussitôt vers sa Croix glorieuse.

***

Le Pape Jean-Paul II résumait ainsi le message de Paray-le-Monial, dans un message au P. Kolvenbach, Préposé Général de la Compagnie de Jésus, le 5 octobre 1986 : « Les fruits spirituels abondants qu’a produits la dévotion au Cœur de Jésus sont largement reconnus. S’exprimant notamment par la pratique de l’heure sainte, de la confession et de la communion des premiers vendredis du mois, elle a contribué à inciter des générations de chrétiens à prier davantage et à participer plus fréquemment aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. Ce sont là des voies qu’il est souhaitable de proposer aux fidèles, aujourd’hui encore ».

P.-S. : Il faut se rappeler aussi que 40 ans avant les apparitions de Paray-le-Monial, St Jean Eudes (1601-1680), prêtre et fondateur de la Congrégation de Jésus et de Marie (les « Eudistes »), faisait célébrer par ses prêtres l´Office solennel des Cœurs de Jésus et de Marie, et s´en faisait l´Apôtre dans ses missions. Il a été le précurseur de la dévotion au Cœur de Jésus.

[1] Extrait de : Dom Antoine-Marie, abbé de l’Abbaye St Joseph de Clairval

http://www.clairval.com/lettres/fr/99/e11juin99.htm

[2] Extrait de : P. B. Peyrous, recteur du sanct. de Paray

http://www.diocese-grenoble-vienne.fr/sacrecoeur_devotion.html