(Mc 15, 1-39) Sur la base de diverses sources orales et écrites, l’évangile selon saint Marc est le premier à nous donner un récit complet de la Passion. Matthieu et Luc le reprendront en le complétant. Quant à Jean, il nous donne un récit profondément transformé que nous méditons lors de la liturgie du Vendredi Saint. Le récit de la Passion est essentiel à méditer pour contempler Jésus. Vous en connaissez plein d’épisodes. Bien qu’ils ne soient pas dans la lecture brève que nous avons entendue, je vous propose de faire un rapprochement sur mesure entre deux épisodes du récit de Marc, où il est question de tissu, ce qui convient bien au monastère de la Merci Dieu.
Tout d’abord, cette parole essentielle de Jésus : « Vous verrez le Fils de l’Homme siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel » (14,62)
Telle est la parole que Jésus répond publiquement au Grand-prêtre qui l’interroge lors de son procès juif. Cela enrage le Grand Prêtre qui déchire ses vêtements, et émet l’accusation de blasphème. Jésus a claire conscience de son Exaltation, prophétisée en Daniel.
Je vous rappelle cette prophétie (Dn 4, 13-14) : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite ».
Jésus est le Fils de l’homme, et il le dit tout cru au Grand Prêtre. Ce personnage céleste entrevu par Daniel, joue d’ailleurs le rôle d’une ombre furtive dans l’évangile de Marc.
- Rappelons-nous la Transfiguration (9,7) où Jésus revêtu de vêtements resplendissants (9,3) et enveloppé de la nuée (9,7), préfigure nettement ce Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel.
- Au moment où Jésus expire, nous l’avons entendu, le rideau du Sanctuaire se déchire en deux ; ce déchirement reflète comme en miroir les cieux qui se déchirent lors du baptême, au tout début du ministère public de Jésus (1,9-11),. Mais lors de sa mort, le rideau du temple qui se déchire signifie la fin de sa mission terrestre, comme si Jésus, le Fils de l’homme, disparaissait et vivait son ascension, son exaltation définitive. C’est si vrai que Marc va se permettre d’omettre toute la séquence des apparitions du Ressuscité…
Ensuite, un épisode propre à Marc : « Or un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour vêtement qu’un drap. On le saisit. Mais lui, lâchant le drap, se sauva tout nu » (14,51)
Cet épisode curieux clôt le récit de l’arrestation de Jésus à Gethsémani. Les disciples viennent d’abandonner Jésus et de s’enfuir (14,50). Ce jeune homme s’enfuit lui aussi (14,52), mais d’une drôle de façon. S’agit-il d’un fait réel, au risque de nous laisser penser à un attentat à la pudeur… ? En tout cas, essayons d’en percevoir le sens symbolique d’une double évocation qui s’articulent l’un sur l’autre : la résurrection et le baptême.
- « Or un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour vêtement qu’un drap. On le saisit ». Celui qui a été saisi à Gethsémani pour être conduit à la mort, c’est Jésus. Mais la mort n’a pu retenir, il a laissé le suaire lors de sa disparition-résurrection-ascension-exaltation : « Mais lui, lâchant le drap, se sauva tout nu ». Jésus dans de beaux draps ? La découverte des linges au tombeau vide sera bien la signature en creux de la résurrection. « Vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel »…
- Mais il y a plus. Lors des baptêmes par immersion, les « jeunes gens » (néaniskoï), couverts seulement d’un drap, entraient nus dans l’eau, pour ensuite laisser ce drap et être revêtus d’une robe blanche. Relisons notre verset : « Or un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour vêtement qu’un drap ». Ce jeune homme (néaniskos) en Marc, et dont on dit que ce pourrait être lui, c’est chaque baptisé : nous avons été ensevelis dans la mort de Jésus pour ressusciter avec lui, libres d’entrer dans une vie nouvelle pour Dieu.
En ouvrant la semaine sainte, nous allons célébrer de façon plus concrète, dans une liturgie mûrement établie, les événements qui fondent le mystère de notre rédemption. Nous l’avons reçue dans le sacrement de baptême, et nous la réactualisons maintenant dans la célébration de l’eucharistie.