Agnès Desmazières
La Croix du 8 nov. 2023
Agnès Desmazières, historienne et théologienne, relit l’Assemblée générale du Synode et ses conclusions à la lumière du défi des violences sexuelles dans l’Église. Elle souligne l’urgence de clarifier les modalités de la participations des fidèles à ces processus, et s’interroge sur les risques du huis clos dans un contexte de suspicion.
La crise des violences sexuelles que l’Église traverse à l’heure actuelle représente un enjeu crucial du Synode sur l’avenir de l’Église. Comment parler de l’avenir de l’Église sans constater avec douleur l’impact de cette crise sur le catholicisme et les réponses encore insuffisantes qui y sont apportées ? La question n’est pas nouvelle, mais demeure une peur de l’aborder de front, dans toute son ampleur.
C’était déjà le cas à Vatican II où, par crainte du scandale, elle n’a pas figuré dans l’agenda conciliaire, alors que la gravité du phénomène était déjà connue. Le cardinal Paul-Émile Léger, un des chefs de file de la réforme conciliaire, s’inquiétait que sa révélation puisse provoquer une « odieuse surprise (1) ». Le Synode actuel aura-t-il le courage de mettre en lumière toutes les zones sombres de la culture ecclésiastique qui sous- tend la dure réalité des violences sexuelles ?
Faire perdurer l’impunité
La crise est bien d’ordre systémique, toute une nébuleuse d’abus contribuant à une perduration de l’impunité ou de sanctions défaillantes. À Vatican II, les « violations de la justice sociale » et les « fraudes administratives » avaient déjà été pointées (2). Que dire des abus financiers, sociaux, d’autorité ou des plagiats ? La perpétuation de ces abus, qui constituent des atteintes à la dignité des personnes, est entretenue par une culture du secret et de la dissimulation, où prévalent l’hypocrisie, le mensonge ou les calomnies, en contradiction avec le message évangélique.
Si la synthèse de l’Assemblée générale qui vient de s’achever aborde certaines de ces questions, elle ne le fait que de manière encore périphérique. Il est nécessaire aussi que le processus synodal reflète un changement de culture. La crise des violences sexuelles a mis au jour l’importance du droit, comme rempart aux abus. L’appréhension d’un certain légalisme a conduit à mettre l’accent, dans le contexte de Vatican II, sur la pastoralité qui ne peut toutefois se comprendre sans un recours au droit sous peine de tomber dans l’arbitraire. Il apparaît dès lors crucial que les différents changements apportés au cours de ce processus synodal au mode de fonctionnement du Synode des évêques figurent dans la constitution apostolique Episcopalis communio, qui le réglemente.
Culture de la dissimulation
La clarification des modalités de consultation des fidèles et des conditions de concession du droit de vote à des fidèles non clercs est spécialement urgente. Sur quels critères sont nommés ces fidèles ? À Vatican II, le pape Paul VI avait opté pour le critère de l’expertise internationale, choisissant comme auditeurs des laïcs, hommes et femmes, personnalités de premier plan, à la tête d’organisations catholiques internationales, qui avaient l’expérience de prises de parole en public dans les institutions internationales. À cela s’ajoutait un souci de représentation de l’ensemble des continents.
De même, les débats à huis clos, s’ils peuvent effectivement contribuer à libérer la parole, alimentent aussi cette culture du secret et de la dissimulation. Les manipulations, qui sont inhérentes à tout processus collectif humain, ne peuvent être mises au jour. L’obligation du secret conduit aussi à une déresponsabilisation des participants qui n’ont pas à rendre compte de leurs prises de parole et à un désintérêt des fidèles qui se sentent désinvestis du Synode, faute d’être informés des débats.
Un gage de transparence
La présence de fidèles laïcs parmi les participants ne peut suffire à maintenir le lien entre l’Assemblée générale et les fidèles. Il y a encore un rapport équivoque aux médias, trop souvent perçus comme des obstacles à la réforme de l’Église, alors même qu’ils peuvent représenter un gage de transparence de l’action ecclésiale. Le scandale des violences sexuelles dans l’Église n’aurait pu être mis au jour sans l’action décisive et courageuse de journalistes.
Enfin, la relation de synthèse demeure attachée à une conception de la « complémentarité » entre les femmes et les hommes, conception qui constitue le ferment d’inégalités. Un langage est encore à trouver pour affirmer la foncière égalité des femmes et des hommes dans la diversité des vocations. Le chantier dressé par la relation est vaste – trop vaste ? Augurons que, dans les prochains mois, un consensus se dessine. Les requêtes d’un engagement plus ferme dans une conversion de la culture ecclésiastique qui nourrit les violences sexuelles proviennent de tous les horizons ecclésiaux. La nouvelle phase du Synode, qui s’inaugure, est l’occasion d’y répondre.
Agnès Desmazières
(1) « De censuris earumque reservatione : De modo procedendi in poenis in via administrativa infligendis (Tertia et quarta Congregatio: 5 et 7 maii 1962) », Acta et documenta Concilio oecumenico Vaticano II apparando. Series II, Volumen II, Pars III, Vatican, Typis polyglottis vaticanis, 1968, 885.
(2) Pontificium Atheneum Salesianum, « De delictis et poenis. Votum 48: De systemate poenali Codicis hodiernis exigentiis accommodando », Acta et documenta Concilio oecumenico Vaticano II apparando. Series I, Volumen IV, Pars I, 2, Vatican, Typis polyglottis vaticanis, 1971, 217.
Écouter l’interview par Louis Daufresne
Attendu ou appréhendé, le Synode rassemblant évêques et laïcs a esquissé un « changement de culture » dans l’Eglise catholique tout en laissant en suspens les sujets sensibles comme l’homosexualité, une prudence qui dissimule de profondes divergences internes. Durant près d’un mois, les 365 membres de l’Assemblée générale, issus de tous les continents et assistés par une centaine d’experts, ont débattu à huis clos au Vatican pour aboutir à un document de 42 pages faisant office de « point d’étape » avant une nouvelle réunion dans un an.