Une fresque de l’histoire sainte

(27° D. TO A) Trois paraboles se suivent (les deux fils, les vignerons révoltés, les invités au festin des noces). Avec pédagogie Matthieu met en scène la rupture en cours entre Jésus et les chefs du peuple. Cette fois-ci, l’atmosphère est dramatique : violence, meurtre, vengeance meurtrière. De façon cryptée, la parabole des vignerons révoltés dévoile à l’avance le mystère pascal du Fils.

L’allégorie de l’histoire du salut

Après l’invitation à entendre, à écouter cette parabole (v. 33, repris en 45), c’est-à-dire à se laisser interpeller et juger par elle, Jésus évoque le cantique de la vigne d’Isaïe 5 (la 1ère lecture). Une chanson de vendanges vantant la sollicitude du vigneron pour sa vigne, devenue ensuite une chanson de noces : on invitait le jeune époux à prodiguer autant de soins à son épouse. Le prophète Isaïe, en reprenant cette chanson, parle de l’Alliance entre Dieu et Israël : « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël ».

Dans la parabole, le maître envoie à deux reprises1 plusieurs serviteurs, et le traitement qui leur est réservé est toujours le même : frappés, tués, lapidés (v. 35). Les paysans-vignerons veulent s’emparer de la vigne au détriment du propriétaire. À la différence du chant d’Isaïe, ici, aucune faute ne retombe sur la vigne. Ce sont les vignerons, les chefs du peuple, par leur refus des envoyés, qui sont fautifs. D’où le jugement qui leur est promis.

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Le dévoilement du mystère pascal

« À la fin », (hysteron, v. 37, comme v. 29 et 32), le maître se décide à jouer le tout pour le tout et à envoyer son Fils. Mais Jésus n’est pas seulement un envoyé, il est l’héritier, celui à qui revient de droit l’héritage de la vigne2. Sa mission est de ramener les vignerons au respect de leur maître : « Ils respecteront mon fils » (v. 37).

La parabole présente la mort du fils du Seigneur de la vigne comme un crime prémédité : c’est conscients de son identité et de sa mission qu’ils le jettent « dehors » (v. 39), comme Jésus (cf. 27, 31-33), et le tuent. « Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent ». Même si les contemporains de Jésus ne pouvaient percevoir ce que représente le titre de Fils employé ici, la parabole est une révélation où Jésus démasque l’attitude des chefs religieux à son égard, et leur détermination à le tuer.

Le Ps 118, déjà présent dans la bouche de ceux qui ont accompagnés son entrée à Jérusalem (« Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! », 21, 9), réapparaît ici dans la bouche de Jésus : « la pierre qu’avaient éliminée les constructeurs est devenue la tête d’angle » (v. 42), c’est-à-dire la clef de voûte. La pierre rejetée, le Fils, ne s’est pas relevée d’elle-même : il s’agit d’un acte souverain et prodigieux de Dieu : la résurrection3.

L’annonce de la nation fidèle

Matthieu spécifie que les grands prêtres finissent par se reconnaître les méchants de l’histoire : « En entendant les paraboles de Jésus, les grands prêtres et les pharisiens avaient bien compris qu’il parlait d’eux » (v. 45). Le jugement est tombé : dans peu de temps, la vigne va être transférée à d’autres vignerons. « Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits » (v. 43). Le mot nation (ethnos) employé ici au singulier n’est pas une nation païenne, ni les païens en général opposés aux juifs. Ceux qui porteront les fruits du Royaume seront tous ceux qui, en recevant le Fils, formeront le nouveau peuple de Dieu. Un corps nouveau, qui va se constituer et s’édifier, animé par l’Esprit Saint. Pas d’une substitution à Israël.

Ce sont les gens, les personnes dont on trouve déjà la description à la fois dans la parabole précédente : « les publicains et les prostituées qui vous précéderont dans le Royaume de Dieu » (v. 31), et dans la parabole suivante : « mauvais et bons recueillis sur les routes » qui prennent la place des invités au banquet (22, 10). Ce sont les personnes qui ont adhéré à l’annonce du Royaume, et que la parabole du Jugement des Nations fera connaître comme les « bénis de mon Père » (Mt 25, 34).

C’est moi qui vous ai choisis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure (Jn 15, 16).


1Peut-être Matthieu fait-il la distinction entre les prophètes antérieurs et les prophètes postérieurs, selon la division de la Bible hébraïque.

2Rappelons-nous notre Ps 79, 15-16 : « Visite cette vigne, protège-la, celle qu’a plantée ta main puissante, le rejeton qui te doit sa force (le fils que tu as rendu fort pour toi) ».

3D’une certaine manière, Jésus annonce ici sa Résurrection : lui, la pierre rejetée deviendra la clé de voûte de l’édifice ; traduisez : le nouveau peuple, ce seront tous ceux qui se rassembleront autour de lui, quelle que soit leur origine. Et nul n’en est exclu : tous les vignerons sont englobés dans la phrase de Jésus sur la croix « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».