Pour une évangélisation prophétique

Évangéliser

Il nous faut prier sans cesse pour demander au Seigneur de faire se lever dans nos églises diocésaines, des évangélisateurs, dans tous les secteurs de l’évangélisation. Celle-ci est une réalité complexe ; on peut y discerner comme trois étapes : la première annonce (annonce directe du message auprès des non-croyants), la catéchèse et l’évangélisation (croissance des convertis), l’inculturation (évangélisation en profondeur de toute la réalité de la culture et des milieux sociaux). Si l’Église, par héritage historique, est très investie au niveau de la seconde étape (catéchèse et sacramentalisation), si l’Action Catholique a beaucoup insisté sur la troisième étape, nous redécouvrons aujourd’hui, de par la nécessité des temps que nous traversons et par la grâce du Renouveau, la première annonce, la proclamation directe du message.

Je voudrais commencer par citer quelques phrases de Paul VI, extraites de la charte de l’évangélisation « Evangelii Nuntiandi » (1975, n° 75). « L’Esprit Saint est celui qui, aujourd’hui comme aux débuts de l’Église, agit en chaque évangélisateur qui se laisse posséder et conduire par lui, et met dans sa bouche les mots que seul il ne pourrait trouver, tout en prédisposant aussi l’âme de celui qui écoute pour le rendre ouvert et accueillant à la Bonne Nouvelle et au Règne annoncé.

Les techniques d’évangélisation sont bonnes mais les plus perfectionnées ne sauraient remplacer l’action discrète de l’Esprit. La préparation la plus raffinée de l’évangélisateur n’opère rien sans lui. Sans lui, la dialectique la plus convaincante est impuissante sur l’esprit des hommes. Sans lui les schémas sociologiques ou psychologiques les plus élaborés se révèlent vite dépourvus de valeur.

C’est dans la mission évangélisatrice de l’Église que l’Esprit Saint agit le plus. Ce n’est pas par hasard que le grand départ de l’évangélisation eut lieu le matin de la Pentecôte, sous le souffle de l’Esprit.

On peut dire que l’Esprit Saint est l’agent principal de l’évangélisation : c’est lui qui pousse chacun à annoncer l’Évangile et c’est lui qui dans le tréfonds des consciences fait accepter et comprendre la parole du salut. Mais l’on peut dire également qu’il est le terme de l’évangélisation : lui seul suscite la nouvelle création, l’humanité nouvelle à laquelle l’évangélisation doit aboutir ».

Si l’Esprit Saint est le seul qui puisse donner fécondité à l’évangélisation, la première condition pour une évangélisation prophétique, qui soit porte-parole de l’amour de Dieu, c’est notre propre transparence à l’Esprit Saint.

Première condition : la transparence à l’Esprit Saint.

Qu’est-ce à dire ? Trois mots :

* Conversion (« vivre en état de grâce ») : prière, écoute de la parole, sacrements de réconciliation et d’Eucharistie… Le mieux que nous puissions faire pour évangéliser, c’est-à-dire laisser l’Esprit Saint prendre des initiatives à travers nous, c’est de nous acharner à nous convertir sans cesse…

* Abandon à la volonté de Dieu : rester à l’écoute de la Parole de Dieu, la relisant et la méditant ; accueillir ce que Dieu me donne de vivre dans l’instant présent comme expression de sa volonté ; don inconditionnel de moi-même, ce chèque en blanc que je dois refaire sans cesse…

* Obéissance aux motions de l’Esprit : c’est lui qui me conduit et me sollicite pour évangéliser de mille et une manières ; à cette sollicitation discrète, je puis rester sourd, m’opposer, ou obéir ; mais je ne dois jamais oublier que je suis un serviteur, un envoyé…

L’exemple le plus frappant de la fécondité de cette transparence à l’Esprit nous est donné par la Vierge Marie dans l’épisode de la Visitation à sa cousine Élisabeth. Elle nous montre, sans discours de la méthode, ce qu’est évangéliser. Et nous y retrouvons ces trois aspects de la transparence à l’Esprit : conversion, abandon, obéissance.

