L’archevêque canadien de Québec a fait le déplacement pour assister aux obsèques de Benoît XVI, jeudi 5 janvier au Vatican. Nommé évêque, puis archevêque par le Pape émérite, il dit son émotion, évoque ses liens personnels, et se dit honoré d’avoir pu assister à un moment unique.
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican
Le cardinal Gérald Cyprien Lacroix était parmi les plus de 120 cardinaux présents à la messe des funérailles du Pape émérite Benoît XVI. Dans cet entretien, accordé à Vatican News à l’issue de la célébration, l’archevêque de Québec revient sur l’homélie du Pape François, nous confie aussi son émotion d’avoir pu participer à un événement unique dans l’histoire de l’Église, et parle de ses rencontres avec Benoît XVI, un être lumineux, «un Pape à découvrir».
La messe des obsèques du Pape émérite Benoît XVI est maintenant derrière nous, mais je voudrais que l’on revienne sur l’homélie du Pape, où le nom de Benoît XVI n’a été prononcé qu’à la dernière phrase, tout le reste étant centré sur Jésus. Que vous inspire cette homélie?
C’est ce que doivent être des funérailles chrétiennes, élever notre regard vers celui qui a ouvert les portes vers la vie éternelle, le mystère Pascal. Et je pense que c’est tout à fait dans la grande pensée de tous les pasteurs et de Benoît XVI en particulier, qui nous a amenés à approfondir notre foi. Quelle magnifique homélie, les textes bibliques choisis aujourd’hui était spéciaux aussi, très beaux, qui nous invitent à nous laisser regarder, à rendre grâce à la fois pour la vie de cet homme qu’on est venu accompagner, mais nous tourner nous-mêmes vers le Seigneur et nous mettre en attente vers ce moment glorieux de la rencontre définitive.
Vous étiez à côté de l’autel, vous aviez devant vous un Pape régnant qui célébrait les obsèques de son prédécesseur. Aviez vous conscience de vivre un moment historique?
Absolument. J’ai beaucoup, beaucoup pensé à ça. C’est un moment unique, historique. Je suis honoré d’être là, d’être venu du Québec pour vivre cela, en pensant à ce moment-là, mais aussi de voir autour de moi, des gens du monde entier. On était plus de quatre mille prêtres, quatre cents évêques, plus de cent vingt, cent trente je crois, cardinaux et une masse, une foule énorme d’hommes et de femmes de partout, qui venait prier, rendre grâce et présenter à Dieu cet humble serviteur dans la vigne du Seigneur que fut Benoît XVI.
Benoît XVI s’était retiré de la vie publique il y a dix ans et on a vu pendant trois jours, deux cent mille pèlerins venir s’incliner devant sa dépouille. Qu’est-ce que ça signifie?
En fait, le mot «retiré» est relatif. Il était retiré de la sphère publique, mais il était retiré dans la prière. C’est ce qu’il a dit, «je me retire pour la montagne de la prière et je vais continuer à porter la mission de l’Église et prier pour l’église». Alors il était encore très actif, autrement. Et ça, c’est une bonne nouvelle. Autant le Pape Jean-Paul II nous a montré sa persévérance jusqu’à la fin ; on l’a vu presque jusqu’aux dernières heures de sa vie; autant le Pape Benoît a choisi de nous montrer que même si on n’a plus de force, la capacité d’être actif dans le ministère, on est encore actif dans la prière et on sert à quelque chose. Je suis allé à deux moments prier près de sa dépouille. Le jour de mon arrivée, j’ai passé une partie de l’après-midi en silence, en prière, assis à genoux, et je regardais ces fidèles passer avec un respect, un silence qu’on n’entend presque jamais dans la basilique, lorsqu’il y a des touristes. Et le lendemain, je suis allé après l’audience générale, passer un bon moment encore, et ça goûtait bon, si vous me permettez l’expression, de voir la reconnaissance pour cet homme qui n’était pas exubérant, qui n’avait pas le charisme de son prédécesseur ni de son successeur, le charisme des foules, mais qui avait le charisme de l’authenticité, de la vérité, de l’amour et de son lien avec le Seigneur qui était visible dans son être. C’était un être lumineux, Benoît XVI. Alors moi, ça m’a beaucoup touché. J’ai été honoré d’être là aussi au nom du peuple de Québec et du Québec, des francophones du Canada. Il a beaucoup fait pour nous. C’est lui qui, le premier, a accueilli une délégation d’autochtones en 2009 pour commencer ce long processus de réconciliation. Il voyait qu’il y avait un enjeu important. C’est lui qui a canonisé la première autochtone d’Amérique du Nord, Kateri Tekakwitha. J’étais là, à la canonisation. C’était à la fin du Synode sur la Nouvelle évangélisation. Il a canonisé le frère André, aussi de Montréal. Alors nous lui devons beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Réécouter la voix de Benoît XVI: la sélection de Radio Vatican
Benoît XVI, francophile et francophone, s’est exprimé à de nombreuses reprises dans la langue de Molière lors de son pontificat (2005-2013). Voici quelques extraits choisis.
Le Pape Benoît n’est plus, mais le théologien Ratzinger laissera une trace indélébile dans l’Église.
Absolument. Et moi, je j’ai déjà redit à plusieurs reprises dans des entrevues, que nous aurions avantage à reprendre ses écrits, ses discours, ses homélies, ses livres. C’est lumineux, c’est riche. Ça mérite d’être approfondi et développé encore. Il y a là une source à découvrir.
Un dernier mot sur les liens personnels que vous aviez avec le Pape Benoît.
Écoutez, c’est lui qui m’a nommé évêque, évêque auxiliaire, d’abord à Québec et un an et demi plus tard, archevêque. Un moment qui m’a beaucoup touché, lors de ma nomination. Il avait dit au nonce apostolique. «Lorsque Mgr Lacroix acceptera la responsabilité, dites-lui que je veux le voir quinze jours après qu’il aura débuté son ministère». Ça m’intriguait énormément, pourquoi il voulait me voir. Mais je suis effectivement venu à Rome et il m’a reçu pendant vingt, trente minutes. Ce n’était que pour me remercier d’avoir accepté, pour m’encourager, me donner quelques bons conseils, m’écouter. C’est très beau, ça. Ça s’est fait dans une grande simplicité, avec un regard pénétrant, une tendresse, une douceur. Mais j’ai senti qu’il m’appuyait, qu’il avait confiance en moi. Et ça m’a énormément touché et soutenu. Le jour où j’ai été créé cardinal, en 2014, il est venu assister à la célébration. Il ne le faisait pas souvent, mais il est venu, et immédiatement après avoir reçu la barrette, l’anneau cardinalice et le parchemin de ma paroisse à Rome, je suis redescendu. Il était le premier que j’ai salué. Il m’a accueilli à bras ouverts et il m’a dit «ah, Québec!». Ça m’a d’abord surpris qu’il me reconnaisse ; «Québec, ça prend beaucoup d’espérance pour servir à Québec». Ça m’a beaucoup touché.
Vous avez cela encore dans votre cœur…
Oui, absolument et j’ai senti sa communion dans la prière, son soutien fraternel et de père de famille.