2° D. Avent C — (Lc 3,1- 6)
Jean-Baptiste et Jésus ne sont pas des héros de roman, mais des personnages situés dans l’histoire universelle, et dont l’activité doit être temporellement et spatialement située. C’est d’autant plus nécessaire que la brusque apparition de Jean-Baptiste se déroule dans le désert, selon l’information déjà fournie en 1,80 : « Jean fut dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation à Israël ».
Au coeur de l’histoire humaine, l’annonce du salut pour tous
L’évocation de l’empereur, de trois tétrarques et de deux grands prêtres donne à cette introduction de Luc une solennité exceptionnelle. L’histoire profane et l’histoire sacrée sont présentées, ainsi que la géographie des régions de l’empire où l’événement va avoir lieu.
« La parole de Dieu fut sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert ». Luc s’inspire du récit de la vocation de Jérémie et d’Osée (« La parole de Dieu fut sur Jérémie, fils de Helkias », Jr 1,1). Jean est identifié comme un prophète authentique, mais Luc ne fait pas de lui le nouvel Élie (pas de citation de Malachie, pas de description du vêtement). Et il apparaît avant tout comme celui qui prêche.
Sa prédication est caractérisée non pas par un message, mais par l’acte qui en signifie l’accueil : le « baptême de conversion 1 » ; un appel à un changement de direction, et s’accompagne d’un rite baptismal. Ce n’est pas le baptême chrétien qui « remettra les péchés » (Ac 2, 38 ; 22,16 ; 24,47). Il n’est qu’un baptême « en vue de la rémission des péchés », et marque le début du retournement vers Dieu.
À travers Jean, c’est en fait l’avènement de Jésus que Luc veut situer. Au chapitre 3 de Luc, nous glissons progressivement de Jean-Baptiste à Jésus. L’annonce de l’avènement de Jésus est imbriquée à l’intérieur même de l’apparition de Jean, ce qui est dans le droit fil des deux chapitres des récits de l’enfance. Luc y montrait que la mission de Jean consiste à annoncer Jésus2. « Tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins » (1,76). La mission de Jean est la dernière annonce du salut, celle de Jésus est la venue de Dieu et le salut de toute chair, c’est-à-dire toute créature, salut offert à tous les hommes.
L’autoroute du salut
La longue citation d’Isaïe permet à l’évangéliste de situer le double avènement de Jean et de Jésus dans le cadre de l’histoire du salut et d’en donner le sens. La citation choisie par Luc est tirée du chapitre 40 du livre d’Isaïe, donc du deuxième Isaïe, le prophète qui prêchait pendant l’Exil à Babylone (587-537) et annonçait la fidélité de Dieu et le retour au pays. À des exilés qui risquaient de se croire abandonnés de Dieu, il annonçait : vous allez bientôt prendre le chemin du retour.
Il le faisait à travers des images extrêmement expressives pour eux : chaque année, pour la grande fête nationale, la fête du dieu Mardouk, les esclaves juifs déportés à Babylone étaient contraints à remettre en état la voie processionnelle de la statue du dieu Mardouk : combler les ravins, raser les collines, redresser les chemins tortueux… tout cela, pénible physiquement et plus encore moralement puisque c’était en l’honneur d’une idole païenne ! Or que disait Isaïe ? Désormais c’est la route du Seigneur qui va traverser le désert : traduisez, Dieu prend la tête du cortège de votre retour triomphal au pays.
Le prophète Baruch (lu en 1è lecture, et son ministère est daté du au 2°s. avant J.-C.), recopie par endroits des phrases entières du prophète Isaïe, pour regonfler les énergies de ses contemporains. Il s’adresse probablement aux Juifs de la Dispersion (ce qu’on appelle la « Diaspora »), toutes ces communautés juives répandues dans le monde gréco-romain, et qui se sentent comme exilées de Jérusalem…
Luc, à son tout, relisant la prophétie, y découvre l’annonce d’un autre chemin de libération : désormais ce ne sont plus seulement les exilés à Babylone, ni les juifs de la Diaspora, c’est tout homme qui verra le salut de Dieu. Là où Baruch entrevoit la réalisation grandiose d’un projet de salut de Dieu, Jean-Baptiste concentre l’attention sur la nécessité d’une conversion intérieure profonde pour que le Seigneur puisse advenir.
En ce temps de l’Avent, cette page d’évangile est pour nous un appel à nous préparer à la venue de Jésus dans le repentir et l’humilité, en progressant et en persévérant. Cet appel s’entend aussi dans le passage de la Lettre aux Philippiens : « celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement » ; et encore : « dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance ».
1Nous avons ici la première occurrence du terme « metanoïa », conversion, qui revient 14 fois chez Luc, et qui signifie littéralement « changement de mentalité ».
2Lc 1,14.17.19.41-44.76-77.