Un homicide éthique ?

Jean de Saint-Chéron, La Croix 221003

Devant la souffrance d’un autre, on s’avance à pas feutrés, on parle à voix basse, on commence par s’essayer à la compassion, même si c’est impossible. « C’est bien facile d’écrire de belles choses sur la souffrance, s’exclamait la petite Thérèse sur son lit de mort, mais d’écrire, ce n’est rien, rien ! Il faut y être pour savoir ! » Et après une nuit de torture : « Si je n’avais pas eu la foi, je me serais donné la mort sans hésiter un seul instant… »

Ce cri de douleur devrait nous apprendre, comme chrétiens, à nous garder d’arriver dans le débat avec notre « expertise en humanité » et notre discours tout prêt sur la « juste anthropologie » ou la « loi naturelle » incontestable. Entendrais-je ces arguments d’un air aussi convaincu si je ne croyais pas à la vie éternelle ? Quand bien même, donc, les défenseurs de l’inscription dans la loi d’un permis de tuer seraient absolument dans l’erreur, on ne répond pas toujours à l’erreur par le mépris, surtout lorsque cette erreur est l’expression d’une détresse, d’une peur.

Malgré tout, la récente tribune du patron de la MGEN (1) m’a mis en colère : elle faisait son beurre d’un mauvais pathos, instrumentalisait le désarroi de quelques interviewés et n’abordait pas les questions abyssales du sens de la vie humaine ou de la liberté dans la souffrance, tout en se réclamant tranquillement de l’« humanisme »… Choisir le jour et l’heure de sa mort, est-ce cela la liberté et la dignité de l’homme ? A-t-on le droit d’en douter ? Mais qu’au moins l’on dise les choses : que l’on cherche à faire des économies. Qu’on le dise, qu’on le proclame, qu’on l’assume. Les mourants coûtent terriblement cher, les grands dépressifs aussi. Mais qui peut dire la valeur de la vie d’un homme ?

L’avis du Comité consultatif national d’éthique publié le 13 septembre est ahurissant : à la fois il demande que soit mieux appliquée la loi Claeys-Leonetti sur les soins palliatifs, et en même temps il est favorable à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, c’est-à-dire à l’inscription dans la loi de l’autorisation de tuer.

L’interdit dont la transgression remplit les prisons, le meurtre, est rendu non seulement légal mais éthique : le Comité va jusqu’à dire qu’il peut y avoir « une fraternité qui s’exprime dans l’aide active à mourir ». Le président de la République lui-même invoque les arguments de la « dignité », de l’« humanité » et même de la « bonté » !

Son maître supposé Paul Ricœur a dû se retourner trois fois dans sa tombe, lui qui disait en 2006 : « La vérité de l’euthanasie active, c’est celle d’un suicide assisté. Un humain décide autoritairement de la frontière entre le tolérable et l’intolérable. Mais pour qui la prolongation de la vie est-elle insupportable ? Pour le malade ? Pour l’environnement familial ? Qui a demandé la mort ? Que signifie cette demande ? N’est-ce pas parfois un appel au secours masqué par pudeur et désespoir ? »

La souffrance physique doit être soulagée par tous les moyens – ainsi que le permettent heureusement les moyens de la médecine moderne. Mais c’est la tendresse, la compassion et la gratuité d’une présence aimante qui permettent de répondre avec humanité au drame de la souffrance morale face à la mort. La maison médicale Jeanne-Garnier, comme d’autres lieux où sont pratiqués les soins palliatifs en France, répond à cette exigence. Hélas, les moyens financiers sont aujourd’hui très largement insuffisants pour que chacun puisse espérer avoir accès à des soins de cette qualité et de cette humanité. Les chrétiens qui veulent vivre l’Évangile ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté qui veulent témoigner de leur vision de la vie doivent se saisir concrètement de la question : on manque cruellement de bénévoles en soins palliatifs, en France.

(1) « Pourquoi nous soutenons la légalisation de l’aide active à mourir », par Matthias Savignac, publiée sur la-croix.com le 16 septembre.