1. Évangéliser, c’est dire “oui” à Dieu. Marie dit “oui” à Dieu. “Je suis la servante, qu’il m’advienne selon ta parole”. On évangélise d’abord en commençant par dire “oui” à Dieu dans sa vie, profondément. Ce oui est accueil de la volonté de Dieu, et donc la porte ouverte à l’Esprit Saint. Un petit oui est une porte entrebâillée qui ne permet guère à l’Esprit que de se faufiler ; un oui moyen nécessite qu’il soit au régime jockey ; un grand oui, franc et massif, lui permet de donner son impulsion décisive…

2. Évangéliser, c’est aller vers… Luc nous dit : “En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda” (1,39). Marie porte en elle le Fils de Dieu, et elle part sous l’inspiration de l’Esprit Saint qui vient de la couvrir de son ombre. Vous vous souvenez : lors de la Pentecôte, nous voyons aussi les apôtres, saisis par l’Esprit, sortir du Cénacle. Jésus leur avait dit : “Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint, qui descendra sur vous et vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre” (Actes 1,8). On comprend que recevoir l’Esprit Saint, c’est aussi accepter de bouger, de sortir, d’aller vers… La hâte de Marie, c’est d’une certaine façon le souffle de l’Esprit qui la pousse à sortir et à aller.

3. Évangéliser, c’est aller vers… pour accueillir. L’ange lui avait dit en parlant de la grossesse d’Élisabeth : “Rien n’est impossible à Dieu” (v.37). Littéralement traduit du grec, on comprend : “Aucune parole n’est impuissante chez Dieu.” Et Marie le sait bien, elle qui vient d’accueillir la Parole, le Verbe. Si donc elle part chez Élisabeth, ce n’est pas pour vérifier ce que l’ange lui a dit. Elle part avec la certitude que Dieu a agi en sa cousine.

Quant à nous, nous évangéliserons dans la mesure où nous aurons ce sens du partage : la certitude que Dieu a déjà agi dans l’autre. Je ne pars pas seulement pour porter l’Évangile, je pars aussi pour trouver – peut-être au milieu de bien des aspects négatifs – pour trouver telle ou telle merveille de Dieu dans le cœur et la vie de la personne que je rencontre.

4. Évangéliser, c’est porter la paix. On ne nous rapporte pas d’ailleurs ce que Marie a dit très exactement, mais Luc, aux versets 40 et 41, écrit : “Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Et il advint, dès qu’Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit en son sein, et Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint”. C’est à la salutation de Marie (trois fois mentionnée en 1,40. 41. 44) qu’Élisabeth attribue cette effusion de l’Esprit : ce n’est pas le fait de l’humble Marie, mais de l’Esprit Saint qui est sur elle (1,35), et du Fils de Dieu, le Seigneur (1,43), qui est en elle. Peut-être Marie, simplement, a-t-elle dit : “Shalom”, “la paix”, comme Jésus ressuscité le dira à ses apôtres. Et c’est véritablement la paix de l’Esprit qu’elle transmet à Élisabeth, et qui touche le cœur d’Élisabeth et le petit Jean Baptiste. Ainsi, lorsque nous visitons l’un de nos frères, nous sommes porteurs de cette bénédiction divine : la paix. Il n’est pas besoin de chercher de grandes phrases à dire. Témoigner, c’est d’abord laisser Jésus transmettre la paix et la joie, l’amour de Dieu, qui nous habitent.

« C’est Jésus, sans que nous ayons rien dit, qui déjà trouve son interlocuteur dans le cœur de l’autre qui écoute. Car dans chacun, dans chaque homme, il y a un petit Jean Baptiste qui attend ; il y a une sorte d’harmonie préétablie. Ne dites pas trop vite qu’ils n’écouteront pas. Il y a dans chacun de nous, même en quelqu’un qui est dans le péché, un petit Jean Baptiste qui dort (ou qui est étouffé chez certains) mais qui est sur la même longueur d’onde et qui perçoit Jésus ». (Cal Danneels).

5. Évangéliser, c’est réveiller l’étonnement. Nous voyons la cousine de Marie, Élisabeth, qui s’exclame : “Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?” (Lc 1,43). Élisabeth pensait sans doute que sa stérilité avait fait place à la fécondité pour que Zacharie et elle connaissent la joie d’un enfant. Maintenant, elle comprend soudain que le don de Dieu dépasse la sphère de leur famille. Dans le tressaillement d’allégresse de l’enfant qu’elle porte, elle saisit par sa rencontre avec Marie le caractère surnaturel de tout ce qui arrive. L’Esprit Saint lui donne l’intelligence et la sagesse de l’œuvre que Dieu a accompli en Marie, et cela éveille en elle la révélation de sa propre mission. Dans la lumière de Marie, Élisabeth ouvre maintenant à son enfant la voie que Dieu a prévue pour lui.

6. Évangéliser, c’est prier ensemble dans la joie. Marie, toute transparente de l’Esprit Saint, laisse s’échapper de ses lèvres la louange de l’Esprit en son cœur. Dans cette prière s’exprime sa vie théologale : sa foi, sa charité, son espérance. En écoutant les paroles de Marie, Élisabeth prie déjà avec elle. Ainsi Marie nous apprend-t-elle à prier au cours de tout contact évangélisateur, à louer Dieu avec simplicité, et à terminer notre témoignage et notre rencontre par une prière de louange.

