Noël C, nuit — (Lc 2,1- 14)
« Emmailloté et couché dans une mangeoire ». Le mystère de Noël est simplicité, pauvreté, petitesse…
Jésus, un roi discret
La naissance elle-même est sobrement mentionnée : « elle enfanta son fils, le premier-né » (v.7). Aucun merveilleux, au contraire, de l’humain tout ordinaire : « elle l’emmaillota ». C’est le berceau du nouveau-né qui est inattendu : personnes déplacées par le jeu des intérêts politiques supérieurs, Joseph et Marie, malgré l’origine davidique de la famille et malgré l’accouchement imminent, « n’ont pu trouver de place dans la salle d’hôtes » ; ils doivent trouver refuge dans une étable et coucher l’enfant « dans la mangeoire aux bestiaux ».
L’annonce à Marie avait présenté l’enfant à naître comme le futur dépositaire du pouvoir royal, dans la dynastie de David : « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père,… et son règne n’aura pas de fin » (1,32- 33). Mais Jésus naît dans un monde soumis à la domination impériale du pouvoir romain : les décrets de César Auguste s’imposent à « toute la terre habitée » (v.1). César est le Maître du monde et de l’histoire. Il se fait donner les titres de Seigneur et de Sauveur. L’enjeu capital de la foi chrétienne est déjà en filigrane derrière cette brève mise en place du cadre historique. « Ma royauté n’est pas de ce monde… » (Jn 18,36).
Le message donné aux bergers
Et voici qu’apparaissent les bergers (v.8), ceux à qui l’ordre social ne laisse qu’une place marginale. À l’époque de Jésus en Palestine le métier de berger était méprisé, réservé aux classes inférieures. On considérait volontiers ces gens comme malhonnêtes et voleurs ; on les compte au nombre de ceux qui sont privés de droits civils et politiques, comme les collecteurs d’impôts, et donc dans l’impossibilité juridique de porter témoignage ! Or c’est eux dont Luc va faire les premiers témoins de l’Évangile !
Le message que l’ange leur adresse récapitule l’essentiel du programme du salut. Un message qui est « annonce de la bonne nouvelle » — un destinataire, « tout le peuple » — son effet, « une grande joie » — son contenu : la naissance du « Christ, dans la ville de David », c’est-à-dire du roi messianique annoncé à Marie.
Le signe de l’abaissement dans la mangeoire
Et voici encore, deux autres titres, réservés à Dieu dans la tradition biblique et que César usurpe : « Sauveur et Seigneur ». Ces titres sont transférés sur l’enfant de la crèche. Nous sommes au cœur du paradoxe évangélique : la souveraineté divine doit être reconnue dans le signe de la plus extrême faiblesse.
Le signe donné aux bergers pour authentifier la bonne nouvelle (répété trois fois dans le récit, v. 7.12.16) indique ce qui en sera la ligne de force : ce « sauveur » leur est manifesté comme étroitement solidaire de leur condition, tout proche d’eux, les exclus : « ils le trouvèrent couché dans une mangeoire » (v.16)
L’événement célébré, l’abaissement du nouveau-né dans la mangeoire, est source à la fois d’une glorification de Dieu dans les lieux très-hauts et de l’offre de la paix sur la terre. C’est maintenant «une plénitude 1 de l’armée des cieux » (v.13) qui entonne un choral d’une seule phrase majestueuse : « GLOIRE à Dieu dans les lieux très-hauts et sur la terre PAIX pour les hommes de la bienveillance 2 » (v.14).
Nous devenons tous témoins du signe
Avec la même hâte (2,16) que Marie après le message de l’ange (1,39), les bergers se mettent en mouvement pour vérifier l’annonce reçue. Le propos qu’ils échangent est curieusement formulé : « Voyons cette parole qui est advenue » (v.15) comme en réplique à la parole de Marie : « qu’il m’advienne selon ta parole » (1,38). Pour ces bergers aussi, la parole est événement, il ne suffit pas de l’écouter, elle déclenche la détermination d’aller voir de ses yeux le signe annoncé. Et lorsqu’ils l’ont trouvé ils se font eux-mêmes annonciateurs : « l’ayant vu, ils firent connaître la parole qui leur avait été dite sur l’enfant » (v.17) Ils sont dès lors à la fois une figure anticipatrice de tous les pauvres à qui la bonne nouvelle est annoncée en priorité, et des disciples qui seront appelés à la transmettre.
« La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2,11)
1 Il faut souligner, et c’est propre à Luc, que la « plénitude des disciples » (19,37), reprenant les termes, fera de l’acclamation terrestre des Rameaux la réplique presque mot pour mot du chant céleste des anges (« Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! », 19,38).
2 Ce dernier mot, relativement rare, se retrouvera dans la prière de Jésus, louant « le Seigneur du ciel et de la terre » d’avoir dans sa « bienveillance » (eudokia) réservé sa révélation aux « petits » (10,21).