Jean-Louis Georgelin (au centre) observe la restauration du grand orgue de Notre-Dame de Paris, le 22 mars, à Lodève (Hérault). – Richard de Hullessen/Le Midi Libre/MaxPPP.
Du journal La Croix (15/4/22)
Jean-Louis Georgelin Président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris Pour le général Georgelin, la réussite de la reconstruction repose sur l’articulation de multiples chantiers, sur le site et en dehors. Il est confiant sur la tenue du calendrier.
Trois ans après l’incendie, êtes-vous serein pour la conduite de ce chantier ?
Jean-Louis Georgelin : Je suis confiant. Je n’aime pas le mot « serein », cela fait fleurs bleues et petits oiseaux. Ce défi est un combat quotidien, et c’est ce combat qui nous mobilise et nous permettra de réussir. Mon rôle est de trouver les voies et moyens pour tenir le délai de cinq ans, conformément à l’objectif fixé par le président de la République. Je suis confiant car, contrairement à ce que j’ai pu lire, ce délai n’a rien d’irrationnel. Nous allons y arriver. Si l’on regarde les trois ans écoulés, nous sommes sur les rails. Ce pays a besoin qu’on se fixe des objectifs et qu’on se donne les moyens de les atteindre. Sur les chantiers de monuments historiques, il existe rarement cette culture du délai. Les Italiens ont dit qu’ils reconstruiraient le pont de Gênes en deux ans et ils l’ont fait. Tous les jours, je martèle à mes équipes que nous sommes sur un défi qui engage la France.
Comment avez-vous accueilli les polémiques sur le projet d’aménagement intérieur lors de sa présentation début décembre ?
J.-L. G. : Je les ai trouvées absurdes et finalement assez tristes. La cathédrale est le plus beau monument de l’art gothique, mais elle est avant tout une église. Si la restauration de la cathédrale, propriété de l’État, est de la responsabilité de l’établissement public, il revient à l’archevêque de Paris de définir l’aménagement au regard de la liturgie catholique du XXIe siècle. La restauration de Viollet-le-Duc a marqué une étape fondamentale dans l’histoire de la cathédrale. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas concevoir des évolutions. C’est mon rôle de veiller à ce que la réflexion avance de manière cohérente et équilibrée, entre les principes de conservation du patrimoine et les demandes du diocèse pour le culte. Quant aux critiques d’une poignée de « viollet-ducistes » de stricte observance… c’est la vie d’une démocratie.
Est-ce pour vous un beau projet ?
J.-L. G. : Avant l’incendie, Notre-Dame était dans un état global assez désolant, en particulier les chapelles latérales, dans les transepts et, dans une moindre mesure, dans l’abside. Avant de critiquer le projet, il faut donc faire preuve d’un peu d’humilité. Il y a trois points forts dans ce projet : un parcours catéchuménal, un axe liturgique avec des gestes d’art contemporain et une nouvelle mise en lumière de la cathédrale. Cela ne met pas en péril le monument historique mais au contraire, cela va lui donner une nouvelle beauté.
Où en est-on de la restauration du monument ?
J.-L. G. : Après la phase de sécurisation, achevée à la fin de l’été 2021, conformément au calendrier, la restauration est désormais pleinement engagée. Elle a commencé à l’automne par le nettoyage et le dépoussiérage intégral des murs, des voûtes et des sols, mais également partout en France avec la restauration du grand orgue en Corrèze, dans l’Hérault et le Vaucluse, la restauration des Mays en Essonne, l’extraction des pierres dans l’Oise et le sciage des chênes dans 45 scieries. Dans la cathédrale, on est frappés par la rapidité avec laquelle la pierre retrouve sa couleur d’origine. On est aussi en train de dessaler les voûtes, qui avaient gonflé sous l’effet de l’humidité, à l’aide de cataplasmes qui absorbent le sel. Ces premières opérations s’achèveront dans les semaines qui viennent pour laisser place aux opérations de restaurations intérieures. Nous poursuivons par ailleurs l’attribution des lots pour les travaux de restauration, dans le cadre des procédures d’appels d’offres. Nous en avons d’ores et déjà attribué 37. D’ici à la fin du mois, nous le ferons pour les lots les plus spectaculaires, ceux qui concernent la reconstruction de la flèche, de la charpente et des voûtes. Les Parisiens devraient voir s’élever dans le ciel, au printemps 2023, l’échafaudage de la future flèche, qui mesurera 100 mètres de haut.
Qu’est-ce qui apparaît comme le plus délicat ?
J.-L. G. : L’opération qui demandera le plus de précision est celle qui consistera à articuler la reconstruction de la flèche et les voûtes, avec le tabouret de la flèche qui va prendre appui sur les quatre piliers de la croisée du transept. Au-delà de cette phase, la réussite du chantier pour gagner la bataille des délais repose sur de multiples opérations à mener de manière concomitante dans et en dehors du chantier.
A-t-on une idée du coût global de ce chantier ?
J.-L. G. : Nous ne communiquons pas sur les coûts tant que nous n’avons pas attribué l’ensemble des lots du chantier de restauration, car cette étape s’accompagne d’une discussion avec les entreprises, qui déterminera le budget des différentes opérations. Nous pourrons donner ce montant sans doute à l’automne 2022. À la question « l’argent suffira-t-il ? », ma réponse est « oui ». Je suis même confiant sur le financement de la restauration. Je saisis l’occasion pour tirer un grand coup de chapeau aux 340 000 donateurs, qui ont donné 844 millions d’euros. Grâce à cette générosité, nous n’avons pas le souci de faire des appels de fonds qui souvent retardent des chantiers de monuments historiques.
Combien de personnes comptera le chantier au plus fort de son activité ?
J.-L. G. : Aujourd’hui, le chantier rassemble environ 150 compagnons, auxquels il faut ajouter tous ceux qui font vivre le chantier, les équipes de sécurité et logistiques, ce qui porte le chiffre à 300 personnes présentes en tout, y compris sur la base-vie. Si on ajoute tous les chantiers hors les murs, on arrive à un millier de personnes engagées pour la restauration de Notre-Dame. Quand les choses vont monter en puissance dans les prochains mois, on va arriver à 400-500 compagnons sur le site.
Où en est-on de la réflexion sur un musée qui prolongerait la visite de la cathédrale ?
J.-L. G. : Tout le monde dit qu’il faut créer un musée de l’Œuvre de la cathédrale Notre-Dame de Paris, comme il en existe un à Strasbourg. Évidemment, c’est souhaitable. On pourrait y exposer des œuvres rattachées à l’histoire de la cathédrale, notamment les Mays, ces grandes peintures du XVIIe siècle, dont 13 étaient exposées dans la cathédrale avant l’incendie. Ce serait souhaitable, mais la décision ne m’appartient pas. Après la reconstruction et l’aménagement des abords, ce serait une troisième étape, mais qui doit réunir des compétences, des fonds, et trouver un lieu.