Olivier Roy, politologue, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence et auteur de «L’aplatissement du monde» (Seuil)
D’où vient ce sentiment que nous sommes sortis de la culture ? Sentiment paradoxal puisque jamais autant de moyens de diffusion n’ont été à notre disposition, jamais l’accès à la culture n’a été si facile, Mais le mot est ambigu et il faut entendre par culture les productions de la vie de l’esprit qui grandissent la société et lui permettent d’y trouver des modèles à imiter.
D’autres définitions existent : on pourrait réduire la culture à l’identité d’un groupe donné, sans jugement de valeur, auquel cas nous assisterions à une guerre culturelle, les uns et les autres ne se comprenant plus, entre ceux qui veulent, par exemple, maintenir les acquis d’une société conservatrice et ceux qui sont obsédés par l’idée de les détruire. On parle d’ailleurs beaucoup de sujets identitaires, sociétaux, plus que sociaux ou économiques
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Identités contre universalisme, genre contre sexe, république contre communautarisme, racisme, féminisme, immigration… Le point commun de ces débats, qui polarisent la vie intellectuelle avec de fortes implications politiques, est de mettre en jeu la culture, dans tous les sens du terme. Mais Olivier Roy récuse ici la thèse de la « guerre culturelle » ou du conflit de valeurs. Ce qui est en crise, selon lui, c’est la notion même de culture, désormais réduite à un système de codes explicites, décontextualisés et souvent mondialisés, qui envahissent les universités comme nos cuisines, les combats identitaires et les religions comme nos pratiques sexuelles, et jusqu’à nos émotions dûment répertoriées en émojis.
C’est bien une déculturation mondiale que diagnostique Olivier Roy. À partir des quatre grandes mutations contemporaines (la libération des mœurs issue des années 1960, la révolution internet, la marchandisation néolibérale et la déterritorialisation liée à la fin de l’État-nation et aux migrations), il en examine les mécanismes et les effets paradoxaux : où les dominants se vivent aussi menacés et souffrants que les dominés ; où le globish et le manga deviennent des simulacres qui annihilent la richesse de la langue anglaise ou de la culture japonaise ; où les « process » de communication fabriquent un « devenir autiste »… Un essai vif et critique, qui, à contre-courant de la dénonciation anti-moderne de l’individualisme, s’inquiète au contraire de la facilité avec laquelle nous acquiesçons à l’extension du domaine de la norme.
Olivier Roy est politologue, auteur de nombreux essais au Seuil, dont L’Islam mondialisé (2002 et « Points Essais », 2004), La Sainte Ignorance. Le temps de la religion sans culture (2008 et « Points Essais », 2012), En quête de l’Orient perdu (2014 et « Points Essais », 2017) et L’Europe est-elle chrétienne ? (2019). Il est professeur à l’Institut universitaire européen (IUE) de Florence.