7. Évangéliser, c’est aussi savoir vivre la fraternité et le service avec la personne évangélisée. Ainsi Marie demeura-t-elle trois mois avec Élisabeth pour l’aider dans la fin de sa grossesse. Et, pourquoi pas, pour parler avec elle, car Zacharie n’était pas très bavard à cette époque-là, pour cause…

Deuxième condition : la vie communautaire

Lorsque nous observons la naissance de l’Église dans les Actes des Apôtres, nous constatons que l’Esprit Saint fait naître immédiatement des communautés qui vont devenir elles-mêmes évangélisatrices. Une évangélisation prophétique, qui soit porte-parole de l’amour de Dieu, passe par la réalisation de petites cellules communautaires qui rayonnent son amour.

Je voudrais citer simplement l’un des sommaires des Actes, deux versets (Ac 4,32-33) : « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun. Avec beaucoup de puissance, les apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur Jésus ». Vous avez là l’essentiel de ce que l’Esprit Saint réalise par l’évangélisation quand on le laisse faire : former des cellules du corps du Christ. Ces cellules se caractérisent par trois dons de l’Esprit.

1. Un cœur, une âme. L’unanimité dans l’Esprit. Tous sont sur la même longueur d’onde, parce que profondément saisis par l’Esprit. Un même amour de la Parole et de l’Église, une même vie de prière… un même amour des frères. La diversité, plutôt que d’être source de distanciation par rapport aux frères, est assumée dans la plus profonde unité avec les frères… Ensemble, ils discernent les appels du Seigneur pour y répondre sur fond de charité, au moment que le Seigneur indiquera, se mettant ainsi en état de disponibilité instrumentale…

L’expérience de prier chaque semaine avec des frères dans un groupe de prière fraternel est importante. Ne nous a-t-elle pas convaincus que seule cette dimension communautaire peut nous permettre de demeurer au niveau de louange dans l’Esprit qui réalise l’unanimité ? Et encore la prière hebdomadaire est-elle à peine suffisante pour cela…

2. Le partage des biens, cristallisation et consistance de l’unanimité fraternelle : « Nul ne disait sien ce qui lui appartenait ». La communauté est une école de charité et d’unité, pour devenir les témoins de l’amour que Dieu nous porte : « A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Le moyen en est le partage des biens, matériels, intellectuels, spirituels, selon ce que l’Esprit nous montre et qui est différent pour chaque cellule. Sans partage, pas de communauté. Quelle est la place du partage dans nos groupes de prière, et d’abord du partage du « vécu dans la foi »; savons-nous consacrer du temps pour de petits groupes de partage ? Quelle est la « consistance » de notre unanimité fraternelle ? Ne risquons-nous pas de ne pas guérir de la lèpre de l’individualisme qui ronge tant de nos pratiques dominicales ?

3. L’équipement de la puissance charismatique. Une communauté qui accepte de se laisser saisir par l’Esprit jusqu’à recevoir le don de l’unanimité, le don du partage, reçoit aussi le zèle pour l’évangélisation, et donc les dons charismatiques qui y sont attachés. Il n’y aura pas d’évangélisation prophétique, c’est-à-dire porte-parole de l’amour de Dieu, sans ces signes de compassion, de guérison, de miséricorde, qui dérivent de l’exercice des charismes. Que ferions-nous sans les charismes ?

Et là, il faut savoir désirer les charismes pour ce qu’ils sont : des manifestations de la miséricorde de Dieu capables de toucher les cœurs les plus endurcis pour qu’ils s’ouvrent à la Bonne Nouvelle de Jésus sauveur… Alors, sommes-nous décidés à demander les charismes, à prier encore et encore pour les recevoir ? À prier en langues, à chanter en langues assez longtemps pour que d’autres charismes puissent se manifester à la suite ? Avons-nous déjà dit chacun : « Seigneur, utilise-moi pour les charismes que tu veux »… ?

Remarquez bien que ces trois dimensions de l’œuvre de l’Esprit que nous venons de souligner dans ce sommaire des Actes, elles étaient déjà présentes dans l’épisode de la Visitation : unanimité dans l’Esprit, communion profonde entre Marie et Élisabeth ; partage des biens pendant trois mois ; puissance charismatique : onction de paix venant de Jésus par Marie, effusion de l’Esprit sur Élisabeth et le petit Jean-Baptiste, parole de connaissance d’Élisabeth, louange de Marie…

La troisième condition, c’est l’accueil de la puissance charismatique

(voir à ce titre)